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Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifSeptembre - Octobre 2019

 

Libre parole à

François Minod

 

Comment ça va ?

 

Je n’ose te poser l’inévitable question et donc je ne te la poserai pas. A part ça... zut j’allais te la poser. On est victime de ses automatismes et sans qu’on s’en rende compte, ils nous agissent. Il faut toujours être vigilant, ne jamais baisser la garde, car ils veillent les automatismes et ils attendent le plus petit moment d’inattention pour s’insinuer comme ça, mine de rien, dans les interstices de la parole.

Donc, je ne les laisserai pas faire et ne te poserai pas l’inévitable question. Je ne me la pose d’ailleurs pas à moi-même, quand je me lève le matin, je ne me demande pas « Alors comment ça va aujourd’hui ? » Non je ne me la pose pas, je ne me la pose plus, car j’ai remarqué que ça ne changeait rien de se la poser le matin. Pire, ça aurait plutôt tendance à favoriser une sorte de... comment dire ? Une sorte d’interrogation générale sur l’état d’avancement de mes petites affaires privées, oui, sur l’état de marche. Comment répondre à une telle question le matin alors qu’on est allé nulle part, on a juste essayé de dormir dans ses rêves ou dans l’oubli, c’est tout, donc la question est incongrue le matin. On ne va pas le matin. Plus tard peut-être, on va... bien ou mal mais on va... à son bureau par exemple on y va bien, parfois moins bien, d’autres fois on y va au ralenti, on y va mal d’autres fois encore lorsqu’on tombe en panne de voiture ou que le RER s’immobilise parce que quelqu’un s’est jeté sur la voie. Dans ces cas-là on peut tout à fait dire «Ça ne va pas » et on a raison car on est arrêté au milieu de la voie donc ça ne va pas, plus que ça même, ça ne va plus du tout, c’est ça qu’on peut dire, mais le matin la question n’a pas lieu d’être, car le matin, au réveil, on ne va pas. Point. Pour le reste ce sont des affaires privées, et on n’a pas à demander à quelqu’un « Ça va vos affaires privées ? » Je comprendrais tout à fait que ce quelqu’un réponde « Je t’en pose moi des questions ? » Je le comprendrais tout à fait car en fait on s’en fout des affaires privées des autres, c’est déjà assez compliqué comme ça ses affaires privées à soi, c’est privé même pour soi ces affaires-là, alors celles des autres... Chacun devrait rester dans ses affaires privées, on y gagnerait tous, c’est mon intime conviction. Pour le reste, c’est autre chose, ce sont des affaires publiques, on peut en parler en public de ces affaires-là, on peut demander en public, sur la voie ou sur un banc :

– Est-ce que ça va vos affaires publiques ?

Rien de mal à ça, au contraire, ça permet de s’intéresser au bien du public, c’est une preuve de civilité, c’est vrai quoi, on n’est pas des sauvages, on s’intéresse au bien du public. Tout ça pour ne pas te poser la question sur l’état de marche de tes affaires privées qui est contenue dans ce fameux « Comment ça va ? » Je ne la poserai donc pas cette fameuse question car elle est privée de pied en cape, totalement et absolument privée, tellement privée que le simple fait de la poser est une sorte d’ingérence dans les affaires de l’autre, en l’occurrence les tiennes, et donc je m’abstiendrai de la poser ladite question, et en resterai là, à la frontière, je resterai sur le pas de la porte, sur la voie… publique où plus tard tu me rejoindras pour discuter de nos affaires... publiques.

 

©François Minod