http://www.francopolis.net/images/gueuletitle.jpg
Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

ACCUEIL

 

 GUEULE DE MOTS –ARCHIVES

(2010-2017)

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifCE MOIS DE NOVEMBRE 2017

 

Entretien avec ISABELLE MINIERE

réalisé par François Minod

 

François Minod   

 

Bonjour Isabelle, tout d’abord, j’aimerais te dire que j’aime beaucoup la fluidité, la simplicité  de ton écriture. Sans oublier l’humour, voire l’ironie et la tendresse pour tes personnages

Les univers que l’on découvre dans tes ouvrages  sont des univers de la vie quotidienne où tu mets en scène des personnages souvent masculins (Grégoire, Benjamin, Martin, Barthélémy…) qui se posent des questions sur leur existence.  Quel est le lien entre ces personnages ?

 

Isabelle Minière    

 

Ils sont différents et ressemblants. Leur parenté c’est une sensibilité,  souvent de l’autodérision,  un côté  parfois un peu décalé (surtout Grégoire). Leur grande parenté c’est qu’ils me sont venus, ils sont issus de mon imaginaire. C’est difficile d’expliquer soi-même cette parenté.

 

Et pourtant, tu viens de le faire…

Oui, en fait,  ce sont souvent des humbles, ce ne sont pas des arrogants. Quand on passe beaucoup de temps avec un  personnage,  autant le passer avec quelqu’un qu’on aime bien plutôt qu’avec un personnage arrogant, antipathique, macho, désagréable. C’est peut-être une des clés du choix de mes personnages.

D’où te vient ce goût de l’écriture ? Et quand t’es-tu mise à écrire ?

La racine de mon envie d’écrire, c’est la lecture et la joie que j’ai eu petite fille à savoir lire, ça a été vraiment un émerveillement, un enchantement. On peut partir de sa vie, déménager, un livre suffit.  Ça a été  une découverte. J’ai vraiment l’impression que ça m’a sauvée. Je me suis dit : la vie a un sens. On peut  lire, s’échapper. Quand j’avais un livre en cours, je me demandais toujours ce que mes personnages faisaient pendant que moi j’étais à l’école.  Je me disais aussi  que c’était la plus belle chose qu’on puisse faire au monde que de permettre aux gens de s’échapper comme ça, de les emmener ailleurs, un peu comme un gamin qui voit un pâtissier faire de beaux gâteaux  il se dit : Oh j’aimerais bien moi aussi faire de beaux gâteaux !

Pendant longtemps je ne me suis pas crue capable d’écrire. Beaucoup d’écrivains  ont connu ça. Il y a déjà tant de beaux livres…

Mais à un moment il faut arrêter cette histoire de comparaisons. Ce que j’ai à écrire, personne d’autre que moi ne peut l’écrire, ça ne veut pas dire que ce que j’écris est génial mais ça veut dire que moi seule peut le faire, c’est une façon de se consoler de ses imperfections.

J’ai gribouillé pendant mon enfance. Hélas le tiroir secret que  j’avais a été fouillé. Les poèmes,  les textes que j’ai écrits ont été lus, ça m’a pendant un moment un peu écœurée.

 

L’impression qu’on a violé ton jardin secret?

 

Oui, surtout quand c’est pour se moquer, railler.

Adolescente comme beaucoup j’ai écrit des poèmes, des petits textes,  j’ai toujours gribouillé  mais je jetais en me disant « ça ne vaut rien » et à un moment je me suis dit « si c’est ça que tu veux faire de ta vie, si c’est vraiment le plus viscéral, le plus profond en toi, il faut y aller ». C’est comme ça que j’ai écrit mon premier roman qui est allé  à la poubelle mais qui m’a appris à écrire. En fait, je dois beaucoup à ce texte.

 

Tu es  psychologue clinicienne avec une spécialisation en hypnothérapie, est-ce qu’il y a une relation entre ton métier et l’écriture ?

 

J’en vois plusieurs avec l’hypnose. En premier lieu le lien au personnage. Tu as dû remarquer qu’en général,  je me mets dans la peau du personnage, je fais de mon mieux pour  comprendre ce que le personnage ressent,  comment  le personnage place son regard, ce qu’il voit, ce qu’il ressent.  En fait, quand on est dans  une relation thérapeutique, c’est bien ça qu’on fait, on sait très bien qu’on n’est pas l’autre et c’est tant mieux et pour lui et pour moi sinon ce serait intrusif.  La question est de savoir comment cette personne qui est en face de moi voit les choses, comment de son regard à l’intérieur d’elle,  elle les perçoit. Il faut beaucoup d’empathie, je fais ça aussi - c’est ça le parallèle- avec mes personnages. C’est vraiment faire de son mieux pour se mettre à la place de l’autre, tout en sachant qu’on n’y est pas.

