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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

MARS 2016

GUY ALLIX
RICHARD ROGNET

MARIE CHOLETTE
LUIS  RAÙL  CALVO
HELI  LAAKSONEN
JEAN  GIONO




GUY  ALLIX


  Guy Allix, choix Dana Shishmanian

1
Quand tu nais
Tu n’es déjà
Dans ta naissance
Que ce non-sens

2
Tu marches et tu t’effaces
C’est en t’effaçant que tu existes vraiment
C’est en t’effaçant que tu es homme
Et tu t’effaceras un jour à jamais
Tu ne seras plus que cette absence
Ce sans-nom
Ce sans-lieu
Ce sans-Dieu
Ce rien Rien qu’une poussière de passage
Perdue dans l’immensité du temps

3
Tu marches vers le non-là
Ton seul Dieu
Tu marches vers l’absence
Vers la fin ultime et nécessaire
Tu n’as de sens que cette marche insensée
Qui court à ta perte définitive
Tu n’es que ce courage
D’oser marcher d’oser aimer
D’oser rire
Sans nul espoir

4
Tu marches sans trêve
Tu n’es que cette marche
Ce temps qui t’égoutte
Jusqu’à ce puits sans fond
Tu n’es que cette terre un peu
Tu n’es que l’humble
Qui consent
Quand bien même il a peur
A l’humaine mort
Qui le signe et l’absente

5
Et quand tu rends grâce
C’est à la vie seule insensée
Sans rien qui l’excède
Sans rien qui la précède
Que le nécessiteux hasard

6
Et quand tu aimes même
Tu sais qu’il n’en restera rien
Qu’un mortel bonheur
Qu’un pur instant de passage
Que cette goutte de deux noms
Vers d’autres noms
Qui tour à tour s’effaceront aussi
Dans une larme desséchée
Jusqu’à l’ultime contraction

7
Et c’est la vraie force
D’aimer sans autre force
Sans autre espoir
De consacrer l’essentiel du souffle
À l’éphémère
D’aimer vainement

8
Et tu marches encore
Donnant la main à d’autres hommes
De passage
Et vous partagez les pleurs
Et vous partagez les rires
Vous n’êtes que ce présent
Qui s’absentera finalement demain
Quoi que vous fassiez
Quoi que vous puissiez croire
Vous n’êtes pour toujours
Que ce qui s’efface


Guy Allix, extrait de son dernier recueil,  Le Sang le soir, paru au Nouvel Athanor, 2015 (reproduit de : (http://poeviecriture.over-blog.com/guy-allix.html)


   RICHARD ROGNET

Richard Rognet,  choix Dominique Zinenberg
Peu de temps après ta mort, je sentis revivre
celle lointaine de mon père, et soudain, je
compris, dans ce rapprochement, combien vous
vous étiez aimés, même sans nous, les enfants.

C'est pourquoi j'ai fait agrandir cette photo
de jeunesse où vous aviez un peu plus de vingt
ans, quelques années avant ma naissance, cette
photo où je cherche à retrouver des airs de
ressemblance avec vos quatre fils. Ils y sont

ces airs, mais laissons-les cachés sous vos
communs regards, vous êtes là pour vous deux,
vous deux entièrement voués à votre jeune
amour. Je ne saurai jamais ce que fut cet

amour, l'ombre de la famille l'a masqué, et
quand nous surprenions quelques mots, entre
vous, quelques gestes, qui avaient sa force
et sa clarté premières, nous en étions gênés

et jaloux à la fois.

                                      ***

Allez savoir pourquoi je me suis arrêté
aujourd'hui, dans ce village de montagne,
avant d'aller plus haut, vers les sommets

rêveurs ! allez savoir pourquoi !  Alors
qu'auparavant, jamais, je n'y avais pensé,
oui, pourquoi suis-je entré à la mairie,
soudain, sans réfléchir, pour demander

l'acte de mariage de mes parents ? Il
faisait beau, tendrement beau, les enfants
sortaient de l'école, la lumière embrassait
les restes de l'été, la campagne semblait

heureuse, plus encore que moi – et je serrais
fort, contre ma poitrine, la copie de cet
acte où ma présence se glissait entre la
signature de mon père et celle de ma mère.

