Des grains à moudre…
par François Minod
Partez !
–
Partez ! Partez de mon champ !
–
Mais…
– Y a
pas de mais, partez !
– J’ai
toujours été là.
– Non,
avant vous n’étiez pas ici.
–
Comment le savez-vous ?
– Ça se voit non ?
–
Comment ?
– Regardez-vous et vous verrez.
– Mais j’ai toujours été là, je
vous dis.
– Oui
mais vous n’êtes pas d’ici.
– Vous
voulez dire que…
– Exactement, vous avez compris.
– Mais
ce n’est tout de même pas à cause de…
– Si,
c’est à cause de ça.
– Mais j’ai toujours été là, je
vous dis.
– Ça
ne veut rien dire, vous avez toujours été là sans être d’ici, c’est tout.
– Et
où voulez-vous que j’aille ?
– Eh
bien chez vous, pardi.
– Mais
c’est là, j’vous dis.
– Mais
regardez-vous, nom de Dieu, et vous verrez que vous n’êtes pas d’ici.
– Je n’ai pas de miroir.
– Prenez le mien, regardez-vous
et disparaissez ! Que je ne vous vois plus ! Jamais !
Eh ! Attendez ! Mon
miroir ! Rendez-moi mon miroir !
Dire ça
qu’on a en soi
On
n’en peut plus des mots, ça parle de partout, ça déborde,
ça crie, ça pleure, ça mord, ça
éructe, ça inonde, ça bruisse de plaisir,
ça roucoule, ça tue parfois pour
de faux et pour de vrai aussi.
C’est bavard les mots, ça se
joue de soi, ça joue avec soi, ça échappe,
on les cherche les mots,
pour le dire enfin tout ça qui
reste au-dedans de soi, qui n’en peut plus de rester.
Et ça parle pourtant, ça piaffe,
c’est une foule, on s’y perd, toutes ces voix,
mais aucune qui puisse dire ça
qu’on a en soi
qui déchire la peau du dedans
depuis si longtemps.
Extrait
de Grain à moudre, Editions
Hesse, 2009
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