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Coup de coeur : Archives 2010

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


A Francopolis, la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés. Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement. Nous redonnons vie à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

octobre 2010 -

Poème Coup de Coeur

de Michel Ostertag : Alain Duault
de Juliette Clochelune : Pauline Barro
de Lilas : Christiane Loubier
de Gertrude Millaire : Hélène Dorion


   ALAIN DUAULT  

Alain Duault est un poète français, écrivain, musicologue et animateur de télévision et de radio, né à Paris en 1949. Il est connu des auditeurs et téléspectateurs amateurs de grande musique et d’opéras.

Ce poème est extrait d’un recueil éponyme paru chez Gallimard. Alain Duault a publié un grand nombre de recueils. Il a été couronné par le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 2002.

J’ai été impressionné par ce texte autant par la forme que par le fond. L’absence de ponctuation, la forme carrée adoptée, les images propulsées, cette tendresse qui sourde à chaque mot, tout cet ensemble m’a touché. (Michel Ostertag)

Ce qui reste après l’oubli

Rien moins que rien c’est ce qui reste après l’oubli
L’écume de la vie et la couleur des roses pourquoi
Tout a passé si vite sur mes lèvres sur ton sommeil
L’oiseau qui paraphe le ciel cassé ne nous apprend
Plus rien et nos pas égarés dans la lumière glissent
Vers des questions interminables où sommes-nous
Avec nous-mêmes J’ai vendu la clé de mes songes
Il me reste le bleu de l’aube et le coquelicot de mai
Après la saison violente quand le vent a soufflé sur
La branche de mon amour quand mes mains gâtées
Plus loin que tes épaules de colline plus loin même
Que ce sable ouaté où nous nous trouvions à tâtons
Les regrets sont des oiseaux tués car c’est ton sang
Qui bat dans mon sang qu’il chante ou qu’il pleuve
Le ciel n’est là que pour mémoire pour l’espérance.

In Poésie sur Seine, Eté/Automne 2009 Numéros 69-70

   


PAULINE BARRO

J'ai découvert ce texte dans le centre médical où j'ai été cet été. Une ancienne institutrice qui a eu une vie difficile et de gros problèmes de santé m'a montré ces pages manuscrites (elle n'a pas internet). Elle avait fait des ateliers d'écriture puis écrit un peu pour elle-même. Ici  c'est parti d'un jeu autour de plier, replier, déplier.   
J'ai été touchée par le rythme et ce qui se déployait.  Cette prose poétique avec ses petites maladresses m'a vraiment parlé. Ça déborde et c'est tendre.  Je lui ai demandé si je pouvais partager ce texte pour le coup de coeur de notre revue de poésie, elle a dit oui, bien entendu.  Bonne lecture  (Juliette Clochelune)

Plier, déplier

D'abord elle avait courbé la tête puis elle plia les genoux. Elle s'était même pliée à leurs quatre, cinq, six et même sept volontés. Elle avait même un "peuplier" l'échine.
Elle les avait pourtant tellement suppliés. Mais eux, pliés de rire, avaient multiplié leurs huit, dix, douze et quatorze volontés.

Alors, pour ne pas définitivement plier bagages, elle décida de se replier doucement sur elle-même; recroquevillée, pelotonnée, tout chiffonnée, froissée, écornée. Elle s'était repliée devenant un "plimobile" figé. (playmobile: jeu pour enfant. figurines articulées)
Elle avait pris le mauvais pli. Ce mauvais pli qui la faisait plier, se soumettre, pour éviter de casser.

Un jour peut-être, elle arrêterait de plier.
Un jour peut-être, elle pourrait se déplier un peu ; et s'étirer, s'agrandir, grandir un peu... Un jour peut-être...

Mais aujourd'hui, elle dormait là, repliée dans la nuit de ses nombreux cauchemars.
Elle était là, lovée en position foetale, attendant son réveil à la vie.
Alors, elle le savait, malgré ses muscles ankylosés, elle déplierait une à une ses blessures.
Sur chacune d'elles elle déposerait un baiser.
Elle défroisserait chaque douleur et leur donnerait de la place, beaucoup de place ; toute cette place qui lui a tant manqué quand elle s'était recroquevillée.

Elle le savait, elle se déploierait un jour pour de vrai.
Un jour, pour de vrai, elle se déploierait. Elle ouvrirait de grandes, de très grandes ailes ; et elle prendrait son essor.

Elle prendrait de l'ampleur !
Elle prendrait du bonheur !

Et puis, elle a fermé les yeux.
Et lentement elle a osé déplier une à une les pages froissées de sa vie.
Avec tendresse, pour elle-même, elle a refait ce chemin en arrière.

Et elle s'est pardonnée.

