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 GUEULE DE MOTS –ARCHIVES

(2010-2016)

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifCe mois de mai 2017

Libre parole à…

 

Guy Allix

Poèmes et aveux…

GuyAllix_28052016

 

Le silence ne t’effraie plus

C’est une partie de toi

Levée au dedans du poème

Comme la meilleure part

De ce qui s’énonce encore dans la nuit

Dans le souffle le plus bas

 

N’écrire que là où ce n’est plus possible

 

Le poème ce ne peut être que cette urgence qui te foudroie

 

***

 

Il y a dans le monde

Quelque part

En cet instant même

Une femme qui dort

 

Elle est fragile

Et me rend fort

 

Simplement elle est présente

Et sa présence est devenue toute la présence

 

Une femme parmi d’autres sans doute

Mais elle est elle

Plus femme soudain que toutes les autres

Et s’arrêter près d’elle est un long voyage

 

Et tenir sa main tient lieu de raison

 

***

 

Tous les hommes ont le même âge

Petits ou grands

Jeunes ou vieux

Ils ont le même âge

Déjà morts à jamais

Toujours là à jamais

 

Et tous les poèmes étaient là

Depuis le début

Depuis si longtemps

Que se compte le temps

 

Étaient déjà écrits

Dans une seule goutte de temps

Une goutte infinie

 

Rien ne se dira plus rien de plus

Que tout cela dans cette goutte

 

***

 

Tu es venue de si loin

Tu es venue si près

Ces deux mondes étanches

Et nos deux corps qui se nouent

 

Une rencontre improbable

Et l’évidence de notre étreinte

 

Si loin l’un de l’autre et si près désormais

Que l’univers n’est plus que notre île

 

 

Rencontre

 

Un jour, une devanture de fleuriste dans une petite ville de province. Désœuvré, le marcheur s’arrête, distraitement quand une fleur sidère son regard. Il finit par oser. Il entre et, pour continuer d’admirer cette inaccessible fleur, il commande une rose, rouge. Il règle puis offre simplement son achat à celle qui l’a servi. Sidérée à son tour, elle bredouille quelques mots. Il n’en a retenu que le trouble presque musical  et le sourire qui les portait.

Il ne sait plus ce qu’il a dit, il ne sait plus même s’il a commis une seule phrase. Il est sorti, se retournant une dernière fois pour « fixer le vertige ». Travaillant dans cette même ville, il n’est jamais revenu dans le magasin, n’a jamais tenté de la revoir. Ne l’aura jamais effleurée.

Elle a gardé, peut-être, au plus intime de la mémoire, cette rencontre plus belle d’avoir été, ainsi qu’un rêve, sans lendemain. Il n’est pas sûr que la rose rouge se soit fanée un jour.

 

©Guy Allix, inédits

 

« Le poème, cette urgence qui te foudroie »

Entretien avec Dana Shishmanian

 

D.S. Ayant suivi depuis quelques années ton écriture que l’amie Jamila Abitar m’a fait découvrir,  j’ai été touchée principalement par l’immédiateté du dire, une sortie des mots comme sous l’emprise d’une urgence – le vers cité en guise de sous-titre le dit bien – mais une urgence qui apparaît avec autant de naturel que la poussée d’un arbre, la chute de l’eau, la disparition d’un être aimé, le tremblement de la terre (oui les catastrophes – dans nos vies comme dans le monde – sont toutes naturelles…).  Est-ce toi qui ressens cette urgence de l’expression ou est-ce le poème qui s’accouche à travers toi ?

G.A. Ah merci à Jamila de nous avoir mis en contact ! Oui, Dana, tu as parfaitement raison d’insister sur ce point : l’urgence. Très tôt je crois, le mot est apparu dans mes poèmes. J’avais même créé le néologisme « urger ». On peut lire quelque part : « Ca urge » (Dans Mouvance mes mots peut-être, je n’ai pas vérifié). Je mettrai le terme « urgence » comme synonyme de « nécessité ». Le poème doit naître dans l’urgence, il doit être nécessaire. Trop de poèmes ne le sont pas, nécessaires. Et selon moi, ils ne sont pas alors poèmes. C’est sûrement ce que j’aime aussi dans les meilleurs poèmes d’un Paul Eluard par exemple ou dans les plus purs aphorismes de Char. Mais il convient d’éviter certains écueils. Urgence n’est pas précipitation. C’est tout au contraire. Et là quand tu évoques la « poussée de l’arbre », cela me parle. Il y a bien une urgence dans l’arbre, dans l’origine de l’arbre, dans ce moment où la graine germe. Dans cette poussée à laquelle rien ne résiste d’une certaine façon (oui, un arbre peut même pousser sous l’asphalte, sous des couches très dures, et les transpercer). Il y a cette urgence qui s’allie à la durée et la durée elle-même témoigne de l’urgence, de la nécessaire urgence. Car une fois que la graine a poussé ses premiers mots en quelque sorte, il faut cette longue patience de la terre, même après ces catastrophes que tu évoques. Les premiers mots nés dans l’urgence doivent mûrir longuement.

