François
Minod
Bonjour Isabelle, tout d’abord,
j’aimerais te dire que j’aime beaucoup la fluidité, la simplicité de ton écriture. Sans oublier l’humour,
voire l’ironie et la tendresse pour tes personnages
Les
univers que l’on découvre dans tes ouvrages
sont des univers de la vie quotidienne où tu mets en scène des
personnages souvent masculins (Grégoire, Benjamin, Martin, Barthélémy…) qui
se posent des questions sur leur existence.
Quel est le lien entre ces personnages ?
Isabelle Minière
Ils sont différents et
ressemblants. Leur parenté c’est une sensibilité, souvent de l’autodérision, un côté
parfois un peu décalé (surtout Grégoire). Leur grande parenté c’est
qu’ils me sont venus, ils sont issus de mon imaginaire. C’est difficile
d’expliquer soi-même cette parenté.
Et pourtant, tu viens de le
faire…
Oui, en
fait, ce sont souvent des humbles,
ce ne sont pas des arrogants. Quand on passe beaucoup de temps avec un personnage, autant le passer avec quelqu’un qu’on
aime bien plutôt qu’avec un personnage arrogant, antipathique, macho,
désagréable. C’est peut-être une des clés du choix de mes personnages.
D’où te vient ce goût de
l’écriture ? Et quand t’es-tu mise à écrire ?
La racine de mon envie d’écrire,
c’est la lecture et la joie que j’ai eu petite fille à savoir lire, ça a
été vraiment un émerveillement, un enchantement. On peut partir de sa vie,
déménager, un livre suffit. Ça a
été une découverte. J’ai vraiment
l’impression que ça m’a sauvée. Je me suis dit : la vie a un sens. On
peut lire, s’échapper. Quand j’avais
un livre en cours, je me demandais toujours ce que mes personnages
faisaient pendant que moi j’étais à l’école. Je me disais aussi que c’était la plus belle chose qu’on
puisse faire au monde que de permettre aux gens de s’échapper comme ça, de
les emmener ailleurs, un peu comme un gamin qui voit un pâtissier faire de
beaux gâteaux il se dit : Oh
j’aimerais bien moi aussi faire de beaux gâteaux !
Pendant longtemps je ne me suis
pas crue capable d’écrire. Beaucoup d’écrivains ont connu ça. Il y a déjà tant de beaux
livres…
Mais à un moment il faut arrêter
cette histoire de comparaisons. Ce que j’ai à écrire, personne d’autre que
moi ne peut l’écrire, ça ne veut pas dire que ce que j’écris est génial
mais ça veut dire que moi seule peut le faire, c’est une façon de se
consoler de ses imperfections.
J’ai gribouillé pendant mon
enfance. Hélas le tiroir secret que
j’avais a été fouillé. Les poèmes,
les textes que j’ai écrits ont été lus, ça m’a pendant un moment un
peu écœurée.
L’impression
qu’on a violé ton jardin secret?
Oui, surtout quand c’est pour se
moquer, railler.
Adolescente comme beaucoup j’ai
écrit des poèmes, des petits textes,
j’ai toujours gribouillé mais
je jetais en me disant « ça ne vaut rien » et à un moment je me
suis dit « si c’est ça que tu veux faire de ta vie, si c’est
vraiment le plus viscéral, le plus profond en toi, il faut y aller ».
C’est comme ça que j’ai écrit mon premier roman qui est allé à la poubelle mais qui m’a appris à écrire.
En fait, je dois beaucoup à ce texte.
Tu
es psychologue clinicienne avec une
spécialisation en hypnothérapie, est-ce qu’il y a
une relation entre ton métier et l’écriture ?
J’en vois plusieurs avec
l’hypnose. En premier lieu le lien au personnage. Tu as dû remarquer qu’en
général, je me mets dans la peau du
personnage, je fais de mon mieux pour
comprendre ce que le personnage ressent, comment
le personnage place son regard, ce qu’il voit, ce qu’il
ressent. En fait, quand on est
dans une relation thérapeutique,
c’est bien ça qu’on fait, on sait très bien qu’on n’est pas l’autre et
c’est tant mieux et pour lui et pour moi sinon ce serait intrusif. La question est de savoir comment cette
personne qui est en face de moi voit les choses, comment de son regard à
l’intérieur d’elle, elle les perçoit.