Le village, tout à coup, s'anima, les oiseaux
feuilletaient l'espace, on se pressait devant
l'église, les cloches nerveuses sonnaient.


Richard Rognet
Élégies pour le temps de vivre;
Dans les méandres des saisons. Poésie/Gallimard 2015.


 
MARIE CHOLETTE


Marie Cholette, choix Éliette Vialle

 
JE CHERCHE TON CORPS DANS L'IMMATÉRIEL MONDE

Je cherche ton corps
même dans l’immatériel monde
la soif désespérée de mes doigts
caressant les mouvements modulés
des aurores boréales
les couleurs s’élaborent
de ton en ton
d'accent grave et de clef de do
et de clef de sol en accent circonflexe
les notes rouges lavandières
se décolorant jusqu’au rose
qui ont sept temps
les rondes jouant au triangle
puis aux pyramides à base carrée
les sillons colorés
se meuvent en danseurs
et en danseuses aux robes
tourbillonnantes
leurs figures légères
se métamorphosant
au gré des vents solaires
d’immenses voiles
des draperies somptueuses
prennent leur envol
au point de jonction
de mes paumes
le soleil ayant élu mes mains
comme origine des champs
magnétiques
comme lieu de ses éruptions
lumineuses
de renards roux
de saumons de bélugas
et de chevreuils
et le fleuve Saint-Laurent
jaillit de mon ciel étoilé
des bleus jusqu’au blanc
des rorquals au souffle puissant
des voiles d’écume verte
se déployant et m'arrosant
tu surgis d’instinct
de la jointure de nos espace-temps
de là où nos âmes
se rencontrant
entrent l’une en l’autre


© Marie Cholette – Québec – Le 4 janvier 2016. Tous droits réservés.
(Aurore boréale, Tous droits réservés.)



LUIS  RAÙL  CALVO


 Luis Raùl Calvo, choix Gertrude Millaire

Du visage au soleil, notre histoire
reconnait seulement une partie de cette chaise

Ce vide qui était reste gravé
dans le rayon des miroirs;
Il change la candeur des espions en une chose lugubre

Des cœurs misérables
qui se cachent quand la nuit
tombe.

Au-delà de l’indignité de l’enfer
les os se reconnaissent les uns les autres
rigides et brûlants

Dans cette chambre un homme
se laisse mourir
jour après jour.

Plusieurs de ces créatures, aujourd’hui
se lancent quand même dans l’aventure
de passer la nuit
dans l’oubli.

Au matin, ils se réveillent
prennent une gorgée de café et
s’imaginent
que la plénitude de la beauté
existe quelque part
à l’autre bout du monde


**

Luis Raul Calvo, poète et essayiste, auteur, compositeur de musique… né à Buenos Aires’ Argentine. Il dirige la revista culturelle « Génération ouverte »
Il a publié plusieurs recueils, traduits en français, anglais, italien, roumain et portugais Il a sorti son premier album musical, Cuàl es la verdad de lo vivido ? - Canciones Urbanas.
 (* Extrait  « Les Cahiers de Val-David – Festival Notebooks – Los cuardernos de Val-David 2009-2014 » Anthologie brève.)



HELI  LAAKSONEN


        Heli Laaksonen, choix de Bernard Negre


La mésange

J’aimerais bien avoir une mésange
rien qu’à moi
charbonnière
avec des plumes vertes au bout des ailes

elle garderait la maison quand je ne serais pas là
viendrait se blottir dans mes bras
elle aurait peur de tout sauf de moi

et je lui laisserais faire son nid
dans le paquet de flocons d’avoine.



***
Le temps


Parfois je reste allongée sans bouger
sans bruit
pour que le temps ne m’aperçoive pas
et m’oublie

hier matin ça a réussi :
j’ai disparue sous la couverture
enfoui comme dans une tanière
silence complet
le temps ne savait même pas où j’étais
si j’étais rentrée à la maison ou non

par une fente de la couverture je le regardais
tourner en rond, nerveux
fouiller dans mes affaires
ouvrir les placards
fumer une cigarette après l’autre
pour tuer le temps

Bien sûr il finit par me trouver
(personne n’est capable de rester
immobile jusqu’à la fin du temps)



***
Conseil à un homme célibataire

quand tu es en voyage,
à Bourg-en-Bresse par exemple
envoie à tes seins préférés
une carte postale,
n’oublie pas d’écrire
nom, adresse et code postal
à chacun des deux

ne pas faire de jaloux
ils sont si susceptibles !

