"Et nous allions, nous allions comme deux aveugles tirés par le chien de l'amour." -- Renée Brock
-- Nés rouges --
Tu marches, j'expire. Je marche, tu inspires.
Clowns sur la piste de transe. Poupées météores avalées par les robes ouvertes des femmes. Deux danses sur les langues tressautantes des rieurs. Des frondes grondent dans nos ventres, petites vies élastiques roulées en fleur dans nos poches trop grandes.
Nez rouges suspendus aux trapèzes, nous lançons nos ombres contre la toile du chapiteau, jusqu'à ce qu'elles cassent.
Vous riez, nous vivons. Vous vous taisez, nous mourons.
Nous marchons sur le sable défait, nous courons à l'envers des lits froids, assis sur les échardes des cabanes, plantés dans le sexe de la lune. Nous avons coulé jusqu'à vous depuis la ville, par les caniveaux, portés dans les gueules des chiens, propulsés par les poitrines des femmes. Nous tétons vos regards.
Notre désert est fait de tables mouillées, de mousses de bière soufflée par les lèvres d'une enfant qui rit, d'arbres d'ici, feuillus, gorgés de petites nervures d'océan. Des pèlerins emmitouflés de lumières au néons et de matières sans odeur. Notre désert s'étend jusqu'à votre appel.
Nous levons les bras, vous volez. Nous glissons, vous tombez.
Rien d'autre que des pèlerins nus, des masses de glaise s'effilant peu à peu sous la ciselure du soleil, la piqûre du sang sous nos pieds, l'écorchure des crevasses du vent. Petits enfants dans un monde tellement plus vaste que nos bras tendus. Le temps nous déshabille, nous épluche, les ongles des gradins dénoyautent nos âmes. Nous sommes les danseuses nues que les enfants ont le droit de regarder.
Votre rire. Un peuple qu'il faut arriver à réunir, puis coller son visage sous le notre. Pour enfin, un jour, regarder. Si notre visage va bien à celui du monde, nous le pourrons.
Vous nous aimez, nous grandissons. Vous nous oubliez, nous vous inventons.
Venez voir nos têtes plantées dans le sable de la piste. Venez tracer des cercles avec vos lèvres autour de nos corps granuleux. Nous jouons des histoires vraies. Histoires de plumes et de plombs. De lunes bouillantes enchâssées dans des corps d'oiseaux. D'une étoile cyan sertie dans le verre d'une larme. De flammes versées l'une dans l'autre, d'âmes enlacées, enroulées en ruban de cadeau.
Nos cadeaux changent vos vies en or.
Nous nous ouvrons, vous dansez. Nous nous refermons, vous vous couchez.
Vos regards sont notre vitrail. Votre rumeur qui ondule est la rosace à voir à travers la vie, tournant sur nos ventres. Cadeau à regarder à travers, couleur à bleuir, rougir, verdir la lumière du soleil.
Il est interdit de nous caresser. Des barbelés sont distribués à l'entrée, embuant vos mains pour qu'elles ne puissent pas nous toucher. Mais nous nous aimons.
Nos âmes coulent le long de nos corps de clown, Les enfants nous prennent pour nous passer de main en main, nos corps couchés viennent doucement dans leurs paumes qui applaudissent, remontent les gradins, gravissent l'escalier de mains et de rires aigus, jusqu'en haut, tout en haut du chapiteau. Nos corps adhérent à la toile, s'y entremêlent. Fibres croisées de sueurs. Leurs mains attrapent leurs têtes, les retiennent pour qu'elles ne s'envolent pas nous rejoindre.
Maintenant, nous vivrons là, couchés sur la lumière des yeux brillants des enfants.
Nous naissons, vous applaudissez. Nous mourons, vous vous faites rembourser.
Nos corps s'émietteront au dessus de vous, poudre luisante dans le faisceau du grand projecteur, nous neigerons doucement dans les cheveux des enfants, leur cheveux couleur clown tombant sur leurs joues rouges.
Je ris, tu me dessines. Tu pleures, je te colore.
2-8-2000
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