Je ne suis pas Benjamin, je ne suis pas Grégoire, mais la plongée dans le monde intérieur des personnages  c’est passionnant, ça me fait vivre. Je vis  grâce aux personnages  « d’autres vies que la mienne ».

Les patients, je comprends, j’aborde, je prends connaissance  mais je ne les vis pas. Et heureusement, d’ailleurs, sinon, ce serait de la fusion.

Alors que mes personnages je vis avec eux. C’est une  plongée dans leur monde intérieur.

 

Tu  dis dans ton dernier ouvrage que tu les emmènes avec toi.

Oui, je les emmène faire les courses, faire le ménage, le repassage, ils m’accompagnent.

 

Tu sens une filiation  avec un courant littéraire ?

 

J’aimerais auparavant revenir sur le deuxième lien avec l’hypnose et l’écriture. Une des définitions de l’hypnose, c’est d’être là  et ailleurs en même temps. On sait qu’on est là dans telle pièce avec son ordinateur mais intérieurement on est ailleurs. Je pense que quand on écrit, on est très souvent en hypnose.  Je le dis maintenant car ça allait m’échapper.

Filiation littéraire, c’est vraiment la question qui embarrasse

 

C’est un peu bateau comme question

 

Ce n’est pas qu’elle est bateau, elle est très justifiée, je me la pose quand je lis  mais elle me met mal à l’aise, je pense que quand je lis,  je suis très sensible au ton, à la simplicité, la sensibilité que je sens chez l’écrivain. Les livres qu’on a lus sont des questions de hasard. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui avaient des bouquins et j’ai pioché très tôt dans la bibliothèque et c’est comme ça que j’ai lu des bouquins classiques. J’ai été énormément marqué par Mauriac, par exemple, j’ai lu Gide très tôt également mais j’ai eu une passion pour Mauriac, j’ai lu le nœud de de vipères à 9 ou 10 ans

C’est vraiment un livre que j’ai lu à plusieurs reprises. J’ai relu tout Mauriac cet été.

En même temps quand on relit, il y a le plaisir de la lecture et les souvenirs des lectures précédentes,   il y a 10 ans,  15 ans et davantage. Je me demande ce qu’une petite fille pouvait comprendre du nœud de vipère.

J’ai eu une passion pour Pagnol également, pour Baudelaire aussi. Voilà certains des auteurs qui m’ont marqué mais filiation, je ne sais pas trop. Modiano, j’aime beaucoup le style très brumeux avec une langue très très simple, limpide et en même temps, il y a du brouillard dans toutes les phrases, ça a beaucoup de charme, on ne sait pas exactement ce qu’on comprend… c’est un peu hypnotique. Il nous emmène, on ne sait pas trop où on va mais on y va.

Si j’étais journaliste littéraire, je ne sais pas si j’arriverais à résumer un livre de Modiano par exemple.

 

Une sorte de dédale…

 

Il y a des dédales où on se perd qui sont extrêmement déplaisants, mais lui c’est plaisant.

Mais  filiation au sens où je serais de telle ou telle famille d’écrivains, je ne sais pas le dire.

Je pense que d’autres que moi pourraient le dire. Jusqu’à présent, on ne m’a pas trop renvoyé d’effets comme ça ou alors on m’a renvoyé à d’autres écrivains dont je ne me sens pas proche, donc ça ne me convient pas.

 

Moi, je vois un lien avec quelqu’un dont je t’ai parlé, c’est Christian Oster

 

Ah oui, ça fait longtemps que je ne l’ai pas lu.

 

C’est une certaine façon de décrire des personnages qui sont en difficulté, dans une sorte de recherche, de quête existentielle. Personnages qui n’ont pas trouvé leur place. Mais toi, tu es plus optimiste qu’Oster qui a tendance à en rajouter une couche sur  le côté un peu égaré des personnages.

