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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

SEPTEMBRE 2012

choix de Gertrude Millaire...      Juliette Clochelune (Schweisguth)
choix d'Eliette Vialle
...             Etienne Paulin
choix de Dana Shishmanian...   Clochelune
choix de Michel Ostertag
...      Clochelune
choix d'André Chenet...           Chris Marker
    

                               



ETIENNE PAULIN

M
Etienne Paulin, extraits de mon recueil de poèmes Voyage du rien,© éditions Henry, 2011. (Éliette Vialle )

Flaque

tout mon passé s’est répandu
non seulement le carrelage
ne dira rien
mais aux dortoirs aux laveries
quand palabrait le grand soleil
palissade gradin
dernier recoin d’un grand hublot
qu’importait de tout dire

**
Page d’un manuel

on dit l’heure on ne dit pas
le temps qui passe. on dit les corneilles
les néfliers les calvaires on ne dit pas le
temps qui passe. on dit l’orage et le roulis on ne dit pas
le temps qui passe. on dit les renforts les mégères les
sangliers les palliatifs on ne dit
pas le temps qui passe. on dit la bouche de l’automne on
dit les écluses les rabots la Cornouaille on ne
dit pas le temps qui passe. on dit l’air absent que prennent
les fauves on dit l’âge des masures celui de la marraine on
ne dit pas le temps qui passe. on examine la rature
le décrochage la lézarde et les joliment tristes remuements du ciel
on ne dit pas le temps qui passe.

**

Soleil peint

Chirico, Mystère et mélancolie d’une rue
lors de l’étrangère enfance un kiosque
de métal et de briques de banale industrie
un hidalgo peut-être
un beau soir y dansa mais
décidément c’est sous une arche que nous sommes
depuis l’enfance ankylosés sous l’arche
depuis l’enfance nous mourons
de décrets
de brouillards
de remarques légères
ni bijou ni fougère
comme si rien personne –
l’étendue folle jamais
jamais la buée dans quoi vivre
ni les instants bâtis par la forêt
que démet le temps mauve
admirons comme s’égosillent
les arcades de Chirico
– à tes pieds c’est trop loin
dit la ligne de fuite –
devant un soupirail inouï tu restes gourd un peu ta main
muette appelant
tant d’endroits dont un kiosque perdu

Sillages 1
dimanches liquoreux issus de fonderies funèbres
je suis dans votre ventre et crains tous vos silences
vos paysages me torturent bêtes béants dimanches
l’avez-vous fait exprès ce ciel anéanti ourlé de remontrances
tout est fermé depuis la mort et les banals trésors
même les troncs d’arbres même les pélicans du clair de lune
de la fumée roucoule sous vos pas où s’amassent des glaires d’ombres
si j’étais peintre j’irais dormir sous une toile irréversible
pour échapper à vos mains alanguies et ne rien voir de vous
dimanches de suie balayés d’averses invisibles
dimanches d’orchestre balourd et triste
grossiers sempiternels et jamais sans nuages
dimanches
qui boitiez
contour de l’oeil
au moment presque de s’éteindre
vacarme affligeant à prescrire
pâles pâles dimanches
tout en supputations

**

3
c’est l’amarrage il n’est plus temps de croire aux saulaies aux trésors
l’interminable matinée aux allures gercées de banquise
voit des départs
tous les premiers gisants sont là en fête crispée considérant
le sillage à venir
partout bien sûr on pleure car c’est pleurer qu’il faut de pleurer que l’on parle
il n’est plus temps d’être aux ogives aux enfants aux destins ralentis
c’est l’amarrage interminable
et dépeuplé la banquise pour jamais s’use et le désordre est de saison
demain sera la mer tranquille demain des néfliers vainqueurs
des oraisons à chaque pli du visage
on parle des gens décident et puis retournent ils vont ils vont les gens
et s’enlacent et s’enlisent et perdent toujours
c’est pour bientôt autrefois l’amarrage
guetté matin de grands navires immuables perdus
déjà peinant geignant au-dessus de la mer
le contre-chant plein des gaîtés d’hier
partance maudite ô sillage paresse de la mer enrouée c’est l’amarrage
matin de devantures mémoire proche et sinueuse et rauque

Etienne Paulin, né à Angers en 1977, je vis actuellement dans l’Aube.




