Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

Mai-Juin 2020

 

Libre parole à

Dominique Zinenberg

 

 

 

LE DEHORS ET LE DEDANS

 

  La présence importe. Voix présentes, précieuses voix à entendre, à écouter. 

  Faire face à ce qui se présente, juste faire face comme on le peut, regard franc, forces concentrées en essayant d’aiguiser son intelligence, son bon sens, sa capacité à la générosité.

  La présence est équilibre entre dehors et dedans.

  Être présent à soi pour être présent pour les autres. Modestement quelques autres.

  Le dehors a ses verrous ; le dedans ses portes ouvertes. Et inversement.

  Il y a dans le dehors tous les possibles y compris la joie, y compris le danger, tout. Le dehors est toujours un ailleurs, même infime.

  Le dedans est infime, mais contient l’infini.

  Faire le ménage pour le dehors (l’extérieur) comme pour le dedans.

  Apprendre à trier. Pas facile. Que d’erreurs constantes dans ce travail de tri. Un vrai tonneau des Danaïdes ! Une vraie pagaille dans ce débarras encombré ! Une vraie caverne d’Ali Baba que l’on chérit, que l’on réclame, qui manque à l’heure du confinement. Ou dont on se désintéresse contre toute attente.

  Je lis La panthère des neiges de Sylvain Tesson et voilà qu’il cite le Tao (Lao-Tseu) et comme je trouve cette citation en résonance avec ce que je cherche, la voilà :

« Devant l’agitation fourmillante des êtres ne contemple que le retour.

  Les êtres divers du monde feront retour à leur racine.

  Faire retour à la racine, c’est s’installer dans la quiétude. »

  Le dehors, fourmillant, le dedans, retour et quiétude.

  L’assise du retour, du dedans. Position droite, tranquille, réservée à la méditation.

  La première phase de la méditation est tri. Acte essentiel que celui du tri. Acte souvent négligé. Cela fait partie de la méthode pour choisir « son » essentiel.

  La racine serait le point fixe de concentration, de méditation.

  La racine ne peut pas être contingente, ni généalogique. Elle ne peut être que l’aimantation vers le dedans ou le haut, le spirituel, ce qui dans l’éphémère ne disparaît pas.

  Nous vivons dans l’éphémère, qu’on le veuille ou non. L’angoisse actuelle est ce réflexe vain qui consiste à tout croire fixé. C’est pourquoi l’on ne cesse de photographier des paysages, des anniversaires, des premières fois, des monuments, les tableaux des expos, enfin tout, croyant ainsi capter le moment, alors même que c’est le meilleur moyen de l’oublier parce qu’on a oublié de vraiment le vivre.

  L’attention et le retrait qui sont les biens les plus précieux que l’on possède, nous les fuyons. Nous voulons le dehors qui semble scintiller, nous cherchons les merveilles à l’extérieur, dispersés dans le monde, voire dans l’univers. Tous les scintillements nous happent, nous fascinent.

  A quand l’attrait du rien, ou du moins du modeste ? Rien ne nous y prépare, rien ne nous y pousse.

 

  Trier : le maître mot.

 

  Nos désirs nous échappent et fuient. Tout prend l’eau dans la catastrophe.

  Confinés, calfeutrés, cachés, masqués, nous sentons bien qu’il nous faudrait nous contenter de l’essentiel. Nous ignorons ce qu’il est. Nos pensées nous empêchent d’y prétendre. Nos discours nous cachent ce que le silence, l’attention, le recoin, l’enveloppement en soi nous diraient peut-être.

  Silence et secret, inséparables. L’enveloppement en soi comme en une carapace imprenable contient le secret, contient l’énigme. Il y aura disparition et épiphanie à la fois, au-dedans.

  Nous voudrions n’être attirés que par l’essentiel. Nous voudrions. Mais comme le dit Pascal « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » et à cause de cela, nous confondons notre désir avec l’essentiel, faisant croire que l’un est l’autre !

  Au fond, nous savons tous ce qu’est l’essentiel : nous le savons par notre éducation, qu’elle ait eu ou non un lien avec une religion et quand quelqu’un nous pose la question « Qu’est-ce qui est essentiel pour toi ? », on va lui répondre aussi selon son essentiel à lui ou pour le moins l’essentiel auquel il semble sensible. De plus, après toutes les leçons de sagesse qui nous ont été rappelées récemment et depuis des mois, il serait bien étrange que l’on n’ait pas retenu quelque idée de l’essentiel et trouvé notre miel à force de les ressasser.

  Est-on si sûrs donc d’être sincères en répondant à la question ?

  Qui aurait l’impudeur de révéler que l’essentiel pour lui serait de gagner un maximum d’argent, de vivre dans le luxe, de ne vouloir que la meilleure table, les plus beaux vêtements, la plus magnifique voiture, un yacht, un jet privé, avoir du pouvoir, en jeter plein la vue etc. ?

  Personne. Ni par écrit, ni oralement.

  Il faut donc s’attendre à des réponses équivalentes de la part de chacun tournant autour de la sobriété, les valeurs du partage, les besoins spirituels, le contentement du peu, une recherche de la modestie.

  Peu à peu nous sommes conduits à l’injonction de Nietzsche qui dit en substance « Apprends à penser par toi-même ». Comment là encore ne pas souhaiter y parvenir ? Qui ne le désire pas ardemment ? Mais qu’est-ce que cela implique ? Peut-être croit-on naïvement penser toujours par soi-même. Qu’est-ce qui entraverait cette possibilité ? Notre éducation, nos préjugés, la pensée ambiante qui sournoisement nous enveloppe et dans laquelle nous macérons sans même nous en rendre bien compte. Cela me ramène à la remarque cinglante de mon professeur de philo de khâgne qui avait écrit comme remarque unique sur ma première dissertation corrigée : « Vous dites ce que vous pensez, mais vous ne pensez pas ce que vous dites. » On pérore, on discourt, mais on pense rarement ! Qu’est-ce qui peut bien aider à penser ?

  Je ne sortirai pas de l’exigence du tri, de la nécessité de faire du ménage, d’apprendre à balayer. On ne saurait négliger cet acte simple, cet acte quotidien et humble qui consiste à balayer, bien avant de prétendre creuser, il faut sans cesse balayer, faire le ménage. J’en suis là. Je ne sais rien faire d’autre.

 

©Dominique Zinenberg

mars-avril 2020

 

Écouter, dans la lecture de Dominique, trois poèmes de son dernier recueil Des nuances et des jours", Edition Unicité, 2020 (voir un groupage dans notre précédent Salon de lecture de mars-avril 2020) :

https://soundcloud.com/davedfx/sets/voix-texte-dominique-zinenberg

 

 

 

Dominique Zinenberg

Francopolis – Mai-Juin 2020