 

La parenté d’écriture, ce serait la fluidité et la simplicité de l’écriture. J’aime beaucoup les écritures qui sont simples, qui sont accessibles, où on ne se dit pas : là je ne peux pas y aller. Par exemple, j’ai du mal avec les auteurs qui font beaucoup de citations, qui montrent leur science, bon d’accord, ils sont allés à l’école, ils sont agrégés, ils ont tel ou tel diplôme, tant mieux pour eux mais je n’aime pas quand l’auteur étale sa science, ses connaissances, ça m’éloigne tout de suite, je suis mal à l’aise avec ça, je préfère les écritures simples, d’autant plus qu’être simple, c’est compliqué. Il m’arrive de rayer des passages parce qu’ils ne sont pas assez simples. Et à travers ça il y a l’authenticité. Par exemple quand le personnage se parle, il n’emploie pas l’imparfait du subjonctif, il ne fait pas  de références littéraires, il ne tient pas des raisonnements extrêmement complexes. Quand on parle intérieurement on est assez simple et pour toucher les autres,  je pense qu’on essaie d’écrire quelque chose qu’on aimerait lire. Et on sait qu’on va se relire et se rerelire. Autant que ce soit plaisant.

 

J’ai vu  dans ta bibliographie qu’il y avait un livre sur Duras…

 

C’est un livre qui s’intitule Je rêve que Marguerite Duras vient me voir. Il parle d’un Ecririen - c’est lui qui se nomme ainsi -, il essaie d’écrire mais il n’y arrive pas, il remet au lendemain en vain et une  nuit il rêve que Marguerite Duras vient le visiter et lui donne des conseils secrets pour écrire. C’est un livre très fantaisiste avec des trucs bizarres.

 

C’est un vrai livre alors ?

 

Oui, c’est un roman.

 

Pour toi Duras est un grand écrivain ?

 

Oui, j’aime beaucoup. Il y a une complexité dans certains passages que j’aime bien. Je ne me sens pas mise à la porte. Je suis dans quelque chose qui me touche sans savoir trop pourquoi. Au plus profond de moi.

 

On va, si tu le veux bien, parler de nouveau de ton écriture. Quelle est ta façon d’écrire ? Sachant qu’il y a différentes façons d’écrire, comme de peindre. Certains peintres ont déjà leur tableau dans la tête et certains romanciers ont leur livre dans la tête, le plan,  tous les chapitres, etc.  Je ne pense pas que ce soit ton cas…

 

Non, non,  je n’ai pas de plan préétabli, j’aime trop la découverte je ne veux pas savoir à l’avance ce qui va se passer

 

Ça, ça se sent quand on te lit.

 

Que ça se sente oui, mais il faut que ça soit agréable à lire car à la limite je préfère un livre construit à l’avance et qui me régale.

 

Mais tes livres sont construits.

 

Ça se construit au fur et à mesure. J’ai une longueur d’avance sur le lecteur. Il peut m’arriver d’arrêter d’écrire car je ne sais pas du tout, du tout ce qui va se passer. Et j’attends que ça vienne, que ça pousse.

 

Tu fais ton propre feuilleton, alors ?

 

Oui mon story telling

 

Pour terminer cet entretien  on va parler de tes projets. As-tu un ou des livres en cours ?

 

Oui, j’ai un livre qui est fini. Je vais le retravailler avec les indications de l’éditeur mais en gros il est fini.  C’est un livre qui m’est tombé sous les doigts.  Le personnage qu’on découvre dès sa naissance a une particularité : sa laideur. Les parents attendent un bébé « beau » même s’il n’est pas très beau. Or ce bébé est d’une laideur absolue. Même la sage-femme crie quand elle le voit. Le titre sera « Je suis né laid ».  On ne nait pas laid, on le devient ? Non, il est né laid. Il  a la chance d’avoir des parents sympas. Dès la naissance, ils contactent un chirurgien esthétique. Comment ce petit garçon va grandir avec cette laideur ? Il a sa Burqa  pour bébés car il est tellement laid que les passants poussent des cris et ses parents ont tendance à le cacher avec sa burqa ou à enrouler son visage dans des écharpes. Je me suis attaché à ce petit bonhomme et j’espère que les lecteurs aussi.

 

On n’en dira pas plus pour l’instant,  on a hâte de lire le livre. Merci Isabelle du temps que tu as consacré à cet entretien.

 

Merci François.

 

 

Entretien réalisé par François Minod

Novembre 2017