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Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifNovembre - décembre 2018

 

Libre parole à

François Minod

 

L’éternité du presque rien

 

Écrire. Pourquoi ? Pour qui ? Pour moi ? Pour l’autre ? Les autres ? Pour qu’ils lisent ? Ce que j’ai écrit ? La belle histoire. Pour qu’ils aiment ? Ou qu’ils n’aiment pas ? Pour qu’ils parlent de moi ? De ce que j’ai écrit.

Écrire donc. Pour moi aussi. Pour l’autre en moi. Pour lui plaire à cet autre, qui est là, en embuscade et qui attend. Je le sais qu’il attend et il sait que je sais et j’attends qu’il se prononce, qu’il donne la permission. Il me regarde, je le sens qu’il me regarde, dans les interstices quand je reprends ma respiration après avoir mis un point à la fin de la phrase,  je le sens qui jauge et qui juge ce que j’ai écrit avant le point. Cet autre en moi c’est lui le lecteur, je veux dire le premier lecteur, le premier encenseur et le premier censeur.

Écrire donc. Écrire comme ça, pour rien, rien d’essentiel je veux dire, rien qui vaille qu’on y aille vraiment pour la cause, oui la cause, leur cause, la cause générale. Celle qui nous convoque. Tous. Plus ou moins. Ça dépend du point de vue. Ça dépend d’où ça cause, la cause, ça dépend de la cause aussi.

On écrit peu sur les petites causes, les causes genre cause du peuple, du petit peuple je précise, le tout petit peuple et sa toute petite cause, sa cause minuscule qui ne vaut presque rien. Presque.

On écrit sur les grandes causes, les causes du grand peuple, genre peuple de Dieu. On écrit des sagas sur ces peuples-là. On fait même des films. Mais sur le petit peuple, très peu de choses, juste des broutilles, oui des études, des reportages, des statistiques, des gens qui parlent, en leur nom, trois fois rien.

Alors écrire ? Pour ces gens-là ? Pour les autres ? Écrire pour les faire rire les autres, tous les autres, ceux du dessus et ceux du dessous, et ceux d’à côté aussi, oui, les voisins de palier et les voisins de ces voisins-là qui sont mes voisins aussi, écrire pour eux, écrire pour tous sans distinction. Et leur dire avec des mots bien trempés, des mots bien de chez nous, leur dire une bonne fois pour toutes.

 

– Tout ?

– Presque.

– Et pourquoi pas tout ?

– Parce qu’il y a le reste.

– Ah ! C’est vrai, j’oubliais.

 

Leur dire presque tout donc. Et ils verront. Et ils liront. Et percevront peut-être... le suspens... le petit rien entre les mots... l’éternité du presque rien.

 

©François Minod