Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 Novembre-Décembre 2020

 

Libre parole à

Dana Shishmanian

 

Trois poèmes coup de gueule

(*)

 

Sur la couverture : « Va nu-pieds, Tête Haute »,

graffiti de rue de Da Cruz (Métro Crimée, 2013)

 

 

Pied de nez

La poésie n’a que faire

de votre politiquement correct

traduit en censure.

Elle se moque de vos dogmes

laïques catholiques politiques économiques

éthiques ludiques civiques et iques et iques

et iques et iques !

Hic et nunc

elle sautille elle frétille

elle s’expose

fait irruption

répartit des baffes dans l’assemblée

nationale

renvoie dos à dos

l’escroc et sa victime

l’angelot et le menteur

fait la danse du ventre s’hystérise

hypnotise

magnétise

plonge ensuite

dans une dépression profonde

se soigne aux antalgiques

aux analgésiques

aux biochimiques

jusqu’à ce qu’excédée

elle empoigne son toubib par le cou

et aille se noyer avec

dans un bassin vide

 

Le lendemain matin au petit déjeuner

elle ouvre le journal 

et s’étonne pour la nième fois

de l’imbécillité des gens

de la folie de ce monde

de la patience de Dieu

Non, elle n’est pas laïque.

 

 

Pas à pas

Vous qui suivez

les saltimbanques

qui accompagnez les clowns de l’État

qui portez la traîne

des dames de pouvoir

qui malaxez la sciure le crachat et la merde

pour en faire la langue de bois de l’ENA

qui performez tous les jours

en costume-cravate tailleur-pantalon

confusion asexuée

d’homosexuels qui se cachent et de femmes qui s’occultent

mieux que sous une bourka

vous les robots des banques

des services des offices des sévices

infligés sur demande

à la chair fraîche

achetée au kilo à la source

 

vous aussi, les gens de bien

passant à côté sans jamais dire rien

préoccupés par vos affaires familiales

par votre boulot votre auto

votre maison de vacances estivale

 

et vous tous autres qui assistez comme moi

impuissants

à la déchéance de l’homme

aux catastrophes de la terre

à l’impassibilité du ciel

 

je vous emmerde

je m’emmerde

que faire sinon se tuer

ou prier

Il n’y a pas d’objet direct

ni personnel ni impersonnel

tout comme il n’y a pas d’sujet

dans la prière, vous savez ?

 

Non ne savez pas

vous en foutez

moi je le sais

mais moi ne suis pas

suis le pas du gué

pas à pas

 

 

Omnivore

La poésie oui maintenant et toujours

le questionnement du « que dit le poème »

comme si dire était la question

ou pour qui ou pour quoi – erreur !

Gargarisez-vous d’objets directs et indirects

de propositions finales concessives consécutives incisives

vous ne savez pas de quoi vous parlez

vous devriez manger c’est tout

la poésie elle mange de tout

c’est une omnivore

une porcine

ne recule devant rien

fait pas la fine bouche

s’en fout des expérimentations de style

des dires et des pires

excès de non versification

des entourloupes et sophistications

manger et boire se mouvoir baiser cracher

c’est cela l’humaine aventure

surtout aller voter

choisir entre des bouches cracheuses de paroles mitraillettes

l’une plus égale que l’autre

oui il faut digérer tout cela

jusqu’à la combustion interne

anéantir le composte par le feu

stomacal

ne le saviez-vous pas elle est aussi

bio-pyromane

 

 

 

 

(*)

Extraits du recueil Néant rose,

L’Harmattan (Accent tonique), décembre 2017

 

Dana Shishmanian

Francopolis – Novembre-Décembre 2020