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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


A Francopolis, la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés. Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement. Nous redonnons vie à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

Mars 2011

Poème Coup de Coeur du Comité


choix de Juliette Clochelune...  Thierry Cazals
choix de Gertrude Millaire...... 
Patrice Desbiens
choix d'André Chenet...........  Werner Lambersy
choix d'Eliette Vialle.............  Orlando de Rudder
choix de Michel Ostertag...       Paul Eluard
 





   ORLANDO DE RUDDER

je suis au bord du fleuve

Je retrouve ce poème ancien. Halima a remporté un prix en le disant au conservatoire de Mons... Qu'est-elle devenue?
Je la revois dans ma mémoire  en robe noire, pieds nus, fervente, superbe... (choix,
Éliette Vialle)

Je suis au bord du fleuve.

                                 
Pour Halima

Je suis au bord du fleuve, j’y vais souvent pleurer. Pas loin il y a la route qu'on vient de repaver. Maman, Maman, si tu m'entendais, tu ne me croirais pas...

Je ne suis qu'une fille dans un monde à soldats. Et les voici qui traînent la savate et le pas. Sont-ils morts ou vivants? Maman, si tu savais... je pleure au bord du fleuve un homme qui est mort. Et je ne l'aimais pas.

Oui, moi, au bord du fleuve, je pleure. Je n'aimais pas cet homme: on m’a mariée avec. Tu le voulais Maman, et j'ai baissé la tête. C'est trop tard, maintenant.

Il est mort, il est mort. Je pleure parce que c'est triste. Maman, ce que j'ai vu ne ressemble à rien. Un anneau à mon doigt le serre jusqu'au sang. Bientôt, je l'aimerai... Comme il était charmant!

Parfois, il souriait. Il parlait de soleil et buvait moins qu’avant. C'était rare, Maman: il préférait penser à la guerre prochaine.

Et maintenant je l'aime parce qu'il n'est plus là. Et je resterai seule, à moins qu’on veuille de moi... quelqu'un de quelque part, qui ne me battra pas. Parce qu'il me battait, pas plus que d' habitude certains soirs ou bien d'autres, je ne sais plus pourquoi. L’homme, c’est fait pour ça.

C’est vrai: il me battait parce que je suis femme. Je suis femme toujours et me voici encore comme mes soeurs ma mère, la fille que j'aurais si j’avais une fille, pleurant au bord du fleuve comme vous pleuriez toutes, vous autres qui pleurèrent parce qu'il faut pleurer quand l'homme meurt à la guerre. La lune me regarde cependant que je pleure des larmes identiques à celles de la veille, de l'avant veille aussi et puis du jour d'avant, des larmes identiques à celles de ma mère et de sa mère aussi depuis qu'il y a du temps, de la guerre et des hommes.

Et des hommes, moi, j'en vois. Ils s’en vont, tout cassés en fumant du tabac quand ils en ont encore. Je leur souris parfois, alors, ils croient des choses. Je suis au bord du fleuve, je suis belle, il est vrai. Enfin, belle, peut-être pas, mais il y a en moi quelque chose comme ça qui plaît aux mâles. A ceux qu’on n’a pas tués: les autres, je ne sais pas. Ils fuient ou bien s'en vont, c'est du pareil au même.

Assise près de la route j’entends leurs sifflements. Ils ont ces gestes drus, ces mots vulgaires mais grands que disent les garçons encore un peu vivants. Je n'ai plus qu'à pleurer ces innocences là, celles d'une femme seule parce que mon gars est mort. Mais je ne l'aimais pas. Écoute-moi, Maman...

Croirais-tu donc encore au vrai pouvoir des femmes? Si je l'avais aimé, il serait revenu, car l'amour, tu l'as dit, est plus fort que la mort... Maman, c'est de ma faute! Il est mort, il est mort! Et je ne l'aimais pas!

Il n'a pas fait d'enfant, mon ventre est resté plat. Si t'es garçon tu meurs. Si t'es fille, ferme-la... Je pleure, je pleure, je pleure: je ne sais faire que ça, et puis filer le lin, cuire dans la marmite le déjeuner des hommes, parfois me coucher nue pour peu qu'on me l'ordonne... La guerre a tué cet homme, que je n'aimais pas trop. Pourquoi faire la fière quand on a le coeur lourd? Aussi vrai que j'existe, je n'ai plus que des larmes.

Mes larmes cependant disent à la rivière que les femmes, les enfants meurent aussi dans les guerres... Malheureusement, pas moi.

En même temps, j'ai faim et je ne mange pas parce qu'il n’y a plus rien à cause de la guerre. Je ne me vendrai pas à ces soldats qui passent... Parce que je suis à lui, l'homme qu’on m’a donné...

Je suis au bord du fleuve, j’y vais souvent pleurer; Pas loin il y a la route qu'on vient de repaver.
Maman, Maman, si tu m'entendais, tu ne me croirais pas...

 


   

PATRICE DESBIENS

"Patrice Desbiens, poète franco-ontarien, nous plonge dans un « road movie »
théâtral sur fond de ciel bleu, où l’homme invisible alterne
entre deux âmes, deux langues maternelles."