Il faut beaucoup d’empathie, je fais ça aussi - c’est ça le parallèle- avec
mes personnages. C’est vraiment faire de son mieux pour se mettre à la
place de l’autre, tout en sachant qu’on n’y est pas.
Je ne suis pas Benjamin, je ne
suis pas Grégoire, mais la plongée dans le monde intérieur des
personnages c’est passionnant, ça me
fait vivre. Je vis grâce aux
personnages « d’autres vies que
la mienne ».
Les patients, je comprends,
j’aborde, je prends connaissance
mais je ne les vis pas. Et heureusement, d’ailleurs, sinon, ce
serait de la fusion.
Alors que mes personnages je vis
avec eux. C’est une plongée dans
leur monde intérieur.
Tu dis dans ton dernier ouvrage que tu les
emmènes avec toi.
Oui, je les emmène faire les
courses, faire le ménage, le repassage, ils m’accompagnent.
Tu
sens une filiation avec un courant littéraire ?
J’aimerais auparavant revenir
sur le deuxième lien avec l’hypnose et l’écriture. Une des définitions de
l’hypnose, c’est d’être là et
ailleurs en même temps. On sait qu’on est là dans telle pièce avec son
ordinateur mais intérieurement on est ailleurs. Je pense que quand on
écrit, on est très souvent en hypnose.
Je le dis maintenant car ça allait m’échapper.
Filiation littéraire, c’est
vraiment la question qui embarrasse
C’est
un peu bateau comme question
Ce n’est pas qu’elle est bateau,
elle est très justifiée, je me la pose quand je lis mais elle me met mal à l’aise, je pense
que quand je lis, je suis très
sensible au ton, à la simplicité, la sensibilité que je sens chez
l’écrivain. Les livres qu’on a lus sont des questions de hasard. J’ai eu la
chance d’avoir des parents qui avaient des bouquins et j’ai pioché très tôt
dans la bibliothèque et c’est comme ça que j’ai lu des bouquins classiques.
J’ai été énormément marqué par Mauriac, par exemple, j’ai lu Gide très tôt
également mais j’ai eu une passion pour Mauriac, j’ai lu le nœud de de
vipères à 9 ou 10 ans
C’est vraiment un livre que j’ai
lu à plusieurs reprises. J’ai relu tout Mauriac cet été.
En même temps quand on relit, il
y a le plaisir de la lecture et les souvenirs des lectures
précédentes, il y a 10 ans, 15 ans et davantage. Je me demande ce
qu’une petite fille pouvait comprendre du nœud de vipère.
J’ai eu une passion pour Pagnol
également, pour Baudelaire aussi. Voilà certains des auteurs qui m’ont
marqué mais filiation, je ne sais pas trop. Modiano, j’aime beaucoup le
style très brumeux avec une langue très très
simple, limpide et en même temps, il y a du brouillard dans toutes les phrases,
ça a beaucoup de charme, on ne sait pas exactement ce qu’on comprend… c’est
un peu hypnotique. Il nous emmène, on ne sait pas trop où on va mais on y
va.
Si j’étais journaliste
littéraire, je ne sais pas si j’arriverais à résumer un livre de Modiano
par exemple.
Une
sorte de dédale…
Il y a des dédales où on se perd
qui sont extrêmement déplaisants, mais lui c’est plaisant.
Mais filiation au sens où je serais de telle
ou telle famille d’écrivains, je ne sais pas le dire.
Je pense que d’autres que moi
pourraient le dire. Jusqu’à présent, on ne m’a pas trop renvoyé d’effets
comme ça ou alors on m’a renvoyé à d’autres écrivains dont je ne me sens
pas proche, donc ça ne me convient pas.
Moi,
je vois un lien avec quelqu’un dont je t’ai parlé, c’est Christian Oster
Ah oui, ça fait longtemps que je
ne l’ai pas lu.
C’est
une certaine façon de décrire des personnages qui sont en difficulté, dans
une sorte de recherche, de quête existentielle. Personnages qui n’ont pas
trouvé leur place. Mais toi, tu es plus optimiste qu’Oster
qui a tendance à en rajouter une couche sur
le côté un peu égaré des personnages.
