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Pieds des Mots : Archives

(2010 – 2016)

 

  PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 

JANVIER-FÉVRIER 2018

 

Brèches du temps

par Mireille Diaz-Florian

« Equidem beatos puto, quibus deorum munere datum est aut facere scribenda aut scribere legenda, beatissimos vero quibus utrumque. »

«  Heureux sont, à mes yeux, ceux qui ont reçu des dieux le don d’accomplir des actions dignes d’être écrites ou d’écrire des œuvres dignes d’être lues, mais plus heureux encore sont ceux capables de faire les deux » Pline Le Jeune à Tacite

 

Je marche dans les rues de Pompéi. La chaleur écrasante blanchit le ciel. C’est un mois d’août. La date est restée inscrite sur la photo que je viens de retrouver : 5 août 2012. Je dois avoir pensé au 24 août de la datation de Pline, dans ses lettres à son ami Tacite. Je sais avoir pensé que les Calendes de Septembre seraient un joli titre. L’assonance conviendrait parfaitement à ce retour dans le temps.

 

J’aurais aimé te le dire, à mon retour.

 

Je regarde les ruines autour de moi. On devine les contours du Vésuve, dissimulé dans la brume de chaleur. J’aurai traversé les ruelles ombrées de Naples pour aller à la gare centrale prendre la « Circumvesuviana » Rien ne me surprend tant que d’aller en train à Pompéi. Curieusement sur le site archéologique, les touristes parlent doucement. Pompéi exige une sorte de gravité.

 

Ils interrogent en eux le passage du temps.

 

Je marche dans les rues de Pompéi. Je pense que la chaleur a été aussi intense, le ciel parfaitement bleu, juste avant le début de l’éruption. Quelques secousses ont précédé la catastrophe. Dans les maisons effondrées, je peux deviner la trace des pas sur les mosaïques. Sur le seuil de la maison de Vesonius Primus, le chien veille. J’entends le chuintement du vent marin sous les linteaux.

 

Je regarde la silhouette du Vésuve. Au loin.

 

A Misène, le vieux Pline aura déjeuné rapidement après avoir pris le soleil. Il travaille allongé sur son lit. Le nuage volcanique s’est déployé dans le ciel. Il aura enfilé rapidement ses sandales pour sortir l’observer. Il ressemble à un grand pin parasol. La terre a grondé. Elle tremble souvent à la périphérie du golfe. De la violence de l’éruption qui se déclenche le deuxième jour, nous ne pouvons rien percevoir.  Sur la plage, on retrouvera le corps de Pline.

 

On dirait qu’il dort.

 

Je marche dans les rues de Pompéi. Les lettres de Pline ont figé dans le temps, la beauté incandescente des nuées, la fuite dans les ténèbres, les hurlements. Elles partagent avec l’historien, le souci de laisser des traces, sinon la reconnaissance et la gloire. La couche de cendres a obturé pour des siècles, le moindre passage. Aujourd’hui, les ruines à ciel ouvert, étanchent la lumière.

 

Le chien agonisant est un moulage dans un musée.

 

Je pense à nos conversations sur la puissance de la littérature, la postérité de l’écriture. Nous avons débattu souvent des rapports de l’action et de l’écriture. Tu as choisi l’action, juste, à taille humaine, sans jamais te départir de l’exigence des mots. Dans les longues heures consacrées à écrire, nous reconnaissons ce refus de l’entropie, ce désir de laisser entendre nos voix dans le bruit cosmique. Nous en mesurons l’inanité.

 

Nous écrivons.

 

Je me suis arrêté devant un mur en ruine. Dans la brèche, s’encadrent des arbres sur un fond de ciel bleu. Ils tremblent légèrement dans la brise. On ne le voit pas sur la photo. Mais lorsque je la regarde à nouveau, je vois le frémissement des feuilles. Je veux sur la photo, comme dans l’écriture, sentir le souffle.

 

Celui de la vie.

 

Tu es assis à ton bureau. Tu auras écrit le matin, tôt. Quelques rares promeneurs longe le château. Sur la Seine, les péniches sont à quai. On les distingue à peine de la terrasse de St Germain. On s’arrête seulement à la courbe du fleuve qu’estompe la brume de chaleur. Je relis tes lettres. Je suis la ligne élégante de ton écriture.

 

Les feuilles des arbres tremblent dans la brèche du temps où tu vas disparaître.

 

©Mireille Diaz-Florian

 

JANVIER-FÉVRIER 2018