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Pieds des Mots : Archives

 

PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 

Mars-Avril 2020

 

Une rive autre.

 

Poèmes inédits de Michel Cosem

 

Fin d’après-midi. Quelques grosses gouttes sont tombées sur les feuilles de vigne. Une odeur de terre est montée le long des escaliers comme une belle inconnue au manteau de mousse. Je ne sais ce qu’elle va me dire : la beauté qui passe et se burine ? Les gestes qui deviennent lourds ? Les nuits qui raccourcissent ? J’attends les prochaines gouttes et mon cœur bat à ce rythme silencieux.

 

***

Qui chemine à pas de velours dans la vallée neigeuse ? Qui allume un feu dans la pièce profonde ? Qui embrasse tous les amours perdus ? Qui regarde partir les bateaux à l’horizon ? Qui parle à la fleur sortie du néant et caresse tous les chats du monde ? Qui écoute le silence comme la plus belle des symphonies ? Qui apaise l’inquiétude des montagnes et des frontières ? Qui ?

 

***

Une cigale perdue se met à chanter (est-ce un chant de naissance ou un cri de mort ?) dans le mur de l’église tandis que quelques nuages d’ouest passent au ras des falaises comme des avions ennemis. Seules les hirondelles s’occupent de leur nid et les roses sauvages s’accouplent à la brûlante muraille. En regardant en bas on confond le peuplier et l’eau.

 

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L’arche romane parle avec le vitrail. Elle dit que la pierre vieillit et laisse pousser des herbes dans ses entrailles de poussière. Il ne s’agit plus d’expliquer le monde ni de colorer des légendes ni d’affirmer comment faire ses prières. On est sur une rive autre et l’on ne sait rien de ces nouveaux continents dont on ignore la langue. Les pigeons près du banc public contre le mur de l’église ignorent toutes les oraisons et ils s’affolent quand tombe près d’eux une feuille de platane.

 

***

 La nuit nouvelle porte comme son cœur le croissant de la lune. Il brille dans le noir et disperse des souvenirs d’orient, des chants de mariage, des images de miniatures, des mélopées nostalgiques. Est-il utile de demander à ce qu’il reste là à aiguiser l’imaginaire et à faire fleurir les illusions ? Mieux vaut laisser cela aux longs poignards des assassins et aux mille contes des lèvres rouges.

 

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Dans la ravine déjà gelée entre les troncs noirs et les tas de feuilles mortes le rayon de soleil se glisse tel un rossignol abandonné ayant oublié de partir. Il ne va pas chanter car il sait que c’est inutile mais il va retrouver son nid solitaire. Tant de souvenirs l’assaillent que sa gorge redevient rose, tant de senteurs aussi qu’il se croit immortel et il est tout rouge maintenant. Puis sans crier gare le rayon s’en va et le temps redevient pesant.

 

***

La roche simplement la roche que la rivière a travaillée, caressée siècle après siècle dessinant des yeux des bouches des visages qui sont venus orner des arbres. La rivière maintenant calme avec des mousses vertes se fait volontiers charmeuse et prépare de nouveaux serments. Ici il faut se dépouiller de toute croyance. L’automne sourit tendrement.

 

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Prunelles bleues et clématites blanches montent la garde sur le chemin. Quelques doigts caressent le souffle des plumes et l’on entend au loin un clocher cristallin.

Il ne faut pas que partent les mottes. Seuls les chevreuils ont droit de passage tandis que la chapelle en haut de la colline s’amuse avec ses compagnons les arbres et les entreprend sur le Jardin des Hespéride ou le Dénombrement de Bethléem. La terre tout autour est faussement douce.

 

©Michel Cosem

 

Poète, romancier et éditeur (des Encres vives), Michel Cosem consacre sa vie à l'écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger. Voir sur le site des Encres vives son portrait d’écrivain et passeur infatigable.

Merci pour ces poèmes !

 

Michel Cosem

Mars-Avril 2020