ACCUEIL



Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité
Octobre 2012


              
choix de Gertrude Millaire
...     Gaston Miron
choix d'André Chenet...          Emmanuelle K.
choix de Dana Shishmanian...  Colette Nys-Mazure
choix d'Éliette Vialle...            Patricia Laranco

                






PATRICIA LARANCO

M

Patricia Laranco,
une poésie de saison, choix d'Éliette Vialle.

Elle vient, la saison pensive
celle de l'oblique clarté
celle du soleil poudreux, roux
filtré par les teintes des feuilles

C'est la saison où nous vient
l'envie de promener nos pas
le long des tranquilles allées
des sentiers incandescents
dans le silence religieux,
recueilli des feuilles qui choient,
en direction d'une trouée
minuscule écu de lueur
pratiqué à ras d'horizon
dans la voûte à l'aura doré

C'est la saison où il fait bon
fouler les mortes mordorées
près du bourrelet des talus
en humant l'air soudain râpeux
qui traîne avec lui de l'aigu,
du granuleux évanescent
comme la queue d'une comète.


                                  photo Tonia Wingelaar





COLETTE NYS-MAZURE


Colette Nys-Mazure, poèmes du cycle Singulières et plurielles, choix de Dana Shishmanian.

Fidèle

Elle est de ce qui croît, persiste et tient. Elle s’obstine à brûler sous la neige, à s’enraciner au désert. Quand tous se taisent, elle muse encore. À l’aigu de la fatigue, paupières papillonnantes, elle vacille mais demeure debout. Elle repeint les meubles de jardin, recoud boutons et ourlets, pique dans ses cheveux un peigne d’aïeule. Fait ricocher l’amitié, recueille les mots d’enfants et les cris d’adieu. Arpenteuse chargée du poids léger de l’amour sans borne ni condition. Ils peuvent sourire, les oublieux qui baissent le front sous le feu des rosaces ; s’ils durent, c’est un peu parce qu’elle veille.

 

Hauturière

Elle sent la mer sans la voir. La rumeur rouge, lancinante, assaille la chambre ouverte sur le large ; une rumination d’embruns, d’ailes rauques, d’algues salées, échevelées. Brise-lame. La devine de soie ou d’huile, d’écume, d’ambre. Bonace. Embellie. La veut profonde, irrécusable. Chérit la perte et la tourmente. Dénombre les crêtes, les clapotis. Elle se meut au rythme des équinoxes. L’océan a fait main basse sur sa vie pétrie de terre.

 

Randonneuse

Elle s’en va parfois. Loin des autres, tous. Se donne congé, se livre à elle-même au ventre d’une maison très étrangère, le long d’une berge, au feuillu des forêts. Se retire pour éprouver si la vie la traverse encore. Faut-il émonder, greffer, tailler ? Table rase. Autour d’elle, murmure, soupçons. Elle n’en prend pas ombrage. Qui éclairerait-elle si elle n’y voyait plus ? Elle glisse en ses limbes. En remontera un fil ténu ou de bruissantes étoiles.

 

Ourdisseuse

Submergée, débordée sur tous les fronts, réduite. Le corps est grand ; il outrepasse le sien. Et cependant il tient en elle, s’enracine au très creux d’elle. Elle sait ce qu’elle trame à laisser s’enfoncer en elle la nomade, à l’arrimer solidement. La sorcière des sources ; la preneuse, la donneuse. Elle ancre le courant, elle assure l’héritage, elle joue le jeu en chaîne. S’incorpore. Elle élèvera, pour la mort et pour la vie, les petits qui surgiront de ce corps ivre dans le sien.

 

Aimée-aimante

C’est une femme de soie sauvage. Poreuse sous les mains savamment tendres. Une femme de collines et de combes, de feuillages, de mousses. Une ligne sinueuse et volutes et voluptés. Sucs et salives, écartèlement vertigineux. Elle, disloquée, réunie. Une femme très loin, à héler, harponner. Très proche à pétrir, goûter, savourer. Une femme d’espace amoureux saturé de miel et d’ombres intimes, de fière approchée, de tressaillement secret. Rauque et luisante dans la rumeur du plaisir imminent. Tambour de la jubilation.

(Le recueil Singulières et plurielles, paru aux éditions Desclée Brouwer en 2002, est inclus dans le volume anthologique Feux dans la nuit, Fédération Wallonie-Bruxelles, collection Espace Nord, 2012)




EMMANUELLE K.


Emmanuelle K, choix d'André Chenet


Nocturne 1

La nuit fleurtille avec le toc.
Les Zigouifs vont
de ci de là
Bavette en vrac et clapotant

Un touriste éperdu zigzague
vers le bar
et disparait
 

« Ni chaud ni froid” dit le colonel au général
Tandis que pleure une chanson latine
sentimentale
à en crever.
 

« Ni chaud ni froid” siffle l’oiseau qui passe
un des derniers
à t’avoir vu sourire.
 

« Ni chaud ni froid”, chanson de cimetière !
disent les morts qui la connaissent bien.
L’oiseau se tait et tombe en flèche
ou flèche en tombe
une fois n’est pas coutume.

La chanson latine s’éraille 
-les temps lui sont hostiles-
 

« Ni chaud ni froid” dit le colonel au général.

 

Emmanuelle Kin "L'oiseleur"

 




GASTON MIRON


Gaston Miron, ces poèmes sont toujours d'actualité dans ce Québec qui réclame toujours son identité à part entière dans cet automne propice aux changements, choix de Gertrude Millaire

Été Indien

Au bord du tapis volant des autoroutes
dans le cours de l'automne alchimique
nous faisons l'amour d'aussi loin que longtemps
avec des conséquences hors du monde
puis nous avons quitté nos corps d'apesanteur
cet amour au noir dans une vie à l'autre
je vis depuis une blessure à tête de phare
par delà le tintement des choses éteintes...
 
[Poèmes épars, l'Hexagone, p.55]

**

Octobre, Le visage de la flagellation


L’homme de ce temps porte le visage de la Flagellation
Et toi, Terre de Québec, Mère Courage
Dans ta Longue Marche, tu es grosse
De nos rêves charbonneux douloureux
De l’innombrable épuisement des corps et des âme

Je suis né ton fils par en haut là-bas
Dans les vieilles montagnes râpées du Nord
J’ai mal et peine ô morsure de naissance
Cependant qu’en mes bras ma jeunesse rougeoie.
Voici mes genoux que les hommes nous pardonnent

Nous avons laissé humilier l’intelligence des pères
Nous avons laissé la lumière du verbe s’avilir
Jusqu’à la honte et au mépris de soi dans nos frères
Nous n’avons pas su lier nos racines de souffrance
À la douleur universelle dans chaque homme ravalé.

Je vais rejoindre les brûlants compagnons
Dont la lutte partage et rompt le pain du sort commun
Dans les sables mouvants des détresses grégaires 

Nous te ferons, Terre de Québec
Lit des résurrections
et des mille fulgurances de nos métamorphoses
De nos levains où lève le futur
De nos volontés sans concessions.
Les hommes entendront battre ton pouls dans l’histoire

C’est nous ondulant dans l’automne d’octobre
C’est le bruit roux des chevreuils dans la lumière
L’avenir dégagé, l’avenir engagé.

( L'homme rapaillé, Gaston Miron)






Coup de coeur de 

  Éliette Vialle, Dana Shishmanian,
 Gertrude Millaire, André Chenet 

  Octobre 2012

Pour lire les rubriques des anciens numéros :

http://www.francopolis.net/rubriques/rubriquesarchive.html