PALIMPSETE OU LES
COULISSES DE L’HISTOIRE
– Je t'ai vu, tu essayais de me gratter.
– Moi?
– Oui
toi, tu essayais de m'effacer en me grattant.
– Mais...
– Il n'y a pas de mais, tu voulais
m'effacer et prendre ma place, en me recouvrant.
– Non, non, je voulais simplement
dire avec mes mots d'aujourd'hui ce que tu disais hier.
– Tu croyais sans doute que je ne
m'en apercevrais pas?
– Mais tu es toujours là, en
filigrane.
– Tu parles, il faut vraiment
arriver à me trouver après tout le nettoyage que tu as fait. Heureusement qu'il me reste un peu de quant à soi,
sinon il y a longtemps que j'aurais été totalement effacé, éliminé de
l'histoire.
– Notre histoire.
– Tu
n'en as rien à faire de notre histoire. Ce qui t'intéresse, c'est d'écrire
l’histoire en faisant comme si.
– Comme si quoi?
– Comme si c'était la tienne pardi.
On appelle ça du plagiat.
– Ou du pastiche, peut-être. A moins qu'il ne s'agisse de parodie. Ou de
transformation.
– Transformation de quoi?
– De toi, la source, l'original.
– Et pourquoi vouloir me
transformer?
– Parce que c'est la vie,
l'évolution, l'histoire justement.
– Et moi, l’original, là-dedans,
qu'est-ce que je deviens?
– Toi, tu es, comment dire ?
L’Odyssée
et moi je suis Ulysse, tu me suis?
– Hum...
– Pas d'Ulysse sans L'Odyssée.
– Encore faut-il qu'on le voit
L'Odyssée.
– Pas la peine, il est présent.
– Où ça?
– En dessous, justement. Ya qu'à
gratter un peu.
– Et si on ne gratte pas?
– Tant
pis pour eux.
– Qui eux?
– Ceux qui ne prennent pas le temps
de gratter.
– Ils
ne me verront pas?
– Non, car ils ne te méritent pas.
– Donc tu es en train de me dire que
pour lire toute l'histoire, il faut gratter.
– En quelque sorte oui.
– Gratter jusqu'à l'original?
– Quelle histoire!
– C'est le cas de le dire. Une
histoire hypertextuelle.
– Hyper quoi?
– Non rien, on verra ça plus tard
avec Genette*.
– D'accord, je retourne dans mes
coulisses.
– De l'histoire ?
– Exactement.
* Gérard Genette :
critique littéraire et spécialiste de narratologie, auteur, entre autres,
de Palimpsestes, la littérature au
second degré, Paris, Seuil, 1982
©François Minod
texte inédit
Mai - juin 2018
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