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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

MAI  2016

GUILLAUME APPOLINAIRE
ALAIN  BRISSIAUD
HÉLÈNE DORION
ROBERT VILLEMUS
FRANCE BURGHELLE REY
JOSEPH PAUL SCHNEIDER





GUILLAUME  APPOLINAIRE


  Guillaume Appolinaire, choix Dominique Zinenberg

Nuit rhénane


Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin, le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913.


   ALAIN  BRISSIAUD

Alain Brissiaud ,  choix François Minod

Dans le fleuve quand tombe la lumière
la dernière chaloupe
s’enfonce
et se noie dans un pli de silence

sur la croisée du cœur
au flanc des tremblements
accumulés
tardifs
quand le temps noir
demeure
encore dans notre paume
refermée

quand l’esprit gèle

dans l’aube
de l’abîme

                                                                                              *

Ce soir
Je veux empoigner ta présence

de ton chagrin soutirer le pire
et ne garder
que tes mots de mystère
ton pas fragile
sur le gravier
et le soleil de tes cheveux

donne-moi le sourire
du passant
laisse
le vent glacé
s’épuiser
comme une torche

et de mon poing serré
laisse-moi
tendre la corde
autour de ta gorge
nue

Alain Brissiaud in Poésie/première  63


 
HÉLÈNE DORION


Hélène Dorion, choix Gertie Millaire

 
On ne décide pas du paysage

Lames de bleu, ondées, maigres nuages, chaque jour on décide du regard
que l’on porte sur l’horizon.

On décide de ce que l’on fera de l’orage et de la falaise, du lac silencieux,
de l’arbre qui vacille encore légèrement et de la confusion venue avec les
vastes brouillards qui nous arrachent au chemin sur lequel nous avancions
jusque-là.
(26)

--
Le temps étreint chaque chose pour la transformer
Comme un nuage pressé par le vent, notre vie avance et se métamorphose à mesure. On regarde un visage arriver de loin qui se dissout lentement, puis l'oiseau referme ses ailes, devient un mince filet de blancheur dans un ciel qui raconte le passage, cet élan vers l'aube auqel nous ne pouvons que consentir. (88)

extraits du recueil, LE TEMPS du PAYSAGE, HÉLÈNE DORION, ed. Druide

"Le temps du paysage est un récit méditatif qui nous convie autant à la contemplation qu’à la transformation intérieure. Parfois, des brouillards se posent sur nos vies et Hélène Dorion explore de son regard pénétrant ces états transitoires, ces passages nécessaires avant que ne resurgisse à l’horizon un fragment de bleu."

Pour la première fois dans sa démarche créatrice, l’écrivaine accompagne son texte de photographies qu’elle a réalisées. Un ouvrage superbe à déguster lentement
. "


Découvrez l'univers du livre Le temps du paysage
en visionnant la vidéo
aux Éditions du Druide


Visiter son site : Hélène Dorion

Sa présence sur Francopolis - Vie & Poète 2012



ROBERT VILLEMUS


 Robert Villemus, choix Éliette Vialle

MESSAGE DU SILENCE

 
Le regard étendu sur le manuscrit,
le poète hâve, ruiné par la peur,
attend silencieux au fond du cachot
ainsi qu'un reclus, le verdict final.

Les bruits amers que roule la ville,
les rires saugrenus de la prison
emplissent son âme d'un doute
qu'ameutent de vagues illusions.

Tandis qu'il se mesurait aux Muses
dans son habit chamarré de prince
tandis qu'il disputait aux étoiles
l'étrangeté de leurs phosphorescences
il croyait étreindre des paradis.

Mais l'angoisse l’esseule et autour de lui
il ne sait plus comment va le monde;
ce rêveur coriace que la solitude héberge
écrase ses doigts sur des murs plâtreux.



FRANCE BURGHELLE REY


        France Burghelle Rey, choix de Dana Shishmanian


Les temps sont venus d’abolir la beauté et je préfère hurler  Voilà qu’on décapite  Jeunesse haïe foulée aux pieds et mise à nu  Quand je pleure sans espoir de naissance nouvelle tendresse en berne mes gestes sont en jachère et mon poète est mort

Les rideaux sont tâchées de soleil fenêtre qu’on laisse fermée dans le bruit indécent un enfant va mourir et la révolte vibre sur mes réseaux  J’allume j’éteins puis y reviens le désespoir comme drogue la cigarette m’accroche l’orage ne m’émeut plus

Mais j’occulte mon cauchemar et suis sourde aux éclairs je sens la pluie je sens celle de ma dernière nuit de ma dernière rose  Ici on ne va plus personne sourire  Personne ne m’embrasse l’amour comme l’arbre est mort je me suspends aux branches

Je vis tous les instants comme on vit l’aube à son éveil  Je recule mon sommeil grâce au bruit de mes mots offre mes insomnies pour leur rédemption  Et si je n’écris pas je me rends au jardin m’assois au pied des arbres mes larmes sont rosée

