Au début, on ne s'en rend pas bien
compte, on le sait pourtant, elle est partie, il faut s'y résoudre, on a
même participé à la cérémonie pour la circonstance avec des
chants, des hommages, des pleurs, des fleurs…
Et puis, on est rentré chez soi et on
a repris son train-train, ses petites habitudes, comme si de rien n'était.
C'est important ces petits riens qui ponctuent notre quotidien: ouvrir le
réfrigérateur pour s'assurer qu'on a bien refermé le bac à légumes,
vérifier qu'on a arrosé les fleurs sur le balcon, passer son index sur une
étagère de la cuisine et s'apercevoir qu'il y a de la poussière, se dire
qu'on va donner un coup de chiffon, relire la liste des courses du
lendemain, y rajouter la poudre à récurer et le produit anticalcaire,
regarder le programme sur le journal télé, en profiter pour terminer les
mots fléchés.
C'est plus tard qu'on va repenser à
elle qui s'en est allée. À l'heure où d'habitude, on s'appelait au
téléphone, pour bavarder un peu, causer de choses et d'autres, histoire de passer un moment. Aux alentours de 17h,
17h30, c'était elle ou moi ça dépendait des jours mais rarement après 18h.
C'était réglé comme du papier à musique. Le jour de son départ, on ne s'est
pas appelé. J'ai bien essayé à plusieurs reprises, jusqu'à 19h et même un
peu plus tard jusqu'à 19h45. Après, je n'ai pas
osé, trop tard, me suis-je dit. Elle est peut-être empêchée.
Ça fait maintenant plusieurs semaines
qu'elle s'en est allée, et tous les soirs aux alentours de 17h, je ressens
comme un creux dans ma poitrine, le creux de son absence. Je me remets à
faire les choses du quotidien, à traquer le moindre nid à poussière, à
briquer les meubles de la salle à manger, à trier les magazines féminins,
les journaux télé et les mots fléchés, bref, je m'occupe avant de
réchauffer la soupe que je prendrai devant la télé et puis, j'irai me
coucher en espérant que je la retrouverai et que je lui parlerai sur le
combiné de mes rêves, des petites choses de la journée, de la fille de la
voisine qui s'est teint les cheveux en rouge, de monsieur le curé que j'ai
vu à la boulangerie avec des enfants de la manécanterie, et elle me
répondra de sa voix rocailleuse de fumeuse invétérée, elle me dira qu'elle
aussi lorsqu'elle était jeune, elle rêvait de se teindre les cheveux mais
qu'elle n'avait pas osé à cause des convenances... Le rêve s'estompera, le
jour se lèvera, une journée encore à m'occuper, en attendant la nuit ou
peut-être elle s'invitera à parler sur le combiné de mes rêves.
(*)
Extrait de son dernier recueil, Au
plus près, Éditions Unicité, 2020, avec des
monotypes de Catherine Seghers (dont celui-ci).
|