La parenté d’écriture, ce serait
la fluidité et la simplicité de l’écriture. J’aime beaucoup les écritures
qui sont simples, qui sont accessibles, où on ne se dit pas : là je ne
peux pas y aller. Par exemple, j’ai du mal avec les auteurs qui font
beaucoup de citations, qui montrent leur science, bon d’accord, ils sont
allés à l’école, ils sont agrégés, ils ont tel ou tel diplôme, tant mieux
pour eux mais je n’aime pas quand l’auteur étale sa science, ses
connaissances, ça m’éloigne tout de suite, je suis mal à l’aise avec ça, je
préfère les écritures simples, d’autant plus qu’être simple, c’est
compliqué. Il m’arrive de rayer des passages parce qu’ils ne sont pas assez
simples. Et à travers ça il y a l’authenticité. Par exemple quand le
personnage se parle, il n’emploie pas l’imparfait du subjonctif, il ne fait
pas de références littéraires, il ne
tient pas des raisonnements extrêmement complexes. Quand on parle
intérieurement on est assez simple et pour toucher les autres, je pense qu’on essaie d’écrire quelque
chose qu’on aimerait lire. Et on sait qu’on va se relire et se rerelire. Autant que ce soit plaisant.
J’ai
vu dans ta bibliographie qu’il y
avait un livre sur Duras…
C’est un livre qui s’intitule Je rêve que Marguerite Duras vient me
voir. Il parle d’un Ecririen - c’est lui qui se nomme ainsi -, il essaie
d’écrire mais il n’y arrive pas, il remet au lendemain en vain et une nuit il rêve que Marguerite Duras vient
le visiter et lui donne des conseils secrets pour écrire. C’est un livre
très fantaisiste avec des trucs bizarres.
C’est
un vrai livre alors ?
Oui, c’est un roman.
Pour
toi Duras est un grand écrivain ?
Oui, j’aime beaucoup. Il y a une
complexité dans certains passages que j’aime bien. Je ne me sens pas mise à
la porte. Je suis dans quelque chose qui me touche sans savoir trop
pourquoi. Au plus profond de moi.
On
va, si tu le veux bien, parler de nouveau de ton écriture. Quelle est ta
façon d’écrire ? Sachant qu’il y a différentes façons d’écrire, comme
de peindre. Certains peintres ont déjà leur tableau dans la tête et
certains romanciers ont leur livre dans la tête, le plan, tous les chapitres, etc. Je ne pense pas que ce soit ton cas…
Non, non, je n’ai pas de plan préétabli, j’aime
trop la découverte je ne veux pas savoir à l’avance ce qui va se passer
Ça,
ça se sent quand on te lit.
Que ça se sente oui, mais il
faut que ça soit agréable à lire car à la limite je préfère un livre
construit à l’avance et qui me régale.
Mais
tes livres sont construits.
Ça se construit au fur et à
mesure. J’ai une longueur d’avance sur le lecteur. Il peut m’arriver
d’arrêter d’écrire car je ne sais pas du tout, du tout ce qui va se passer.
Et j’attends que ça vienne, que ça pousse.
Tu
fais ton propre feuilleton, alors ?
Oui mon story telling
Pour
terminer cet entretien on va parler
de tes projets. As-tu un ou des livres en cours ?
Oui, j’ai un livre qui est fini.
Je vais le retravailler avec les indications de l’éditeur mais en gros il
est fini. C’est un livre qui m’est
tombé sous les doigts. Le personnage
qu’on découvre dès sa naissance a une particularité : sa laideur. Les
parents attendent un bébé « beau » même s’il n’est pas très beau.
Or ce bébé est d’une laideur absolue. Même la sage-femme crie quand elle le
voit. Le titre sera « Je suis né
laid ». On ne nait pas
laid, on le devient ? Non, il est né laid. Il a la chance d’avoir des parents sympas.
Dès la naissance, ils contactent un chirurgien esthétique. Comment ce petit
garçon va grandir avec cette laideur ? Il a sa Burqa pour bébés car il est tellement laid que
les passants poussent des cris et ses parents ont tendance à le cacher avec
sa burqa ou à enrouler son visage dans des
écharpes. Je me suis attaché à ce petit bonhomme et j’espère que les
lecteurs aussi.
On
n’en dira pas plus pour l’instant,
on a hâte de lire le livre. Merci Isabelle du temps que tu as
consacré à cet entretien.
Merci François.
Entretien réalisé par
François Minod
Novembre 2017
|