JULIETTE SCHWEISGUTH

(CLOCHELUNE)



Une pensée pour toi, chère amie Clochelune, en cet anniversaire de ton envol. Tu nous manques sur le Comité et ton silence laisse un trou dans le tissage de mon quotidien. (Gertrude Millaire)




une année s’éteint
dans mon cœur un oiseau bleu
s’ouvre


dans la cheminée
ce tas de lettres froissées
mes rêves aussi


un homme de l’espace
dans un hamac se prélasse
le vent l’efface


***
Spécial Clochelune
Numéro septembre 2011 (1973-20111)
Coup de coeur  de ses amis  (2011)
Parution de "Mon ombre épaisse et lente' aux Éditions Pippa en 2012




  CLOCHELUNE

Cette sélection en hommage à la fée Liette Clochelune, que je n’ai pas connue, dont je découvre avec émerveillement les haïkus tels de petits pas furtifs et inspirés dans le royaume de la poésie et de l’âme, celui qui ne disparaît pas avec le corps… (Dana Shismanian)

Les pas de Clochelune

un petit pas

de l’an passé à l’an qui vient
un peu de thé ?

nuages, nuages
ma sieste dans le jardin
flotte dans le ciel

après la pluie
le goût de la cerise
grignote ma bouche

le chat
écoute tomber la pluie
lèche mes larmes

neige à la fenêtre
le chat cherche à attraper
son odeur

vite un homme court
et percute dans la nuit
le jour endormi !

du pan de mur jaune
jaillit
mon ombre épaisse et lente

tombe la neige
le chat veille un arbre mort
l’ombre disparait

dans le fossé
elle s’est écrasée
mon âme

une larme
cueillie ce matin
sur la rose à naître

coquille vide
sur le bord du chemin
puis-je t’habiter ?

une année s’éteint
dans mon cœur un oiseau bleu
s’ouvre

(Extraits de Mon ombre épaisse et lente, recueil de haïkus de Juliette Schweisguth (1973-2011),
éditions PIPPA, mai 2012.
)




CHRIS MARKER


Chris Marker, s’est attaché en 60 années de travail à observer avec une curiosité, un discernement méticuleux, une ironie caustique et souvent amusée, voire avec colère, les vicissitudes de l’histoire mondiale tout autant qu’individuelle. Au centre de sa réflexion figurent la mémoire, le souvenir, la nostalgie du temps passé réinventé mais à jamais disparu. « Chris Marker, c'est un peu le plus célèbre des cinéastes inconnus. » (André Chenet)

[…] Certes, quand on voit une assemblée de poètes, c’est toujours un mauvais moment à passer. On peut évidemment vénérer le miracle, le détour par lequel tant de rabougris, de prognathes, d’égoïstes, de barbus, de podagres, de rentiers, d’asthmatiques, de pédérastes, de bigles et de menteurs sont tout cela et poètes, sans parler de cette sous-classe bilieuse, rancuneuse, vert-de-grisée, pingre et médisante où se recrute le poète catholique. Et c’est un grand poète. Et le bedonnant nous parle d’amour comme personne. Et le mondain jaunâtre, grinçant et monoclé, nous parle de la solitude. Et le millionnaire nous parle du dénuement. Et le partisan, de la liberté. Et la vieille tante, de la pureté. Et ils n’inventent pas, ils sont véridiques, on ne peut pas leur en vouloir. Seulement, comme leur vue risque de causer des dommages irréparables à l’image qu’on s’est faite de leur personne, comme on n’a pas tous les jours un Lorca qui ressemble à ce qu’il écrit, comme on risque à chaque instant de tomber sur l’affreuse photo d’Apollinaire en tourlourou 1900, ou d’apercevoir dans le métro les bajoues et les mamelles de la grande lyrique dont vous rêviez, un remède s’impose : cachez donc les poètes !

Oui, je rêve d’un anonymat complet de la poésie, aussi inavouable que l’appartenance aux services secrets, aussi dangereuse, aussi numérotée. (« Avez-vous la dernière plaquette du 1173 ? – Non, il ne donne plus signe de vie. Par contre, le 1414 s’affirme comme un de nos meilleurs agents. Lisez-le donc. – Et le 7521 ? – Il est brûlé. ») […]

(Revue Esprit n° 162, décembre 1949)


***

Chris Marker, né Christian-François Bouche-Villeneuve, le 29 juillet 1921 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et mort le 29 juillet 2012 est un réalisateur, écrivain, illustrateur, traducteur, photographe, éditeur, philosophe, essayiste, critique, poète et producteur français.