Sauf peut-être quand la catastrophe, justement, a submergé le temps lui-même. Ce que dit, de façon sublime selon moi, le poème écrit par Eluard le jour de la disparition de Nush :

 « Vingt-huit novembre mille neuf cent quarante-six

Nous ne vieillirons pas ensembles.

Voici le jour

En trop : le temps déborde.

Mon amour si léger prend le poids d'un supplice. »

Quand « le temps déborde », ou tout au moins quand nous sommes dans cette sidération de son débordement (de fait il nous déborde chaque jour), le poème peut venir sur la page avec cette belle, et terrible, simplicité qui dit tant. C’est ce que tout au fond j’essaie, laborieusement peut-être, de dire et de faire. Et comme le poème doit être nécessaire et urgent, il m’arrive d’être de longues périodes sans écrire… Périodes qui ne sont pas pour autant « blanches » comme une page. Je vis, je souffre, je partage… J’aime ! Et cet amour un jour arme les mots. La graine longtemps cachée, silencieuse, germe. 

 

D.S. Il me semble avoir discerné aussi un certain glissement d’une composition musicale complexe, à la limite du baroque, sur l’ensemble d’un recueil, en dépit du dépouillement d’images du texte lui-même (j’ai ressenti cela surtout dans l’enchevêtrement de motifs de Survivre et mourir), vers le chant monodique le plus élémentaire, comme si le dépouillement passait des strates les plus visibles vers la profondeur de l’écriture, là d’où surgit le mouvement musical qui la porte (il y en a toujours un). Est-ce lié à cet effort d’humilité dont tu parlais lors de ta séance de lecture au Territoire du poème, le 27 février dernier ?

G.A. J’ai parlé de « durée » dans ma première réponse. C’est aussi bien parler de musique, cette musique que, toi-même, tu convoques tant dans Le fruit obscur… L’urgence-même, l’urgence seule, c’est le cri. Et c’est le cri qui pousse et qui est poussé. Mais ce cri doit s’inscrire dans la durée. Il faut donner du temps à l’urgence. Dompter cette durée où elle doit s’inscrire. La rythmer. Traces, répétitions, échos… Le terme « motifs » que tu emploies me semble très juste. Il y a le poème-cri et le recueil qui articule le cri. Qui pousse encore plus loin. La musique est essentielle même dans le silence qui cerne la note. Le poète doit composer son recueil, c’est là un travail essentiel qui permet au poème-cri de vraiment rayonner, résonner, d’être proprement en harmonie. Je travaille beaucoup à cela en fait chaque fois que je prépare un recueil. Du reste je n’aime pas ce mot « recueil » qui justement escamote ce travail. Ceci étant c’est toujours un travail inachevé, comme dans la chanson grise verlainienne (j’adore Verlaine !), inachevé car inachevable !

C’est sur ce point, oui, que je retrouve cet effort d’humilité dont tu parles. Et c’est là une tension. Il y a quelque chose de céleste dans la musique, comme un envol, mais nous ne pouvons regarder le ciel qu’à partir de l’ici-bas, qu’à partir de cet « être-peu » que je nomme dans Le sang le soir, cet « être-peu » qu’il faut assumer. Oserais-je dire qu’il faut fouiller l’humus au plus profond pour envisager le ciel. Le poème s’écrit (et s’écrie) les mains pleines de terre autant que de sang. Plus justement : le poème s’écrit les mains propres de terre, car la terre est le propre de l’homme. Il faut tenter d’atteindre cette justesse… inaccessible. J’ai suggéré dans Survivre et mourir que le poème au fond c’est l’impossible. Comme la musique elle-même peut-être. Le poème n’est que l’ombre du poème. La musique n’est que le soupçon de la musique. Mais le poète doit affronter l’impossible et l’échec lui-même.

J’aime rappeler cette phrase de Cadou : « Je ne conçois pas la poésie sans un miracle d’humilité à la base ».

Et je terminerai par cette citation qui m’a véritablement convoqué à l’écriture il y a déjà si longtemps.

« Avec des mots chantés à voix profonde et douce

Avant qu’un peu de terre emplisse notre bouche

Confier à la vie notre lucide amour

C’est là notre travail sans trêve et notre fête

Notre raison de vivre et de mourir poète

Notre ultime et divin recours

Guy-Charles Cros

Je crois, vraiment, que ces deux citations répondent beaucoup mieux à tes questions que je ne l’ai fait avant. 

 

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifpour Gueule de mots mai 2017 :


Guy Allix

Recherche et entretien Dana Shishmanian