Naufrage
Déluge
d’eau pluie droite continue telle une vague verticale
surélevée par la mer en prolongement de ses
lames de fond
ciel et terre s’unissent pour vous
broyer
pauvres rejetons de ce monde qui vous
lâche
avant de faire naufrage, ce sont des
hommes qui vous ont noyés
ce sont des congénères qui déversent
sur vous
leurs vagues de mépris et de haine
vous ne comptez pas – vous êtes sans
nom sans métier
sans numéro d’immatriculation à la
sécurité sociale
sans identifiant bancaire sans adresse
postale
sans adresse email sans domicile fixe
le registre des morts ne listera pas
vos noms-prénoms
le registre des ports ne marquera
pas le nom d’un bateau
votre radeau flottant cercueil collectif pont vers la mort
n’était pas baptisé – pas plus que nombre
d’entre vous –
et même ! vos noms de baptême
n’étaient pas inscrits
dans le livre des vivants
sinon, Dieu n’aurait pas permis
que vous ne puissiez même pas être
comptés
mais, dira-t-on, il reconnaîtra les
siens…
Dans
le noir obscur autour de vous lors de votre dernier instant
en vous accrochant les uns aux
autres – hommes femmes enfants
vous étiez un seul corps une seule vie
face à l’abîme d’inconscience qui vous
a happés
vous portiez en vous l’humanité
entière
Nous
sommes des migrants des naufragés trahis par l’espoir
pour durer, il nous faut combattre ici
et maintenant
comme jadis et pour toujours
les démons dissimulés dans nos rangs
Poème
paru dans l’anthologie poétique L’eau entre nos doigts,
dirigée par Claudine
BERTRAND,
Écrits
du Nord & Éditions Henry, 2018
Mai - juin 2018
|