- La Question
de François
Minod
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La
Question
« J’sais
pas » qu’ils disent en te regardant droit dans les yeux, « j’sais
pas ». Avec ça t’es bien avancé. Tu t’attendais à une réponse et ils
te répondent « j’sais pas ». Tu avais posé la Question pour ça,
pour avoir une réponse, oui, une piste, une direction, quelque chose qui te
mette sur la voie et au lieu de ça on te sert un « j’sais pas ».
Débrouille-toi avec ça.
Remarque que ça ne va
pas dans le sens du poil le « j’sais pas », d’habitude, t’as même
pas le temps de poser la Question qu’on te donne la réponse, on te donne
même le mode d’emploi, on te dit que ça marche si tu suis bien la recette,
le « processus » qu’ils disent. Et toi tu te dis qu’après tout,
au point où t’en es, t’as rien à perdre, alors pourquoi pas essayer ?
Mais cette réponse si
nette si définitive qui t’éconduit à l’endroit même de la Question, ça te
fait toucher la limite de l’autre dont tu pensais que vu son cursus, son
âge, ses connaissances, il ne pouvait pas ne pas savoir même un peu, un
petit chouïa de rien du tout. Eh bien non, il sait
pas et il te le dit franco.
Je trouve ça plutôt
bien finalement le type qui en sait tant et tant, et qui te dit
« j’sais pas ».
C’est
plutôt rassurant d’entendre ça en guise de réponse, ça laisse encore un peu
de place à la Question, qui du coup revient au premier plan et qui en dit
long sur la difficulté de la réponse et donc de la Question.
Fameuse Question sans
réponse, qui ouvre la voie à l’inconnu, au mystérieux, et peut-être même
pour certains au divin, encore que si on pense que la réponse est d’ordre
divin on a déjà une piste sérieuse de réponse.
– Au fait, c’est quoi
la Question ?
– Eh bien, c’est la
Question, la seule, l’unique, la vraie, celle qu’on porte tous en
bandoulière, du début jusqu’à la fin.
– La Grande Question,
celle qui se suffit à elle-même ?
– Et à nous-mêmes
aussi d’ailleurs, elle nous suffit et nous occupe à plein temps.
– Et le reste ?
– Quel reste ?
– Le reste qui n’est
pas compris dans la Question.
– Qu’il se débrouille,
on a déjà assez à faire comme ça, si en plus il faut s’occuper du reste…
– Donc on ne s’en
occupe pas ? On le laisse choir ?
– Laissez-le choir, le
reste, il y aura bien des nigauds qui s’en occuperont.
– C’est vrai ça, on ne peut pas tout faire : à nous la Question et aux
nigauds le reste.
©François Minod
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