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Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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 GUEULE DE MOTS –ARCHIVES

(2010-2017)

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifCE MOIS DE DÉCEMBRE 2017

 

Libre parole

à la poésie dans le métro…

Balades urbaines de Dana Shishmanian

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                   Ci-dessus : graffiti de Da Cruz, rue de l’Ourcq (photo 2012).

Notez que vous pouvez admirer quelques unes des œuvres de cet artiste exceptionnel à la Galerie de la ligne 13, jusqu’au 14 décembre inclus (13, rue Condamine, Paris 17e).

 

L’homme à la serviette

 

Il est recroquevillé sur sa serviette gonflée comme une panse

modeste timide tout voué à ses affaires

il n'embête personne

ne regarde pas autour

s'excuse d'exister

d'être assis là à prendre la place de quelqu'un

mais n'en déplaise à ces messieurs-dames

il a une mission bien à lui

c'est de veiller sur la serviette

elle contient les secrets des chefs

les dossiers du bureau

les affaires du château

les sentences du Bon Dieu

les complaintes des innocents

les testaments des perdants

les confessions des brigands

gardien de ce qui ne le concerne pas

son devoir d'ignorance est sa dignité

son silence – sa garantie

le néant est sa patrie

Il disparaît tout d'un coup

ni vu ni connu

tandis que le métro continue

d'avancer dans son trou

 

 

Jeune fille aux écouteurs dans le métro

 

Fatiguée...

lasse de vivre...

d'aller à la fac au boulot ou ailleurs

belle comme un cœur

à quoi bon

oreillettes enfoncées pour étouffer

le dehors

entendre sans écouter

le bruitage rythmique d'un groupe quelconque

étouffer ainsi

le dedans

mâcher du chwing-gum

les yeux fermés

absente à tout

gestes vides d'esprit

tels les mouvements mécano-chimiques

d'un comateux déclaré mort cliniquement

et pourtant

en passant près d'elle pour descendre du train

j'ai vu ses yeux entrouverts

me regarder

aqueux visqueux sans relief sans profondeur

néanmoins vivants

la lueur d'une aube pressentie

d'un regard à venir

s'est déposée sur mon visage

et je lui ai répondu

 

 

Vivre caché

 

Vivre caché

terré à même l’asphalte des rues

il est perméable

vous pouvez vous y enfoncer

personne ne vous voit plus

on vous marche dessus sans s’en rendre compte

parfois un bout de godasse

dépasse

la forme dans laquelle vous gisez

comme dans un cercueil de verre

on se prend les pieds dedans

on vous lance des mots d’oiseau

non pas à vous

vous on vous connaît pas

mais à cette merde d’objet

qui gêne le passage

 

J’ai entendu un jour une demoiselle

qui s’était pris le croche-pied

de votre tête

faire éclater des jurons aussi rustres

que ses jambes furent gracieuses à se déployer

lorsqu’elle tomba sur son derrière

en fait elle rendait la mairie responsable

du mauvais état des trottoirs

elle promettait de porter plainte

au Procureur de la République

les fonctionnaires voyez-vous

sont des foutre-rien

à se branler à longueur de journée

au lieu de nettoyez moi tout cela

au karcher

quels temps on vit ma chère

quels temps

 

Alors vivre caché c’est le bon choix

du moins on pourra pas vous dire demain

Toi aussi tu as participé à l’avènement des loups

dans la bergerie

et tu dormiras comme un mouton

dans le ventre de sa mère

dont tu n’auras cure

si c’est une brebis ou une louve

 

Gueuledesmots-Dec2017-2.jpg

 

Omnivore

 

La poésie oui maintenant et toujours

le questionnement du « que dit le poème »

comme si dire était la question

ou pour qui ou pour quoi – erreur !

Gargarisez-vous d’objets directs et indirects

de propositions finales concessives consécutives incisives

vous ne savez pas de quoi vous parlez

vous devriez manger c’est tout

la poésie elle mange de tout

c’est une omnivore

une porcine

ne recule devant rien

fait pas la fine bouche

s’en fout des expérimentations de style

des dires et des pires

excès de non versification

des entourloupes et sophistications

manger et boire se mouvoir baiser cracher

c’est cela l’humaine aventure

surtout aller voter

choisir entre des bouches cracheuses de paroles mitraillettes

 l’une plus égale que l’autre

oui il faut digérer tout cela

jusqu’à la combustion interne

anéantir le composte par le feu

stomacal

ne le saviez-vous pas

elle est aussi

bio-pyromane

 

Extraits du recueil Néant rose, L’Harmattan, novembre 2017

(collection Accent tonique).

Ci-dessus : graffiti de Da Cruz, rue de l’Ourcq (photo de 2012), illustrant la couverture du recueil.

 

Décembre 2017