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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


A Francopolis, la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés. Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement. Nous redonnons vie à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

MAI 2011

Poème Coup de Coeur du Comité


choix de Juliette Clochelune...  Patricio Sanchez
choix de Gertrude Millaire...... 
  Émile Nelligan
choix d'Eliette Vialle............    Marie Cholette       
choix d'André Chenet...           Léo Ferré
choix d'Aurore Delrieu...          
Odile Marx
 





   PATRICIO SANCHEZ

Patricio Sánchez est né au Chili en 1959. Poète, animateur d’ateliers d’écriture, traducteur et enseignant d’espagnol. Il participe activement à la vie culturelle de Montpellier et sa région, notamment avec la Maison de la poésie-Languedoc. Prix Tristan Derême. (Juliette Clochelune)


Le travail du poète

                                          À Pablo Neruda

Ecrire pour rassembler un pays dans ta mémoire 
Un pays si vivant, si beau, si étrange.
Ecrire pour que ces ruelles et boulevards restent
En toi, près de toi,
Au fond de l’œil,
Et ne s’effacent pas comme un château
                                                                    De cartes.

Ecrire comme la nature construit ses forêts,
Lorsque les baleines traversent les océans,
Sur un navire en feu,
Les lèvres à la dérive.

Horizon qui rumine une musique misérable.

Ecrire sous la tutelle d’un astre foudroyé
Qui part à l’assaut d’une montagne de perles,
Des perles différentes et parfaites à la fois
Comme le sein d’une jeune femme
                                Pensive sur le sable.  

Ecrire dans l’équilibre d’un univers de cendre,
Effacé par le bruit d’une forge aimantée.
D’où naissent les calices et toutes les images
Que la foudre
Désagrège sur l’enclume orpheline.

   

LÉO  FERRÉ

Léo Ferré (1916-1993) fut le plus marginal, excessif et baroque des géants de la chanson française. Il fit chanter les plus grands (Juliette Gréco, Edith Piaf, Dalida), chanta les plus grands (Baudelaire, Apollinaire, Rimbaud ou Aragon), et se réserva quelques fraternités prolixes avec les plus grands (Jean-Roger Caussimon). Son visage ravagé de tics, sa crinière flamboyante, un verbe d’excès dans l’amour ou dans la haine, et d’inattendues mimiques de petit garçon timide. Avec ses classiques « Jolie môme », « C'est extra », « Avec le temps » et une multitude d'albums symphoniques et poétiques (Amour Anarchie en 1970), Léo Ferré laisse en héritage l’une des plus belles pages de la chanson, restée sans successeur.Lire la suite sur deezer. (André Chenet)

Tu penses à quoi

Tu penses à quoi ?
A la langueur du soir dans les trains du tiers monde ?
A la maladie louche ? Aux parfums de secours ?
A cette femme informe et qui pourtant s'inonde ?
Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?
Tu penses à quoi ?
A l'avion malheureux qui cherche un champ de blé ?
A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ?
A ce mètre inventé pour mesurer les plaies ?
A ta joie démarrée quand je mets à la voile ?
Tu penses à quoi ?
A cette rouge gorge accrochée à ton flanc ?
Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ?
Au coquillage heureux et sa perle dedans
Qui n'attend que tes yeux pour leur faire des signes ?
Tu penses à quoi ?
Aux seins exténués de la chienne maman ?
Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ?
Aux biches dans les bois ? Au lièvre dans le vent ?
A l'aigle bienheureux ? A l'azur qu'il caresse ?
Tu penses à quoi ?
A l'imagination qui part demain matin ?
A la fille égrenant son rosaire à pilules ?
A ses mains mappemonde où tremble son destin ?
A l'horizon barré où ses rêves s'annulent ?
Tu penses à quoi ?
A ta voix sur le fil quand je cherche ta voix ?
A toi qui t'enfuyais quand j'allais te connaître ?
A tout ce que tu sais de moi et à ce que tu crois ?
A ce que je connais de toi sans te connaître ?
Tu penses à quoi ?
A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ?
A ces larmes perdues qui s'inventent des rides ?
A ces arbres datés où traînent des aveux ?
A ton ventre rempli et à l'horreur du vide ?
Tu penses à quoi ?
A la brume baissant son compteur sur ta vie ?
A la mort qui sommeille au bord de l'autoroute ?
A tes chagrins d'enfant dans les yeux des petits ?
A ton coeur mesuré qui bat coûte que coûte ?
Tu penses à quoi ?
A ta tête de mort qui pousse sous ta peau ?
A tes dents déjà mortes et qui rient dans la tombe ?
A cette absurdité de vivre pour la peau ?
A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?

