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Pieds des Mots : Archives

(2010 – 2016)

 

  PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 

Mai 2017

Dominique Zinenberg – Michel Ostertag – François Minod

 

1.   Poèmes inédits de Dominique Zinenberg

 

I

 

Les mots vont et viennent

en bohèmes

dans mon esprit.

 

Ils chahutent, dansent ou hurlent

en girouettes

comme les folles du logis.

 

Ils naissent humbles diseurs

de bonne aventure

en mon esprit.

 

Ils se terrent, fervents,

dans cet esprit

farouche,

saltimbanque.

 

Ils se promènent

en vagabonds

me demandant aumône

serrant l’obole de l’esprit.

 

Ils me courtisent

ou m’abandonnent

ayant aussi

l’esprit mauvais ou dérangé.

 

Ils débusquent

masqués, espiègles, déformés

de vastes contrées inconnues.

 

Ils sortent armés, violant

le rythme, le phrasé,

Ils font le sac à la beauté

et sont démolisseurs.

 

Les mots perdent l’esprit

s’engouffrent dans l’abîme

du renoncement.

 

Ils n’ont plus sens ni ardeur

et se dessèchent dans la bouche

n’ayant plus d’ombre.

 

Ils ne restituent rien

qui vaille

Ils sont las

Comme un Pierrot lunaire

défiguré.

 

Ils m’envahissent et il

en pleut que c’est merveille.

Les mots se font soleil

et pluie,

Arc-en-ciel mutant.

 

 

Et parfois jouant

à cache-cache,

ils se blottissent

au fond du cœur

pour le faire battre.

 

 

 

II

 

Dans l’angle mort

de la vie

refleuriraient-elles

les fleurs d’amour ?

 

Dans l’angle mort

tout près de l’effritement

palpiterait-il encore

le baiser d’antan ?

 

Dans l’angle mort

tout à côté,

dans la faille,

resterait-il une caresse

à recevoir et à donner ?

 

 

 

III

 

Je serai passerelle

et passerelle encore

moi passerelle et rien

la poussière et l’écume

la cendre moins le feu

la bougie oubliée

 

J’aurai tendu les mots

vers l’écoute

souffle de fée berçant le temps

 

un égarement vif

pour un passage

 

un accomplissement de ma bouche

parole d’avenir

 

de mon oreille

la saisie du désir

 

                                         une musique        rôde

en moi

                              passerelle.

 

 

 

IV

 

Nocturne aux syllabes de chair

aux notes telluriques

magma magnétique des ondes

voix étreignant

ceignant les prairies de lumière

l’horizon fauve des accords

(même perdus)

renverse la vie

ravage l’ouïe

est coudrier pour nos pores magiques

 

Fluide de sève à nos bouches assoiffées

 

Les désirs saignent et nous scellent dans l’ombre

 

Et nous goûtons nos corps à corps perdu.

 

 

©Dominique Zinenberg

 

2.   Paris-Poèmes de Michel Ostertag

 

SQUARES DE PARIS

aux migrants

 

L’herbe était verte au jardin public,

Mais il était interdit de s’y promener.

Les vitrines sur les grands boulevards

Étaient garnies des plus beaux cadeaux

Qui soient. Mais attention pas touche, sinon

Les Flics.

Tu veux apaiser ta soif ? Seule la fontaine

Wallace peut t’offrir un gobelet d’eau fraîche.

Tu es fatigué, tu veux prendre le métro ?

Sans monnaie, tu marcheras à pied.

Paris est ainsi.

Il ne te reste que le ciel bleu ou gris,

C’est selon, le rire des jeunes filles flânant

Devant les bouquinistes, les mendiants qui

Tendent la main, ceux-là qui viennent chez

Nous de l’autre bout de la planète.

Comme toi.

Ne te sens pas rejeté, mais seulement

Spectateur d’un monde qui ne t’est pas offert.

 

Frères humains, que sommes-nous devenus ?

Square de Paris, poème dédié à nous tous.

 

 

RUE CORIOLIS

 

Connaissez-vous la rue Coriolis,

Pentue et d’équerre ? Celle qui

Longe les voies ferrées de la gare toute proche

Celle des départs en vacances.

Méfions-nous de ne pas se retourner

Trop  brusquement : l’effet Coriolis

Pourrait vous faire perdre la tête,

Braves gens !

J’y monte le buste penché en avant

Et la tête parallèle aux murs

Je t’ai rencontré et je ne t’ai pas vu

Bougre que j’étais, toi si jolie,  tu descendais

Virevoltante du haut de la rue. Le lendemain,

Il pleuvait, j’avais un parapluie et toi un parapluie,

Nos parapluies se sont rencontrés, se sont

Entremêlés et nous avec.

