|  - Hiérophanies   Petits textes pour de grandes rencontres            J’ai
    de prime abord hésité. Je viens d’entrer au musée Thyssen- Bornemisza pour
    déambuler dans les salles de la collection permanente.           Dehors,
    Madrid est de lumière vive en même temps que les rythmes s’ordonnent en
    mesures méridiennes, lento ma non troppo. Je viens pour un rendez-vous,
    avec Santa Casilda de Zurbaran notamment, et un ange polychrome. J’aurai
    traversé la galerie des primitifs flamands pour me laisser guider ensuite
    par la chronologie et les haltes qui me ramènent dans le hall.           J’aurai
    rejoint la cafétéria. Là, se prolonge la sensation de légère apesanteur qui
    associe ce lieu, quel que soit le musée, à l’entrepont d’un bateau ou d’un
    ferry. Il s’agit précisément d’accalmie après le vent et les embruns, état
    bienheureux consécutif à la partance. Le bruit du réel prend la régularité
    de la houle. Le regard fixe un lointain propice à laisser affleurer dans
    leur confusion les impressions que ne manque pas de susciter l’entrée dans
    le tableau. Le décor très sobre et le bruissement des langues étrangères
    complètent  la perception première.
    J’affirme que le thé ou le café y ont un goût particulier. C’est ainsi.          A
    la caisse j’ai changé mon billet. J’ai décalé le rendez-vous avec Santa
    Casilda, repoussé la pause à la cafétéria. J’ai suivi l’oiseau sur
    l’affiche de l’exposition temporaire consacrée à Braque.          Pourquoi
    avais-je définitivement associé ce peintre au compagnonnage cubiste avec
    Picasso et ignoré la part de l’oeuvre qui m’est révélée. C’est une
    exposition d’une juste portée, d’un goût sûr. Peu d’œuvres dans chacune des
    salles.           Est-cela
    qui donne à la rencontre avec l’“Héracles”
    sa force, sa nécessité? Dans la pénombre,
    le tableau inscrit sa matière noire que traversent des scarifications de
    lumière. On sait, aux lettres grecques qui le gravent, qu’il s’agit
    d’Héraclès mais  le héros apparaît
    plus clairement encore dans le mouvement des courbes androgynes et de la
    chevelure,  la presque naïveté du
    trait et l’incision du blanc. Silhouette de cordes et de spirales, il
    chevauche des éclats solaires que la matité du noir rend plus éclatants. Je
    resterai longtemps, puis je m’éloignerai pour y revenir. Sa provenance de
    la fondation Maeght  est un gage de
    rendez-vous futur. Je me plais à le penser.  ©Mireille
    Diaz-Florian |