Ce qui me fascine chez ce poète est qu’il connaît bien ces longues routes… ce silence des longues forêts à traverser… et qui nourrit ce grand besoin de communiquer.
Ce poème a été mis en musique par Chloé Ste-Marie (Gertrude Millaire)

Le grand besoin

La lumière est glacée
Sur les virages dans nos visages
Entre Montréal et Sudbury
Je sens mon sang qui veut ton sang
Tandis qu’on file vers le grand grand
Le grand grand vide égratigné
Du grand Grand Nord égorgé
Mille par mille
Le chemin nous envahit
Nos coeurs sont dans nos valises et
Dans les coffres-forts de nos corps
Et on file file vers le grand grand
Le grand besoin de dormir dans son p’tit nid
Et on file file vers le grand grand
Le grand besoin de retrouver sa vie
Le grand grand besoin
Après le last call
Sous tes aurores boréales
Le grand grand besoin
De tes soins de tes mains
Qui me couvrent comme un toit
Si chaudes au-dessus de moi



WERNER LAMBERSY

Werner Lambersy est un poète belge né à Anvers le 16 novembre 1941. Auteur d'une soixantaine d'ouvrages, il est considéré comme une voix majeure de la littérature francophone. Il a reçu de nombreux prix. Il vit  à Paris. Il présida un temps aux destinées du Centre Culturel Belge. D'une prolixité à toute épreuve, il a non seulement publié un nombre considérable de recueils, mais également un nombre incalculable de recueils considérables. En dépit d'un flux poétique intarissable, il réussit l'exploit de se renouveler sans cesse, passant des formes les plus complexes aux plus simples (une simplicité qui jamais ne se fait facilité), du plus classique au plus avant-gardiste (et vice versa), en demeurant à chaque instant unique. (André Chenet)
(Présentation prise sur le site : Service du Livre Luxembourgeois)


POÈME DU COUP DE GRÂCE (extrait)


Seigneur
on tue on  viole
on pille
on assassine des continents entiers
 
et le commerce de détail
ne va pas mal
non plus
 
l'état torture
on terrorise la rue
une balle dans la tête
est l'argument des croyants
 
la faim est l'arme anonyme
des multinationales
la drogue
fait plus de dégâts que la dialectique
 
la poésie s'enfuit
sur un vaisseau spatial et
regarde le vide
 
Les poètes
contemplent leur nombril
et attendent les critiques
 
Notre inconscient travaille
dans la pub
où il fait des affiches
et nous vendons nos enfants
à la banque qui déjà
nous possède
 
le monde est une vidéo
l'avenir
une info qui traîne
encore dans quelques vieux journaux
 
Un mort ici
en vaut dix mille ailleurs
 
Les chevaux de l'apocalypse
broutent en bordure
des villes
 
On a fait récemment
de la colle et du savon avec
des gens très ordinaires
 
Le bonheur n'est plus qu'une forme un
peu coûteuse de l'oubli
 
L'argent décide
Le reste décède selon l'usure
qu'on lui accorde
 
le pouvoir
demeure le plus bas degré
de l'être
et c'est pourquoi toujours
il obéit
 
la beauté
c'est lorsque même les rides
sont belles
et que l'œil étonné n'épuise
pas le ciel
.                                            

                       

THIERRY CAZALS

"Un éléphant au paradis" est le nouveau recueil de poèmes pour enfants (et plus grands!) de Thierry Cazals.
Je choisis deux poèmes, ils se répondent, et n'en font qu'un dans mon coeur! Et le coeur a toujours raison!
(Juliette Clochelune)

Parfois
les aiguilles à tricoter les pensées
ratent une maille

ouvrent un trou
dans le décor

un accroc irréparable

les anges nous attendent
juste derrière

***

C'est par où le paradis ?

l'oeil du dromadaire
n'en finit pas
de mâcher

la lumière du soleil couchant

*
 site de Thierry Cazals

                   PAUL ELUARD

Un poème de Paul Eluard, trouvé dans une anthologie de poésie contemporaine francophone. Un poème du premier jour,  du renouveau après un anéantissement total, de la survivance humaine et aussi de l’importance de l’homme. Sans lui, il n’y aurait rien.
(Michel Ostertag)

LE DROIT LE DEVOIR DE VIVRE

Il n’y aurait rien
Pas un insecte bourdonnant
Pas une feuille frissonnante
Pas un animal léchant ou hurlant
Rien de chaud rien de fleuri
Rien  de givré rien de brillant rien d’odorant
Pas une ombre léchée par la fleur de l’été
Pas un arbre portant des fourrures de neige
Pas une joue fardée par un baiser joyeux
Pas une aile prudente ou hardie dans le vent
Pas un coin de chair fine pas un bras chantant
Rien de libre ni de gagner ni de gâcher
Ni de s’éparpiller ni de se réunir
Pour le bien pour le mal
Pas une nuit armée d’amour ou de repos
Pas une voix d’aplomb pas une bouche émue
Pas un sein dévoilé pas une main ouverte
Pas de misère et pas de satiété
Rien d’opaque rien de visible
Rien de lourd rien de léger
Rien de mortel  rien d’éternel

Il y aurait un homme
N’importe quel homme
Moi ou un autre
Sinon il n’y aurait rien



coup de coeur de
  André Chenet - Gertrude Millaire
Éliette Vialle -  Liette Clochelune -  Michel  Ostertag

  mars
2011

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