S’il faut un incendie et devenir phénix offrir des pierres fumantes au peuple sans maisons hurler cette fois de joie  Mon texte se fait chanson pour célébrer la joie d’une nouvelle époque  Je nous console ici des morts à venir

Octobre-novembre 2015
(achevé une semaine avant le vendredi 13 novembre)

Extrait du recueil Révolution II, La Porte, 2016



JOSEPH PAUL SCHNEIDER



         Joseph Paul Schneider, choix Mireille Diaz-Florian

« …nous nous approchons quelquefois plus près qu’il n’est permis de l’inconnu et de l’emprise des étoiles… » René Char


RENAÎTRE

Aventurier des profondeurs du noir mêlant
Tes songes de couleurs à la  nuit
Qui se noie en lumière
Tu glisses entre éclairs et silence
Vers ces espaces à venir
Qui s’ouvrent sans fin en toi
Jusqu’à l’éclatement de l’image
Et de l’œil

Dans cette calme apocalypse
Tu cueilles comme tu le faisais hier
Aux jardins de Cézanne des astres
Verts, oranges ou bleus aux branches
Du ciel immense de l’éternel inachevé
Pour bouger la vue, renaître semblable
Et différent, dans le geste
Et les couleurs retrouvés
Du premier jour de la création

De terres arpentées
En fleuves longés
La tête pleine de nuages
Le marcheur sentit
Ses pas s’enfoncer dans le sable



Il était arrivé à la mer

Dans ses yeux fascinée
Si bleus de nuit et de sel
Eblouissement d’enfance
A marée haute

Nul navire à l’horizon
Il poursuivit son chemin

De plaintes en collines
De forêts en prairies
L’étendue sous ses yeux
Se cherche

Jamais les pas du marcheur
Ne se réconcilieront avec l’horizon

Ainsi va le marcheur
Sans feu ni repère
Dans le temps déchiré
Par les saisons dépliées

En marche toujours
Vers l’horizon qui blanchit
Au versant des collines
Dans la mémoire des vents
 
Au cadran de la  nuit
Les étoiles sont de glace
Quand le marcheur interroge
Le ciel de ses demeures d’enfance

Plus démuni que jamais
Il marche vers l’aube
Aux mains ouvertes

Le temps parfois remonte à la gorge
Du marcheur qui poursuit sa course
Ses pas pourtant ne sont plus
Qu’appels à cette nuit minérale
Où se fondent les traces vives du passé
Dont le sillage se referme
Sur cette solitude du dernier battement
D’une porte qui quitte ses gongs
Se fracasse dans le jardin
De pierres d’une maison à l’abandon


Loin de tout foyer
Toujours le chemin sans fin
Des pas qui vont
Au-devant du marcheur
Et de ces paysages
Qui se défont
Traces et plis d’un songe
En marche
Dans l’épuisement des images

Parfois dans le brouillard du temps
Le marcheur ivre de malheur
N’aspire plus qu’à un jour
Allégé de tout bagage
Rêve de simple fraîcheur de fontaines
A l’ombre des frondaisons
Chaque pas alors frappe
Cette voix qui porte le marcheur
De soi vers soi
Sure le chemin des origines

Jamais rassasié
De sable et de vent
Le marcheur calligraphie
Ses pas jusqu’à ces confins
Où la mémoire
Fait surgir les fièvres
D’autres signes nomades
Pour redessiner
Le mouvant horizon
Où dorment ses ancêtres de pierres

Entre vertige et mémoire
Le marcheur revoyait
La maison d’autrefois
Litanie des jours tranquilles
Où êtres et choses
Etaient caresses légères
Sous l’aile du temps

Bonheur fragile
Qui s’efface sous les pas
Où ne brillent plus aujourd’hui
Qu’éclats de miroirs blessés



Oubliés les jours d’enfance
Le temps des amours et des guerres
L’avenir toujours au bout des pas
Effaçant le passé

Le marcheur fixe l’invisible
Où blanchiront ses os

Le marcheur va son pas
Toujours plus loin
Cœur battant
Sur les ailes des heures

Arpenteur de l’inaccessible
Sous le chiffre du soleil


extrait de Traversée du temps
Editions Editinter
*
Né en 1940  en Alsace, il a publié quinze recueils de poèmes et de nombreuses études critiques sur ses compagnons de route, artistes et poètes. Il est mort en 1998. Le recueil  Traversée du temps est une édition posthume avec une postface de Bernard Baritaud qui dirige les éditions Le Bretteur.
Il naît au moment où l’Alsace redevient Allemande. Il aura deux langues, deux cultures. «Il tirera bénéfice de l’ambiguïté de la situation qui lui est faite par une réflexion, constamment approfondie, sur l’Histoire. »

«  Sa démarche a toujours coïncidé avec une pratique de l’expression poétique rigoureuse. » La phrase de Braque ; j’aime la règle qui corrige l’émotion, illustre son patient travail de la langue.


Coup de coeur 
 
Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
   Dominique Zinenberg, Dana Shishmanian,
,  Mireille Diaz-Florian, François Minod 

  
Francopolis mai 2016

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