NEVER GREEN
AGAIN
Il fallut agir vite.
Face à la menace imminente, des
mesures exceptionnelles furent prises par les pouvoirs publics : on
déracina les arbres, on rasa les pelouses, on arracha les fleurs dans tous
les parcs, jardins, squares, cours intérieures, patios, terrasses, balcons
publics ou privés, bref, on élimina tout ce qui avait un rapport avec le
végétal à l’extérieur mais aussi à l’intérieur, dans les appartements
privés, les maisons de ville, les hôtels particuliers.
Passons sur toutes les autres mesures
contraignantes prises au nom du principe de précaution. Selon les
autorités, un virus très dangereux s’était propagé sur la toile, prêt à
jaillir des écrans, smartphones et autres Ipads,
pour muter en un redoutable poison biologique. Il lui suffisait de trouver,
hors du monde numérique, une cellule hôte végétale dont il utiliserait les
composants pour se multiplier et accomplir sa basse besogne.
Telles furent les explications
officielles des autorités pour justifier les mesures prises.
Après ce nettoyage végétal, la ville
offrit enfin l’aspect d’une métropole digne de ce nom. Plus de traces de
verdure, d’allusions plus ou moins compassées à la nature, la ville
assumait son être de ville à part entière. Les jardins et les squares,
recouverts de goudron firent la joie des jeunes en rollers ou en skates, le
Jardin des Plantes fut rebaptisé Macadam
Garden, on y organisa de grands
meetings vélocipédiques ou motocipédiques. Le
goudron avait gagné la partie. Enfin ! La menace de ce virus exterminateur
scella le pacte du nouveau vivre ensemble entre béton et bitume, refermant
pour toujours la page de Mère Nature au cœur de la ville et tous ces
succédanées écologiques dont on nous avait tellement rebattu les oreilles.
Nous étions entrés dans une ère
nouvelle que l’on pourrait résumer par le slogan « Never green again,
just asphalt for ever ».
D’aucuns cependant se posèrent des
questions sur l’existence de ce virus mutant, d’autant qu’il y avait eu des
précédents. Mais à l’époque, il ne s’agissait que d’une histoire de grippe,
on n’avait pas touché à la ville. À l’époque !
Extrait de
L’homme au banc,
Éditions
Hesse, 2013,
avec des
monotypes de Catherine Seghers
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