Et elle s'est même remerciée, remerciée d'avoir si bien conservé toutes ces années froissées, qu'il suffirait de repasser avec des gestes d'amour, pour mieux les regarder.
Car dans chaque pli déplié, elle découvrait des réponses insoupçonnées.
De l'amour à donner.
Elle n'avait pas de temps à perdre. Elle rit à gorge déployée et déploya toute son énergie et son ingéniosité. Et c'est ainsi qu'elle décida d'être démesurée!

Alors, seulement alors, elle osa vivre et grandir vraiment.




CHRISTIANE LOUBIER

Mon coup de coeur pour le mois d'octobre est le dernier poème à ce jour de Christiane Loubier, sur le forum.
(
Lilas)


LA FOLLE AVOINE

L’histoire est un pré
On a bien tout fauché
On a bien tout tassé
Au grenier de la mémoire
Les granges se noient dans les blés
Je ne veux rien oublier

Les bras des ouvreurs de chemin
La vaillance des chevaux
Les maisons blanchies à la chaux
La rivière Famine
Le visage du semeur
La vie frappée au fer
Je ne veux rien oublier

Les baïonnettes mystérieuses
Les nuits incendiées
La race au gibet
Les clochers de l’échafaud
L’oubli de l’offense
Le sang trop vite essuyé
Je ne veux rien oublier

La misère à carreaux
Les bretelles sans fusil
Les fronts silencieux
La soumission héréditaire
Les chapeaux de feutre
Sur la tête des hommes
Je ne veux rien oublier

L’égoïne chantante
Les montagnes coupées
Le bois à vendre debout
L’oiseau derrière la vitre
Les couvertures à pointes folles
Et toutes ces choses qui s’envolent
Je ne veux rien oublier

Les faucons tournant
Au-dessus du fleuve
Les cierges contre l’orage
La poule donnée au diable
Le ciel de la chasse-galerie
La mélancolie de l’accordéon
Je ne veux rien oublier

L’hiver qui tombe du ciel
Les glissades sur la pelle
Les miettes sur la neige
Le temps échappé
Le manque de jour
Le manque tout court
Je ne veux rien oublier

J’habite une légende
Dont je ne connais plus la langue
L’alouette renonce à sa colère
Mais je regarde toujours le feu
Je ne veux rien oublier
Du soleil rose et jaune
Qui se lève à l’est
À tous les étages du gâteau de la noce
Dans le bonheur des saisons
          

                                                                                                      

HÉLÈNE DORION

         Ce poème tiré de son recueil :"Un visage appuyé contre le monde, éditions du Noroît/Le Dé bleu",
         appui la démarche de l' auteur dans son interrogation du mystère de l’être et celui du monde.
       
(Gertrude Millaire)                                               


Je ne sais pas encore (extrait)

Je ne sais pas encore
Si le vent retient en lui la sensation du corps;
si l'on meurt de ne jamais faire un avec l'invisible;
s'il y a quelqu'un au bord des jours fragiles
qui trace quelque limite au chaos, à l'usure du monde,
à l'ombre qui nous survit;

je ne sais pas encore

voyager dans l'étrangeté
d'un paysage, d'une rue, d'un continent
ou celle d'un visagedessiné par l'amour
et sa disparition

Comment m'élever jusqu'à être
vraiment humaine; laisser venir à moi chaque signe
d'une présence écrite
comme un regard qui ne me quitterait plus;

je ne sais pas encore

poser ma main
sur une vérité de vivre
respirer légèrement à la lisière des saisons.

.......

je ne sais pas encore passer
à travers une ombre,comme on passe
dans une chambre d'hôtel, une salle d'attente;
ces liens minuscules du silence
enfoui en nous

........

Pourquoi cette ombre, ce silence
versés dans nos mains
ces manques insaisissables;
au fond de l’air, un oiseau déploie ses ailes
et s’il devrait éviter la douleur
je ne sais pas encore.

Aurons-nous le temps d’aller très loin
de traverser les carrefours, les mers, les nuages
d’habiter ce monde qui va parmi nos pas
d’un infini secret à l’autre, pourrons-nous écouter
le remuement des corps à travers le sable;
aurons-nous le temps
de tout nous dire et d’arrêter d’être effrayés
par nos tendresses, nos chutes communes;

pourrons-nous tout écrire
d’un passage du vent sur nos visages
ces murmures de l’univers, ces éclats d’immensité;
aurons-nous le temps de trouver
un mètre carré de terre et d’y vivre
ce qui nous échappe;

je ne sais pas encore.


Visiter son site : Hélène Dorion

 

coup de coeur de :
Michel Ostertag - Juliette Clochelune- Lilas- Gertrude Millaire
octobre 2010

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