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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

OCTOBRE 2014

Henri Michaux
Pascal Chaussé
Felwine Sarr
 Anderson
Dovilas
Cee Jay




HENRI MICHAUX

Henri Michaux, poète française, choix Dominique Zinenberg

Deux des poèmes de Michaux tirés de Lecture par Henri
Michaux de huit lithographies de Zao Wou-Ki.

III
Un vol d'oiseaux fonce sur la vallée.
D'une bourrasque du ciel,
d'un gros orage lenticulaire,
l'escadrille surgit.
Il y a un énorme blanc,
dessus,
dessous,
de côté,
partout,
un blanc de deuil.
Des arbres affairés cherchent leurs branches arrachées qui éclatent,
des arbres affolés,
des arbres comme des systèmes nerveux ensanglantés.
Mais pas d'êtres humains dans ce drame.
L'homme modeste ne dit pas: « Je suis malheureux. »
L'homme modeste ne dit pas: « Nous souffrons
Les nôtres meurent.
Le peuple est sans abri. »
Il dit : « Nos arbres souffrent. »

VI
Ce n'est pas étrange,
une maison transparente,
ni qu'elle n'ait qu'une solive et quelques poutres,
ni que tout la traverse,
que même la boue du chemin la traverse et
le fourmillement des poussières de l'air aussi la traverse.
Qui possède meilleure maison à présent?
Mais les arbres sont là.
Derniers compagnons,
experts en l'art de la résurrection.
Une échelle auprès d'un.
On veut donc encore arriver à quelque chose!
Cependant, personne,
à moins que ce terrain confus,
couleur de minerai de fer (gare au travail) ne soit troupeau humain,
foule des absents d'eux-mêmes,
foule des futurs encore mal informés.
Impossible en effet de saisir les visages.
Il faut attendre.
L'époque abonde. L'époque met au monde.
Elle n'est pas encore signée.



** Voir aussi - Francosemailles- octobre 2014
  Jeux d’encre, trajet Zao Wou-Ki, Henri Michaux,
l'échoppe & La maison des amis des livres (1993)


PASCAL CHAUSSÉ

Pascal Chaussé, écrivain québécois, choix  Gertrude Millaire
la poésie se love au coeur d'un roman science fiction, parfois,
et nous emmène à la réflexion !

.... la rivière à damier...

" les parties calmes de l'étrange damier de la rivière étaient d'un bleu apaisant, tandis que les parties tumultueuses de la rivière étaient blanches comme l'écume, malgré la pénombre.
...
Les contours étaient précis comme si un artiste s’était servi d’une lame très fine pour tracer des cellules parfaites. Un regard sur la rivière suffit à Robin pour la comprendre beaucoup mieux que tous les écrits qu’ils avaient lus ou que tous les témoignages qu’il avait entendus. Pourtant reconnu comme l’un des meilleurs conteurs de sa profession, Robin était incapable de trouver les mots justes pour décrire ce qu’il voyait. Il n’observait pas un phénomène, il le vivait. C’était plutôt, se dit-il, la rivière qui semblait être vivante et qui lui accordait l’immense honneur de communier avec lui, de lui transmettre sa grâce, sa beauté et sa vitalité. Elle le faisait avec une douceur extrême, dans un langage visuel, mais en même temps, elle criait une rage sonore, incommensurable où l’on sentait toute la lutte de l’univers. Robin eut le pressentiment que la rivière tentait de lui dire quelque chose.
...
Robin n'eut pu dire combien de temps il resta planté à cet endroit. Quand il leva les yeux, il vit l'autre rive au loin et il se demanda en ce moment si le peuple qui habitait de l'autre côté, lui ressemblait. Peut-être que chacun des peuples était comme les damiers de la rivière et que la rivière elle-même était le lien immuable permettant de tenir les peuples séparés, pour éviter que le monde n'explose.
....
Le simple fait de savoir qu'un seul représentant de ce peuple, les Zôts, pouvait partager avec lui la même vision de cette rivière déchaînée lui apportait plus de questions qu'il ne s'en était jamais posées. S'ils étaient capable de partager la vue de cette rivière, Zogs et Zôts  devraient être capable de partager autre chose. La rivière n'était-elle pas plutôt un lien qui aurait dû unir les peuples et qui criait son impuissance depuis des millénaires ? "

très court extrait (ch.8) de Zog de Pascal Chaussé, La nouvelle édition, Marcel Broquet.

Le Zog Facebook


FELWINE  SAAR

Felwine Sarr, écrivain et poète Sénégalais, choix de Karim Cornali


Le Chemin

Les maîtres du bavardage haranguent la foule et montrent la voie.

Seul sur le sentier de ta conviction profonde, chemine.

*

Tu ne le trouveras dans aucun parchemin.

Il se révélera à toi, si tu sais soulever les pans de ton âme.

*

Ta voie est un sentier qui ne fut jamais emprunté, une herbe haute qui n’attend que tes pas pour s’aplatir.

 

Extrait de Méditations africaines, Editions Mémoire d’encrier, 2012.

  
 ANDERSON  DOVILAS

 Anderson Dovilas, poète haïtien, choix Dana Shishmanian
Entre nous

J'ai connu la mer autrement
Et j'ai connu tes yeux ronds
De bleu
Loin d’une prière
Laisser pour contre
Cette route sûre tracée sur des flots
De bonheur indicible
Cette tranche de toi
Entre les siècles
Tes mains ont surmonté les âges
De façon sublime

Tu ne pouvais
Comme les larmes
Te cacher sous la pluie
Comme l’ombre
Compter sur des rires
Tu ne pouvais non plus
Laisser les bains de sang
Rouiller ta force
Nuage
Écume
Et poussière

De maux en jours
Nous avions fait l’amour
Comme un poème
À quatre strophes
Sans point-virgule
A l’état de nature
Sans hypothèse de grande chaleur
Nous étions sans être
Et sans égard
Ce n’était ni un sonnet
Ni une ballade
A deux ailes
Ce n’était qu’un culte de fou
Au bord de la rivière grise
Avec très peu de métamorphose
Pour oublier les soupirs

Et le bruit des fusils.


tiré de son recueil "Mémoires d’outre-monde" (Harmattan, juin 2014)
...c'est le sang de son peuple, qui s'élève soudainement au détour des vers, tel une lame de fond, rasante et bouleversante, projetée par un océan en feu. Son programme littéraire est étroitement lié à un projet de société.



CeeJAY

 
      CeeJay, vit à Paris actuellement, a étudié à Bruxelles, choix Éliette Vialle

 L’Initiation.

J’ai la gamberge en tête
En arpentant la brume
Aux goûts amers de fétides fragrances.
Murmure de mots sourds.
Du portail de l’âme ils s’échappent
D’entre mes lèvres scellées.
Je ne me trace aucun chemin
Et n’ose déciller les paupières.
Les mots me montrent où diriger mes pas.
Ainsi équipé je poursuis leurs chemins
Comme un nageur en eau peu sûre
Apeuré de voir apparaître la peur.
Grimé de suie et de cendres
Camouflé à l’urbain des banlieues
Éviter de voir en quoi je marche.
Entre les cils je scrute la course des astres
J’évite les murs pour ne pas me tacher
Au sang de leurs viscosités puantes.
Seule l’ouïe est en éveil
Dans cette traversée désertique
De l’initiation silencieuse au futur.

cf facebook

Coup de coeur
 
Dana Shishmanian, Karim Cornali,  Éliette Vialle,
Dominique Zinenberg, Gertrude Millaire  
Francopolis, octobre 2014

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