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VUE  RUSSIE

Babi Yar, la « vallée des vieilles femmes », est un endroit près de Kiev en Ukraine connu pour avoir été le théatre du massacre de 33.000 juifs en deux jours, en Septembre 1941, par les commandos nazis, ce qu’on appelle le « shoah par balles ». Par la suite dans le même endroit et par les même « Seigneurs du Monde », des dizaines de milliers de personnes ont été exécutées ; résistants,  juifs, prisonniers de guerre, handicapés, otages…

Après la guerre cet endroit funèbre a été occulté par les régimes soviétiques en tant que mémoire d’un Holocauste. L’antisémitisme était quasiment officiel sous le régime stalinien qui lui-même a favorisé les pogroms et plusieurs massacres de juifs.

En 1961, un écrivain russe Evgueni Evtuchenko dénonce dans ce poème  l’occultation de l’ évènement par les autorités russe et dénonce l’antisémitisme ouvert en Russie.L’impact du poème en Russie est énorme : quelqu’un ose dire tout haut contre la pensée officielle du régime ! En fait le poème est si bien tourné que la censure s’y est cassé les dents. Ce poème a servi aussi de livret à la 13ème Symphonie « Babi Yar » de Chostakovitch en 1962.

 

Babi Yar de E. Evtuchenko (1961)
Traduit du russe par Jacques Burko

 

Non, il n’y a pas de monuments à Babi Yar.

Le bord du ravin seulement, une dalle grossière.

L’effroi me prend.

En ce moment j’ai l’âge du peuple juif.

J’ai mille ans.

L’Hébreu, c’est moi,

Et le soleil d’Egypte cuit ma peau mate ;

Jusqu’à ce jour, je porte les stigmates

Du jour où j’agonisais sur la croix.

Dreyfus, c’est moi.

Le peuple m’a jugé, condamné, embastillé.

On me couvre de crachats et de calomnies,

Les dames en dentelles me renient,

Me piquent de leurs ombrelles

L’ enfant de Bialystok c’est moi ;

Le sang coule.

Le pogrom.

Les ivrognes se déchaînent et se moquent,

Ils sentent l’oignon et la mauvaise vodka

me jettent à terre, à coups de bottes

Je les supplie mais ils hurlent ’’Sauve la Russie, tue les Youpins !’’

Le boutiquier viole ma mère sous mes yeux.

Mon peuple russe ! Je t’aime, je t’estime,

Mon peuple si fraternel si amical,

Trop souvent des hommes aux mains sales

ont utilisé ton nom comme bouclier du crime !

Mon peuple si bon !

Puisses-tu vivre en paix,

Les antisémites usurpent ton nom ’’ Peuple Russe Uni’’...

et tu ne dis rien:


Anne Franck, c’est moi ;

Transparente comme les arbres en avril,

J’aime. Peu importe les mots:

J’ai seulement besoin qu’on se regarde.

Les ciels et les arbres nous sont interdits :

Mais nous pouvons beaucoup, beaucoup et j’ose

T’embrasser là, dans cet obscur réduit.

On vient, dis-tu ?

N’aie pas peur, c’est seulement le printemps qui arrive à notre aide...

Viens, viens ici.

Embrasse-moi doucement.

On brise la porte ? Non c’est seulement la glace qui cède...

 

A Babi Yar bruissent les arbres chenus ;

Ces arbres sont nos juges et nos témoins.

Le silence ici hurle.

Tête nue mes cheveux grisonnent soudain.

Je suis moi-même un silencieux hurlement

Pour les milliers tués à Babi Yar ;

Je sens

Je suis

Je suis chacun de ces enfants,

chacun de ces vieillards.

Je n’oublierai rien de ma vie entière ;

Je veux que l’Internationale gronde

Lorsqu’on aura enfin porté en terre

Le dernier antisémite du monde !

Dans mon sang, il n’y a pas une goutte juive,

Mais les antisémites me poursuivent de leur haîne aveugle

Et pourtant je suis un vrai Russe !

 *****
Traduit du russe par Jacques Burko




* À entendre en russe
Je pense qu'il rend bien la force du poème même si on ne comprend pas…(B.N.)


Écouter sur You tube


Евгений Евтушенко читает поэму "Бабий Яр" в Яд Вашем

Ce poème a servi aussi de livret à la 13ème Symphonie « Babi Yar » de Chostakovitch en 1962.

*
Yevgeny Yevtushenko récite ce poème "Babi Yar" avec la musique de  Shostakovich Symphony No. 13. Kurt Masur & The New York Philharmonic.  (anglais)



Babi Yar de Evgueni Evtuchenko
recherche Bernard Nègre
janvier 2016