Fin d’après-midi. Quelques grosses gouttes sont tombées sur
les feuilles de vigne. Une odeur de terre est montée le long des escaliers
comme une belle inconnue au manteau de mousse. Je ne sais ce qu’elle va me
dire : la beauté qui passe et se burine ? Les gestes qui
deviennent lourds ? Les nuits qui raccourcissent ? J’attends les
prochaines gouttes et mon cœur bat à ce rythme silencieux.
***
Qui chemine à pas de velours dans la vallée neigeuse ?
Qui allume un feu dans la pièce profonde ? Qui embrasse tous les
amours perdus ? Qui regarde partir les bateaux à l’horizon ? Qui
parle à la fleur sortie du néant et caresse tous les chats du monde ?
Qui écoute le silence comme la plus belle des symphonies ? Qui apaise
l’inquiétude des montagnes et des frontières ? Qui ?
***
Une cigale perdue se met à chanter (est-ce un chant de
naissance ou un cri de mort ?) dans le mur de l’église tandis que
quelques nuages d’ouest passent au ras des falaises comme des avions ennemis.
Seules les hirondelles s’occupent de leur nid et les roses sauvages
s’accouplent à la brûlante muraille. En regardant en bas on confond le
peuplier et l’eau.
***
L’arche romane parle avec le vitrail. Elle dit que la pierre
vieillit et laisse pousser des herbes dans ses entrailles de poussière. Il
ne s’agit plus d’expliquer le monde ni de colorer des légendes ni
d’affirmer comment faire ses prières. On est sur une rive autre et l’on ne
sait rien de ces nouveaux continents dont on ignore la langue. Les pigeons
près du banc public contre le mur de l’église ignorent toutes les oraisons
et ils s’affolent quand tombe près d’eux une feuille de platane.
***
La nuit nouvelle porte comme son cœur le croissant de
la lune. Il brille dans le noir et disperse des souvenirs d’orient, des
chants de mariage, des images de miniatures, des mélopées nostalgiques.
Est-il utile de demander à ce qu’il reste là à
aiguiser l’imaginaire et à faire fleurir les illusions ? Mieux vaut
laisser cela aux longs poignards des assassins et aux mille contes des
lèvres rouges.
***
Dans la ravine déjà gelée entre les troncs noirs et les tas
de feuilles mortes le rayon de soleil se glisse tel un rossignol abandonné
ayant oublié de partir. Il ne va pas chanter car il sait que c’est inutile
mais il va retrouver son nid solitaire. Tant de souvenirs l’assaillent que
sa gorge redevient rose, tant de senteurs aussi qu’il se croit immortel et
il est tout rouge maintenant. Puis sans crier gare le rayon s’en va et le
temps redevient pesant.
***
La roche simplement la roche que la rivière a travaillée,
caressée siècle après siècle dessinant des yeux des bouches des visages qui
sont venus orner des arbres. La rivière maintenant calme avec des mousses
vertes se fait volontiers charmeuse et prépare de nouveaux serments. Ici il
faut se dépouiller de toute croyance. L’automne sourit tendrement.
***
Prunelles bleues et clématites blanches montent la garde sur
le chemin. Quelques doigts caressent le souffle des plumes et l’on entend
au loin un clocher cristallin.
Il ne faut pas que partent les mottes. Seuls les chevreuils
ont droit de passage tandis que la chapelle en haut de la colline s’amuse
avec ses compagnons les arbres et les entreprend sur le Jardin des
Hespéride ou le Dénombrement de Bethléem. La terre tout autour est
faussement douce.
©Michel Cosem
Poète, romancier et éditeur (des
Encres vives), Michel Cosem consacre sa vie à l'écriture, aux
voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en
France et à l’étranger. Voir sur le site des Encres vives son
portrait d’écrivain et passeur infatigable.
Merci pour ces poèmes !
|