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Pieds des Mots : Archives

 

PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 

Novembre-Décembre 2020

 

Le creux de son absence.

 

Par François Minod

(*)

 

Au début, on ne s'en rend pas bien compte, on le sait pourtant, elle est partie, il faut s'y résoudre, on a même participé à la cérémonie pour la circonstance avec des chants, des hommages, des pleurs, des fleurs…

Et puis, on est rentré chez soi et on a repris son train-train, ses petites habitudes, comme si de rien n'était. C'est important ces petits riens qui ponctuent notre quotidien: ouvrir le réfrigérateur pour s'assurer qu'on a bien refermé le bac à légumes, vérifier qu'on a arrosé les fleurs sur le balcon, passer son index sur une étagère de la cuisine et s'apercevoir qu'il y a de la poussière, se dire qu'on va donner un coup de chiffon, relire la liste des courses du lendemain, y rajouter la poudre à récurer et le produit anticalcaire, regarder le programme sur le journal télé, en profiter pour terminer les mots fléchés.

C'est plus tard qu'on va repenser à elle qui s'en est allée. À l'heure où d'habitude, on s'appelait au téléphone, pour bavarder un peu, causer de choses et d'autres, histoire de passer un moment. Aux alentours de 17h, 17h30, c'était elle ou moi ça dépendait des jours mais rarement après 18h. C'était réglé comme du papier à musique. Le jour de son départ, on ne s'est pas appelé. J'ai bien essayé à plusieurs reprises, jusqu'à 19h et même un peu plus tard jusqu'à 19h45. Après, je n'ai pas osé, trop tard, me suis-je dit. Elle est peut-être empêchée.

Ça fait maintenant plusieurs semaines qu'elle s'en est allée, et tous les soirs aux alentours de 17h, je ressens comme un creux dans ma poitrine, le creux de son absence. Je me remets à faire les choses du quotidien, à traquer le moindre nid à poussière, à briquer les meubles de la salle à manger, à trier les magazines féminins, les journaux télé et les mots fléchés, bref, je m'occupe avant de réchauffer la soupe que je prendrai devant la télé et puis, j'irai me coucher en espérant que je la retrouverai et que je lui parlerai sur le combiné de mes rêves, des petites choses de la journée, de la fille de la voisine qui s'est teint les cheveux en rouge, de monsieur le curé que j'ai vu à la boulangerie avec des enfants de la manécanterie, et elle me répondra de sa voix rocailleuse de fumeuse invétérée, elle me dira qu'elle aussi lorsqu'elle était jeune, elle rêvait de se teindre les cheveux mais qu'elle n'avait pas osé à cause des convenances... Le rêve s'estompera, le jour se lèvera, une journée encore à m'occuper, en attendant la nuit ou peut-être elle s'invitera à parler sur le combiné de mes rêves.

 

(*)

 

Extrait de son dernier recueil, Au plus près, Éditions Unicité, 2020, avec des monotypes de Catherine Seghers (dont celui-ci).

 

 

 

François Minod

Novembre-décembre 2020