Paris en automne
Les mélancolies hantent les bouches de métro, des
asiles temporaires décrépis pour les
sans-abri, des cordes rauques résonnent
sinistrement dans les souterrains en béton desquels se déversent les miasmes de la pauvreté sous
la surveillance vidéo, « sauvez-moi,
monsieur, donnez-moi quelques sous
pour manger », des femmes au visage caché au creux des écharpes, à voix étranglées, traînent
leur humiliation à genoux sur les
dalles froides, des hommes proscrits par
des politiques défuntes jouent leur folie grisés par les vapeurs d’alcool et par les bruits de
métro, des comédiens médiocres de la
misère honteuse face à
l’indifférence du regard, des corps et des âmes aspirés dans le ventre de la mégapolis
vorace traînent sous leurs haillons
rongés par la pierre de l’indolence, cohabitent avec les panneaux publicitaires dans les
souterrains pour ne pas se faire
engloutir par le serpent de la solitude, des clowns du vide dans l’amalgame des races
en concurrence, un homme se drape
d’une couverture blanche comme un
linceul, dans ses regards vides brillent parfois les désespoirs de la folie dévoratrice, un
autre tente de mimer la révolte devant
le roi détrôné de l’Afrique noire,
avec ses pharaons humiliés par des artifices de cabaret, devant toi, au risque de se
faire écraser par manque
d’attention, une jeune mère fait la mendiante, auprès d’elle sa petite qui essaie la
trottinette pour s’enfuir
lorsqu’elle va comprendre le déclin entre des bancs d’un rouge écrasant, des visages de
jeunes filles japonaises se
répandent sur les quais en kimonos ou en
robes de mariée pour un jour à faire la parade, sur des ponts célèbres à prendre des
photos-souvenirs assez rares, un
va-et-vient d’un spectacle cliché, sur le Pont des Arts le dragon bouge en vain sa
queue sous le règne de l’amour
célébré en clips arrangés sur la pellicule
pour suggérer l’innocence ou l’ambiguïté du regard, une jeune fille mannequin aux chaînes
attachées aux chevilles sur le pont
des sermons cachetés aux loquets sur
le parapet, nu-pieds, agite ses cuisses déshabillées, fait réclame aux adidas,
le spectacle entretient
artificiellement l’illusion du mythe métropolitain.
©Sonia Elvireanu
Octobre 2014
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Photo :
©Nicole Barrière
Paris en hiver
Poème pour
deux musiciens, Chim et Cyprès
La Seine
Et ses nuits batelières
Marche en déséquilibre sur le quai
Manche des pauvres gens
Leur attente indifférente
Traversées
Lumières sur Seine
Accrochent aux ponts les guirlandes d'amour
Petits poulbots, ont semé les cailloux sur les berges
Un poète s'acharne sur la scie,
Tire les larmes de ses aïeux
esclaves nigérians et new yorkais
le poète a lâché sa colère
Heavy metal.
La guitare crie dans la nuit
Pauvres et réfugiés accourent à ce cri
Et les passants détournent le regard
Quel est cet étranger ?
Et marchent jusqu'aux gares
Et leurs départs précipités.
La Seine continue son indifférente
traversée.
Nuit ennuitée
Nuit ennuyée
Bateaux fétiches de touristes
la ville voyage d'exil en asile
Un autre musicien a pris le relais au
soleil de la butte
Il chante Villon et Théophile Gauthier.
Il chante les pauvres gens.
Nuit de décembre, d'été en pente douce
Douce doucement descend de la butte rouge où tant de mémoires s'appellent.
©Nicole
Barrière
Décembre 2016
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