Stéphane Méliade

Six poèmes en rouge

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photographie Claude Aubry


 

-- Arènes--


8. Allée garance bordée de quantité d'arbres Véronèse.

je suis sorti de Dieu
en plein pourparler des orgues
sa porte donnait sur une allée garance bordée d'arbres
entre les géants volait un violon presque humain
qui portait de minute en minute
les messages du petit vers l'immense
et leurs retours sous formes de feuilles
qui tombaient en prenant les couleurs des vitraux
qui tombaient en couvrant les cheveux

dans la longue allée aux arbres Véronèse
j'ai aperçu la voix qui tenait toute l'église debout
j'aurais cru qu'elle se trouvait dedans
bien au centre tenant les voûtes dans sa paume
distribuant les tensions et les sérénités de la pierre
la porte de Dieu fermait mal
et j'ai pu deviner grâce à la foi qui filtrait
pourquoi la voix se tenait à l'écart pour bâtir la musique
tout comme l'esprit de la forêt peut se trouver partout
tout comme la main se tend dans un sens ou dans l'autre
pour échapper aux définitions et à la lumière crue

la voix souriait
drapée dans une longue robe rouge et verte
cousue par délicatesse
dans les mêmes tons que l'arbre et l'allée
et c'est là
dans l'ombre de l'église
que j'ai le mieux chanté

01-12-2003 

 

 

                                                                                                     

 

 

-- Filtres à feux posés sur le sommet de nos têtes --

 

Ils s'ennuyaient parfois, privés de pénombre, loin du centre de la Terre

dont ils étaient venus un jour, tous en même temps, chacun choisissant

l'un de nous.

Toutes sortes de feux, ceux d'en-bas comme ceux d'en haut, transitaient

par nous, en croisière de chair.

Hauts de notre hauteur, les filtres à feux s'appelaient régulièrement

de visage en visage, comme de vallée en vallée, pour ne pas oublier

leur densité natale.

et nous aurions juré

que nous parlions et non pas eux

tout ça parce qu'en cas d'orage

ils se retournaient dans nos cheveux

comme dans un lit

Les filtres à feux ignoraient à quoi nous servions. Ils nous aimaient

pour cela, pour le mystère qui se dégageait de nos gestes ordinaires,

rites magiques à leurs yeux.

Ils aimaient particulièrement les moments où l'un de nous se baissait

pour ramasser ce qu'avait laissé tomber l'autre, comme si nous avions

décidé de les ramener au pays.

le mien surtout

se mettait à s'effriter et rougeoyer

ému à l'idée que je pouvais prendre feu

je choisissais toujours ce moment

pour aller à ta rencontre

mon filtre incandescent posé sur le sommet de la tête

Le soleil devait murmurer, seulement murmurer, traduire à l'un

ce que disait l'autre et réciproquement, en prenant garde de ne pas

jeter nos corps à terre ou en l'air par un simple jeu de lumière.

la réunion avait lieu autour d'un rosier

qu'ils avaient élu comme chef

pour ses qualités de couleur

et nous parlions longuement autour de lui

de ce qu'il fallait faire

pour retrouver la racine de tous les feux

tout en restant debout

 

 

23-06-2003

 

 

 

 

 

 

"Le matin le médecin me réconforta ; pourquoi être triste ? Après tout,

j'ai mangé les anchois, les anchois ne m'ont pas mangé."

-- Franz Kafka

 

 

-- Inoubliable rideau rouge --

 

Désignés

les dos viennent ouvrir le rideau rouge

on ne verra pas leur regard

que je croise souvent

si cela arrivait

la scène serait plongée dans le réel

et la vie sur terre deviendrait possible

 

La pièce peut commencer

pour la faire surgir il faut des mots soucieux

des noms froids qui brûlent dans l'air

cassent le corps sans espoir de justice

et rendent la vie imprononçable

sauf pour ces fous

que je croise souvent

leurs bras autour des flancs

leurs yeux fermés par les portes

des institutions qui les empêchent de tout nous dire

Étrange de repenser

aux belles maisons de ceux qui tuent

les belles maisons au milieu des arbres

leurs jolis porches ouverts aux vents

 

La pièce n'a que quelques mots

que je croise souvent

elle dit je t'aime tant

et quelque chose éclate dans ma tête

comme la parodie d'une vision sérieuse

 

Du milieu de la salle

se lève une femme infiniment belle

mais pas belle comme un spectacle

plutôt comme le gémissement d'une fleur

la face grise d'un rêve rouge tombé plus bas que monde

avec cette sorte d'humour

que seuls possèdent les chants les plus purs

Mais le plus beau

c'est le rideau

gorge rougie de cris

petit chemin de plis

il vous présente la nouvelle vie qui va se jouer ce soir

avec sa façon si tendre de s'ouvrir

qu'on se croirait vivre en d'autres temps

que je croise souvent

13-01-2002

 

 

 

 

 


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