Heli Laaksonen, Finlande



JEAN  GIONO



         Jean Giono, choix Mireille Diaz-Florian

La Rondeur des jours.

Ce que je veux écrire sur la Provence pourrait également s’intituler : «  Petit  traité de la connaissance des choses. » On ne peut pas connaître un pays par la simple science géographique. On ne peut, je crois, rien connaître par la simple science ; c’est un instrument trop exact et trop dur. Le monde a mille tendresses dans lesquelles il faut se plier pour les comprendre avant de savoir ce que représente leur somme. La certitude géographique est semblable à la certitude anatomique. Vous savez exactement d’où le fleuve part et où il arrive et dans quel sens il coule ; comme vous savez d’où s’oriente le sang à partir d’un cœur, où il passe et ce qu’il arrose. Mais la vraie puissance du fleuve, ce qu’il représente exactement dans le monde, sa mission par rapport à nous, sa lumière intérieure, son charroi de reflets, sa charge sentimentale de souvenirs, ce lit magique qu’il se creuse instantanément dans notre âme, et ce delta par lequel il avance, ses impondérables limons dans les océans intérieurs de la conscience des hommes, la géographie ne vous l’apprend pas plus que l’anatomie n’apprend au chirurgien le mystère des passions. Une autopsie n’éclaire pas sur la noblesse de ce cœur cependant étalé sans mystère, semble-t-il, sur cette table farouchement illuminée à côté des durs instruments explorateurs de la science. Comme les hommes, les pays ont une noblesse qu’on ne peut connaître que par l’approche et par la fréquentation amicale. Et il n’y a pas de plus puissant outil d’approche et de fréquentation que la marche à pied (…)

  Le plus magique instrument de connaissance, c’est moi-même. Quand je veux connaître, c’est de moi-même que je me sers. C’est moi-même que j’applique, mètre par mètre sur un pays, sur un morceau du monde, comme une grosse loupe. Je ne regarde pas le reflet de l’image ; l’image est en moi. Le grossissement, c’est au milieu de mes nerfs, de mes muscles, de mes artères et de mes veines qu’il s’écarte. Il n’est pas question de théâtre antique, d’arc de triomphe, d’alignement de pierres tombales ; la connaissance que j’ai des choses est aussi entièrement moderne que le battement de mon cœur ; elle est aussi préhistorique que le battement de mon cœur, et les jouissances de ma curiosité successivement satisfaite me font vivre en leur succession comme les battements de mon cœur. A ce moment-là, le monde extérieur est dans un mélange si intime avec mon corps qu’il m’est impossible de faire le départ entre ce qui m’appartient et ce qui lui appartient. L’instinct supérieur qui accorde le sens de ma vie au flux de mon sang, l’accorde avec la même exquise intelligence à l’architectonie des volumes et des couleurs de la matière dans laquelle je vis et je marche ; je suis à la fois prisonnier et maître. La superposition de ma liberté et de ma sujétion est à chaque instant d’une extrême volupté. A chaque instant, un délicieux supplice par l’espérance me pousse tout frissonnant le long de ma vie. Tandis que l’invraisemblable romantisme scientifique tend à dominer, donc à s’éloigner, à regarder de haut, à se retrancher, à examiner d’après des plans cavaliers, à maîtriser l’extérieur dans des cartes et des reflets, à jouer avec des symboles, l’ordinaire romantisme de tout mon appareil sensuel me pousse à m’accrocher, comme dans la silencieuse pétarade de mille vrilles de viornes ou la gluante succion de poulpe, à joindre, à pénétrer, à m’effondrer dans les choses comme le jaillissement chaud d’un liquide vivant, à perpétuellement redevenir dans le catalogue des formes.



Coup de coeur 
 
Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
   Dominique Zinenberg, Dana Shishmanian,
Bernard Nègre,  Mireille Diaz-Florian

  
Francopolis mars 2016

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