Et depuis rue Coriolis, les jours de pluie,

Nous sortons, toi et moi, chacun avec une capuche

Sur la tête, bras dessus bras dessous,

La tête bien droite.

 

 

MUSÉE VICTOR HUGO

 

On marche sous les arcades,

Le cœur joyeux, l’esprit léger

On a rendez-vous avec un ami,

Un patriarche, le meilleur d’entre nous,

Une idole, une icône, celui qu’on aurait tant

Aimé connaître pour de vrai,

Le père Hugo

Nous allons entrer dans son intimité,

Son bureau, sa chambre, son salon.

Il nous invite chez lui, il va rentrer

D’une minute à l’autre. J’entends déjà les clés

tourner dans la serrure de la porte d’entrée, non,

je rêve, ce n’est que le gardien…

 

 

PARIS DE LA COMMUNE

 

Paris commune qui fouette le sang de l’histoire,

Le Paris qui excite les âmes prudes,

Appelle à l’insurrection et déroule les pavés

Des rues sous forme de barricades,

Qui croit à la justice universelle, qui ne veut

Plus un seul pauvre dans la cité

Et qui n’a pas peur de présenter sa poitrine

Aux fusils versaillais.

Ce Paris-là est effacé de l’histoire, comme

Une marque de honte, je cherche partout

Trace de ton passé, en vain.

Le Mur des fédérés, seul endroit où je te retrouve

Il faudrait aller en Nouvelle-Calédonie,

Au bagne de Nouméa… mais je suis vieux

Et je n’ai pas l’argent pour ce voyage.

 

 

©Michel Ostertag

 

3.   Le visage de l’autre, par François Minod

 

Le visage de l’autre V

 

Installe-toi tranquillement, je vais essayer de reconnaitre l’émotion qui t’habite.

Tout d’abord, j’examine les contours et les traits de ton visage. Ensuite, je visualise l’évolution temporelle de ses points caractéristiques.

Voilà qui est fait.

Je procède maintenant à leur extraction et développe un algorithme de segmentation automatique du contour de tes lèvres, de tes yeux et de tes sourcils.

Ainsi j’obtiens un squelette d’émotion qui me renseigne sur celle qui t’habite.

Et grâce à l’algorithme que je viens de créer, je me rapproche de toi pour t’aimer davantage, O ! mon amour.

 

*

 

Le visage de l’autre VI

 

Visage de bouche

Rougie par la vie

Visage d’horloge

Tic-tac tic-tac,

Visage pétrifié

De l’homme silence,

Visage d’enfant

Qui réclame en vain,

Visage de nuit

Qui remue mâtin

Visage creusé

Par les courbures du temps

Visage d’amour

Qui jamais ne renonce

Visage de l’Autre

Qui dans l’ombre attend.

 

*

 

Le visage de l’autre VII

 

Disparue, évanouie, éclipsée. Envolée peut-être ?

Pourtant elle était là, à côté, j’aurais pu la toucher, l’embrasser, la serrer dans mes bras et tant de choses encore. Mais tout à coup plus personne, plus d’image non plus, juste un voile.

Etait-ce vraiment elle ? Ou juste un nom sans visage, près de moi, dans la nuit ?

 

*

 

Le visage de l’autre VIII

 

Continuer, tant qu’on peut, et rester digne, tant qu’on peut aussi. Ca c’est peut-être moins facile.

Parfois ça se barre, sans qu’on s’en aperçoive. On ne se tient plus et on ne s’en rend même plus compte. Ce sont les autres qui le remarquent.

Oui, les autres. Ceux qui font bonne figure, ceux qui savent, qui évaluent, qui calculent et distribuent les bons points. Et les mauvais.

Donc continuer tant qu’on peut, en restant digne à leurs yeux. C’est ça qu’il faut tenter : faire bonne figure, quitte à entreprendre quelques travaux de

rénovation. Et puis tenter de partir avec élégance, en ménageant l’effet de surprise.

« Il était si gai, si vivant, si dévoué, et puis il portait beau, on a du mal à y croire. »

Parti en créant la surprise et en faisant bonne figure, ça c’est du grand art, mais ce n’est pas donné à tout le monde de faire bonne figure jusqu’au bout. Loin s’en faut.

A suivre donc, à suivre...

 

 

François Minod,

extraits de Au fil de l’autre, Editions Hesse, 2008

 

 

 

FRANCOPOLIS
mai 2017