Stéphane Méliade

Six Poèmes en Rouge



photographie  Laurence de Sainte Maréville

 


Sommaire

page 1 : L'ombre de la couleur rouge, Nés rouge, Les quatre murs du soleil

page 2 : Arènes (8), Filtres à feux posés sur la tête, Inoubliable Rideau Rouge

 

 


- L'ombre de la couleur rouge --


Sous la sépulture de l'évier
la nuit est née en bout d'aiguille
bulle fendue de cris

Grange de grand large
évasion garance d'un envol d'alvéoles
elle envisage de souligner ses cernes en appui
sur un manège de bras ouverts d'envie
 
Du ferment des fermoirs
en magie magenta
s'échappent s'inclinent s'enlilacent
de très savants mélanges à chanter sans épaules
corps en sommet d'éponge où fleurir l'écritoire
louanges de ces instincts ceinturés de pigments

Coupeur de sable en lamelles
le sel s'est fait porter malade
le jour où la mer s'est fermée de ratures
les murs léchaient les lèvres dans la salle de réveil

Depuis
grand écart écarlate
j'ai tenté de verser du lait dans l'eau

Résurgences tuées
-bien plus tard, je me souvenais presque-
des marelles de momies ont vitré les arcanes
calligraphié les fils à rougir la rosée
puis adouci nos joues d'un toucher reliure

J'écris la carcasse douceur
l'enluminure à quai d'une chaloupe accroupie
le sentier coquelicot d'un souffle en bord de terre

Un réservoir à dieux liquides
-table d'hôte pour prières à deux pailles-
se penche sur la formule
à retrouver l'ombre de la couleur rouge

19-01-2001
 
    

 

 

 




"Et nous allions, nous allions comme
deux aveugles tirés par le chien de l'amour."
-- Renée Brock

-- Nés rouges --


Tu marches, j'expire. Je marche, tu inspires.

Clowns sur la piste de transe. Poupées météores avalées par les robes
ouvertes des femmes. Deux danses sur les langues tressautantes des
rieurs.
Des frondes grondent dans nos ventres, petites vies élastiques roulées
en fleur dans nos poches trop grandes.

Nez rouges suspendus aux trapèzes, nous lançons nos ombres contre la
toile du chapiteau, jusqu'à ce qu'elles cassent.

Vous riez, nous vivons. Vous vous taisez, nous mourons.

Nous marchons sur le sable défait, nous courons à l'envers des lits
froids, assis sur les échardes des cabanes, plantés dans le sexe de la
lune.
Nous avons coulé jusqu'à vous depuis la ville, par les caniveaux, portés
dans les gueules des chiens, propulsés par les poitrines des femmes.
Nous tétons vos regards.

Notre désert est fait de tables mouillées, de mousses de bière soufflée
par les lèvres d'une enfant qui rit, d'arbres d'ici, feuillus, gorgés de
petites nervures d'océan. Des pèlerins emmitouflés de lumières au néons
et de matières sans odeur.
Notre désert s'étend jusqu'à votre appel.

Nous levons les bras, vous volez. Nous glissons, vous tombez.

Rien d'autre que des pèlerins nus, des masses de glaise s'effilant peu à
peu sous la ciselure du soleil, la piqûre du sang sous nos pieds,
l'écorchure des crevasses du vent.
Petits enfants dans un monde tellement plus vaste que nos bras tendus.
Le temps nous déshabille, nous épluche, les ongles des gradins
dénoyautent nos âmes.
Nous sommes les danseuses nues que les enfants ont le droit de regarder.

Votre rire. Un peuple qu'il faut arriver à réunir, puis coller son
visage sous le notre.
Pour enfin, un jour, regarder. Si notre visage va bien à celui du monde,
nous le pourrons.

Vous nous aimez, nous grandissons. Vous nous oubliez, nous vous
inventons.

Venez voir nos têtes plantées dans le sable de la piste. Venez tracer
des cercles avec vos lèvres autour de nos corps granuleux.
Nous jouons des histoires vraies. Histoires de plumes et de
plombs. De lunes bouillantes enchâssées dans des corps d'oiseaux. D'une
étoile cyan sertie dans le verre d'une larme. De flammes
versées l'une dans l'autre, d'âmes enlacées, enroulées en ruban de
cadeau.

Nos cadeaux changent vos vies en or.

Nous nous ouvrons, vous dansez. Nous nous refermons, vous vous couchez.

Vos regards sont notre vitrail. Votre rumeur qui ondule est la rosace à
voir à travers la vie, tournant sur nos ventres. Cadeau à regarder à
travers, couleur à bleuir, rougir, verdir la lumière du soleil.

Il est interdit de nous caresser. Des barbelés sont distribués à
l'entrée, embuant vos mains pour qu'elles ne puissent pas nous toucher.
Mais nous nous aimons.

Nos âmes coulent le long de nos corps de clown,
Les enfants nous prennent pour nous passer de main en main, nos corps
couchés viennent doucement dans leurs paumes qui applaudissent,
remontent les
gradins, gravissent l'escalier de mains et de rires aigus, jusqu'en
haut,
tout en haut du chapiteau.
Nos corps adhérent à la toile, s'y entremêlent. Fibres croisées de
sueurs.
Leurs mains attrapent leurs têtes, les retiennent pour qu'elles ne
s'envolent pas nous rejoindre.

Maintenant, nous vivrons là, couchés sur la lumière des yeux brillants
des enfants.

Nous naissons, vous applaudissez. Nous mourons, vous vous faites
rembourser.

Nos corps s'émietteront au dessus de vous, poudre luisante dans le
faisceau du grand projecteur, nous neigerons doucement dans les cheveux
des enfants, leur cheveux couleur clown tombant sur leurs joues rouges.

Je ris, tu me dessines. Tu pleures, je te colore.

2-8-2000

 

                                              

 
---Les quatre murs du soleil ---


Brûle,
Vaisseau d'or et de guerre,

Frappe,
Figure de proue, poing en fusion,

Cingle,
Feu d'exister, fouet de lumière,

Soleil bleu,
le premier mur,
celui de glace,
souffles durs,
chants qui se fracassent.


Claque,
Fondeur de verre, arbre de foudre ,

Gronde,
Rumeur de plomb, chant de lave

Tremble,
Nappes épaisses, rêve de lézard

Soleil vert,
le deuxième mur,
celui de sève,
lèvres mûres,
tiges qui s'élèvent.

Cires,
Usines à masques, tutus d'acier

Forges,
Éclats d'abeilles, marteau du ciel

Mêches,
Instants -aiguilles, corolle incandescente

Soleil jaune,
le troisième mur,
celui d'ambre,
miel obscur,
mouvement des membres

Courses,
Voiles solaires, rames rouges

Chrysalides,
Vols crépitants, lucioles entêtantes

Astres,
Noyaux d'êtres , rayons de bras

Soleil rouge,
le quatrième mur,
celui de sang,
vive allure,
tout le monde descend



Stéliade, le 10 août 97, 08h09
 

 

 

 

 

 

 

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