Pour le grand public, son œuvre renvoie à ses films majeurs : La Jetée, Sans Soleil, Le Joli Mai, ou encore Le Fond de l'air est rouge, pour l’essentiel des documentaires définis dès le départ par André Bazin comme des essais cinématographiques.

Cependant, son œuvre d'ensemble ne se limite pas aux œuvres signées Chris Marker : le réalisateur français a tout au long de sa carrière activement collaboré avec d’autres réalisateurs, écrivains, acteurs, artistes ou simples ouvriers : de Costa-Gavras à Yves Montand, d’Alain Resnais à Yannick Bellon ou Alexandre Medvedkine, de Jorge Semprun à Benigno Cacérès, d’Isild Le Besco à Mario Ruspoli, de Joris Ivens à Haroun Tazieff, de William Klein à Mario Marret, d’Akira Kurosawa à Patricio Guzman.

Chris Marker s’est attaché en 60 années de travail à observer avec une curiosité, un discernement méticuleux, une ironie caustique et souvent amusée, voire avec colère, les vicissitudes de l’histoire mondiale tout autant qu’individuelle. Au centre de sa réflexion figurent la mémoire, le souvenir, la nostalgie du temps passé réinventé mais à jamais disparu.

*
Il venait d'avoir 91 ans hier. Artiste polyvalent, tour à tour écrivain, photographe, illustrateur, philosophe, critique et poète, Chris Marker se faire connaître en 1962 en réalisant un court-métrage intitulé La Jetée, un "photo-roman" emprunt de poésie, qui restera à jamais gravé dans les mémoires de cinéphiles du monde entier. En 26 minutes de montage photographique, il bouleverse l'histoire du cinéma. 
(Gilles Jacob, le 30/07/2012)

(Lire sa bio sur Wikipedia)



CLOCHELUNE


Juliette Clochelune, le 22 juillet 2011, nous apprenions avec tristesse la disparition de Juliette Clochelune. Un an déjà et toujours présente dans le cœur des francopolistes. De Juliette, je voudrais montrer le talent qu’elle avait de composer en trois lignes un univers poétique, un moment arrêté, comme en suspend dans l’air. L’art du haïku était son domaine de poésie, elle y était toute entière. Son nom est associé à cet art si particulier : trois lignes, un peu comme une goutte d’extrait de parfum. Pour nous embaumer l’âme ! (Michel Ostertag)

Chambre d'hôpital
l'enfant compte les étoiles
s'endort avant dix.

L'escargot hésite
d'une antenne puis de l'autre
soulève la pluie.

La tortue tordue
traces dans sa carapace 
des étoiles stables ?

Petite araignée
suspendue au fil de nuit
la lune est tissée.

Cachées sous le lit
les pattes blanches du chat
guettent le bon rêve

Le chat noir et blanc
découvre l'appartement
et le jeu des ombres.

Cachées sous le lit
les pattes blanches du chat
guettent le bon rêve.




Le chat noir et blanc
découvre l'appartement
et le jeu des ombres.


Sur ma fenêtre, ô
un oiseau lave ses plumes
pleines de quels vols ?


Bruits de neige et d'encre
frôlements d'âmes et d'ailes
deux papillons s'aiment.


La fleur d'amertume
croît dans le terreau des rêves
meurt quand l'homme y croit.


Un pétale
tombé dans ma main
marcher vers quelle fleur ?


*******
Dis, coquille vide
en bordure du chemin
puis-je t'habiter ?

Vite! un homme court
et percute dans la nuit
le jour endormi.

Dragons araignées
en pyjama dans son lit
il combat ses ombres.

Ombre sur le sable
à quel être es-tu liée
toi qui semble libre ?

A l'encre de sable
le rêve du grain de pierre
écrit ta prière.

Fraise et chocolat
le goût du premier baiser
ça ne fond jamais.

Des fleurs dans la tête
brins d'herbes au bout des doigts
notes de print





Coup de coeur septemre 2012 

  Eliette Vialle - Gertrude Millaire - André Chenet
Michel Ostertag - Dana Shismanian

 

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