Tu penses à quoi ? dis, tu penses à quoi ?
A moi ? des fois ? ...
Je t'aime



EMILE NELLIGAN

Émile Nelligan
, né en
1879 à Montréal, est aujourd'hui le plus connu de tous les poètes québécois. Très tôt, le jeune Nelligan ne démontre que très peu d'intérêt pour ses études et ne rêve que de poésie. À l'âge de 16 ans, il découvre les romantiques (Lamartine, Musset, Millevoye, Rimbaud). On l'appelle l'Arthur Rimbaud québécois. Il quitte alors l'école, au grand mécontentement de ses parents. Le jeune Nelligan est élu membre de l'École littéraire de Montréal.
"La romance du vin" me revient en tête à chaque printemps. (Gertrude Millaire)


La Romance du Vin

Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte
O le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur,
Ainsi que les espoirs naguère à mon coeur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.

O le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé.

Je suis gai! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j'ai de la foule méchante !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l'Art !...
J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d'automne au loin passant dans le brouillard.

C'est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et objet du mépris,
De se savoir un coeur et de n'être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d'orage !

Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Ou l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !

Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire,
Et qu'un rythme s'entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre;
Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ?

Les cloches ont chanté; le vent du soir odore...
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots !


Émile Nelligan (la romance du vin -1899)


                       

MARIE CHOLETTE
Marie Cholette, poète, romancière, nouvelliste et essayiste. Membre de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois et de l'Association des écrivains francophones d'Amérique.
Recueils de poèmes:- Lis-moi comme tu m'aimes, aux éditions St-Germain-des-Prés, à Paris- Les entourloupettes - Chorégraphies - Êtres croisés. (choix d'Éliette Vialle)


Palestine au goût de miel

aux habitations à genoux éventrées
exposant les enfants aux tirs
les mettant à nu au travers de grillages rouillés
tu te tiens debout avec peine
dans les derniers retranchements de ton territoire
clouée contre un Mur si épais si haut si dur
que tu respires oppressée à perte d’haleine
qui est cette lune contre-nature qui retire tes marées sans cesse
plus loin
les obligeant à se soumettre à ses diktats d’immobilité et de recul
les laissant basses et toujours basses
en t’empêchant de les remonter à l’étale et à la fine haute
où sont dis-moi tes grandes marées
leur voix puissante leur vivacité leur volubilité
terre fracturée aux quatre membres
retenue de marcher sur ton sol
de naviguer sur tes eaux
la Méditerranée s’ennuie du passage de tes bateaux
si lointaine et si proche de toi pourtant
toi Palestine exilée sur tes propres terres
ta nostalgie forme sur une carte géographique
le tracé de ta silhouette d’auparavant
soulignée des longs rubans or et argent dans ta chevelure
de  l‘Esplanade des mosquées

Palestine torturée
la Méditerranée a désespérément soif de tes lèvres asséchées
le soleil ardent a faim de brunir à nouveau ta peau
craignant après tout ce temps
toi isolée encore
de ne pouvoir te reconnaître
 
pourtant j’aime à penser Palestine
à la résistance de tes oliviers
au quotidien que de fois en fois
tes habitants osent équarrir
dans le bois si précaire et si dur des jours
 
© Marie Cholette, le 30 mars 2011. Tous droits réservés.


  Morshid Graï, peintre de Jénine, illustrant les souffrances du peuple palestinien.



        ODILE  MARX         

Odile Marx, née en 1917, vit paisiblement dans l'Ain. Elle aurait beaucoup aimé vivre en écrivant de la poésie mais à 94 ans, c'est devenue seulement une passion ! Elle nous présente son chez-soi. (choix Aurore Delrieu)

CHEZ MOI

Chez moi, il y a du gazon
près de la maison
on peut y courir

Chez moi, un saule pleureur
encercle un abri
on peut s'y blottir

Chez moi, il n'y a pas de fleur
mais les deux bouleaux
font les jolis coeurs.

Chez moi, dans les sapins hauts,
il y a des oiseaux
on les voit voler

Chez moi, il y a un cerisier
tout blanc au printemps
tout rouge l'été

Chez moi, on peut se gorger
des fruits parfumés
sans rien demander

Chez moi, on peut s'irriter,
on peut arriver
sans téléphoner

Chez moi, il y a des lits blancs
où peuvent rêver
les jeunes enfants

Chez moi, on peut admirer
par la baie vitrée,
des couchants pourprés

Chez moi, il y a des photos
pour se rappeler
les journées passées

Chez moi, il y a des bouquins
qu'on peut feuilleter
qu'on peut emporter

Chez moi, il y a des tableaux
ce sont des cadeaux
que vous avez peints

Chez moi, à chaque Noël
il y a des présents
pour petits et grands

Chez moi, on n'est pas jaloux
mes bras sont tendus.
Vous y tenez tous

Chez moi, il y a des douleurs
qu'on ne peut calmer
que par votre amour

Chez moi, sous mes cheveux blancs,
que de souvenirs,
avant de mourir


Chez moi, il y a du gazon,
un vieux saule en pleurs
des bouleaux d'argent

Chez moi, il y a un cerisier,
il y a des sapins
il y a des lits blancs

Chez moi, il y a des photos
il y a des bouquins
il y a des tableaux

Chez moi, malgré le malheur
il y a du bonheur.




coup de coeur de
 Gertrude Millaire - Éliette Vialle
Juliette Clochelune  - André Chenet -  Aurore Delrieu

  mai
2011

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