L’éternité du presque rien
Écrire.
Pourquoi ? Pour qui ? Pour moi ? Pour l’autre ? Les autres ? Pour qu’ils
lisent ? Ce que j’ai écrit ? La belle histoire. Pour qu’ils aiment ? Ou
qu’ils n’aiment pas ? Pour qu’ils parlent de moi ? De ce que j’ai écrit.
Écrire
donc. Pour moi aussi. Pour l’autre en moi. Pour lui plaire à cet autre, qui
est là, en embuscade et qui attend. Je le sais qu’il attend et il sait que
je sais et j’attends qu’il se prononce, qu’il donne la permission. Il me
regarde, je le sens qu’il me regarde, dans les interstices quand je
reprends ma respiration après avoir mis un point à la fin de la phrase, je le
sens qui jauge et qui juge ce que j’ai écrit avant le point. Cet autre en
moi c’est lui le lecteur, je veux dire le premier lecteur, le premier
encenseur et le premier censeur.
Écrire
donc. Écrire comme ça, pour rien, rien d’essentiel je veux dire, rien qui
vaille qu’on y aille vraiment pour la cause, oui la cause, leur cause, la
cause générale. Celle qui nous convoque. Tous. Plus ou moins. Ça dépend du
point de vue. Ça dépend d’où ça cause, la cause, ça dépend de la cause
aussi.
On
écrit peu sur les petites causes, les causes genre cause du peuple, du
petit peuple je précise, le tout petit peuple et sa toute petite cause, sa
cause minuscule qui ne vaut presque rien. Presque.
On
écrit sur les grandes causes, les causes du grand peuple, genre peuple de
Dieu. On écrit des sagas sur ces peuples-là. On fait même des films. Mais
sur le petit peuple, très peu de choses, juste des broutilles, oui des
études, des reportages, des statistiques, des gens qui parlent, en leur
nom, trois fois rien.
Alors
écrire ? Pour ces gens-là ? Pour les autres ? Écrire pour les faire rire
les autres, tous les autres, ceux du dessus et ceux du dessous, et ceux d’à
côté aussi, oui, les voisins de palier et les voisins de ces voisins-là qui
sont mes voisins aussi, écrire pour eux, écrire pour tous sans distinction.
Et leur dire avec des mots bien trempés, des mots bien de chez nous, leur
dire une bonne fois pour toutes.
– Tout ?
– Presque.
– Et pourquoi pas tout ?
– Parce qu’il y a le reste.
– Ah ! C’est vrai, j’oubliais.
Leur
dire presque tout donc. Et ils verront. Et ils liront. Et percevront
peut-être... le suspens... le petit rien entre les mots... l’éternité du
presque rien.
©François Minod
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