VUE
DU MEXIQUE

Letras en la mar / Chroniques mexicaines
par François Minod
J'ai
eu la chance et le plaisir de participer aux 6èmes rencontres
internationales de poésie et d'art "Letras en la mar" qui se sont
tenues à Puerto Vallarta (Mexique) du 13 au 16 avril 2016.
Organisées
par la Cátedra (chaire) Hugo Guttiérez Vega de
l'université de Guadalajara, ces rencontres ont permis à
une trentaine de poètes du continent américain et
d'Europe de faire entendre leur voix.
Puerto
Vallarta est
une charmante ville balnéaire située sur la côte
pacifique dans l'état de Jalisco à environ 200 kms de
Guadalajara, la capitale, métropole de plus de 2 millions
d'habitants.
La
chaire Hugo
Guttiérez Vega bénéficie du soutien de
l'antenne de l'université de Guadalajara à Puerto
Vallarta pour l'organisation de ces rencontres.
Ce qui est
intéressant à noter dans le système universitaire
mexicain, c'est l'importance donnée à la diffusion de
l'art et de la culture au-delà des préoccupations
strictement académiques et des formations diplômantes.
Ainsi,
parallèlement aux cursus permettant d'acquérir un
diplôme de type licence, maîtrise (les masters n'existent
pas au Mexique) doctorat, un certain nombre de cátedras
(chaires) sont créées au sein des universités et
ont pour objectif d'organiser des colloques, congrès,
conférences, rencontres, cours, publications qui permettent de
diffuser auprès d'un large public des savoirs et des productions
culturelles et artistiques dans différents domaines (lettres,
arts, sciences etc.). La Cátedra Hugo Guttiérez Vega,
en
organisant (entre autres) les rencontres poétiques de Puerto
Vallarta remplit une de ses missions qui est celle de la diffusion de
la poésie et des lettres.
Mais sans doute me
faudrait-il dire quelques mots sur Hugo Guttiérez Vega qui
a donné son nom à la chaire éponyme. Peu connu en
Europe, cet immense poète, fut également essayiste,
directeur artistique de revues culturelles de très haut niveau
et diplomate.
Grand humaniste, il
a toujours défendu la liberté d'expression et s'est
très fortement engagé contre la corruption. Il est à
l'origine des rencontres poétiques " Letras en la mar "
de Puerto
Vallarta.
Décédé
en septembre 2015, les rencontres d'avril dernier ont permis qu'un
hommage lui soit rendu et qu'un certain nombre de ses textes soient lus
par des poètes présents. Il a reçu deux ans avant
sa mort le titre de Docteur honoris causa de l'Université de
Guadalajara. Un hommage poignant lui a été rendu par son
ami, le grand écrivain et poète Fernando Del Paso,
fidèle habitué des rencontres "Letras en la mar" et qui
vient de recevoir le prestigieux prix Cervantes.
A la fin de cet
article, vous pourrez lire un des textes d’Hugo Guttiérez Vega
en espagnol et en français, dans la traduction de Patrick
Quillier.
Avant de parler des
rencontres proprement dites, je souhaiterais rendre hommage
à Alejandro Sanchèz Cortès
et Viktor Boga, respectivement directeur et
secrétaire général de la Chaire Hugo
Guttiérez Vega, deux personnes exceptionnelles par leur
gentillesse, leur disponibilité, leur professionnalisme.
Entièrement dévoués à leur mission, ils ont
permis que ces rencontres se passent dans les meilleures conditions.
La chance et le
plaisir disais-je à propos de ma participation aux rencontres
poétiques de Puerto Vallarta, au début de cet article. En effet, c'est une
chance de pouvoir aller dans un pays, (un continent, pourrait-on dire)
d'une telle richesse, d'une telle diversité culturelle,
géographique, historique, humaine et j'en passe. Une chance
aussi de rencontrer des poètes de différentes
nationalités, de différentes sensibilités,
même si la majorité des personnes présentes
était mexicaines et latino-américaines.
Un plaisir
d'écouter des textes en castillan, langue si belle, si intense,
si musicale.
En outre, quand
derrière la voix du poète, on entend le clapotis des
vagues qui palpitent, on est transporté… une petite voix nous
susurre à l'oreille "Letras en la mar, Letras en la mar".
Je comprends
et parle un petit peu l’espagnol, ce qui m'a permis de dire mes
textes en français et en espagnol. J'ai eu la chance de trouver
des poètes mexicains ou québécois qui m'ont
donné la réplique car un certain nombre de mes textes
sont des dialogues. J'avais pris soin
avant de venir aux rencontres de faire traduire une sélection de
mes textes et d'éditer une plaquette bilingue. Dominique
Zinenberg du comité Francopolis a été une des
traductrices et j'en profite pour la remercier.
Ce que j'ai
beaucoup apprécié aussi dans ces rencontres, c'est la
diversité des lieux de lecture: places publiques, estrades ou
podiums aménagés en bord de mer, lectures chez des
commerçants le jour de marché, école primaire avec
la présence des enfants, patio d'un grand hôtel, bref, la
poésie au cœur de la ville dans toute sa diversité. On est loin des
cénacles d'initiés de certains cercles poétiques
parisiens! Et
cette
diversité des lieux est à l'image de la diversité
des textes proposés à la lecture.
Il y a dans la
poésie mexicaine en particulier et dans la poésie
latino-américaine en général une
présence du corps, j'allais dire du cœur et une présence
de l'esprit, voire de l'âme. Ce qui n'empêche pas les
recherches plus formelles, le travail sur la langue, sur la
textualité.
Mais les deux ne
sont pas antinomiques comme elles peuvent l'être dans certaines
productions poétiques post-mallarméennes et dans un
certain courant de poésie "blanche". C'est sans doute
cette présence du corps, du cœur, de l'esprit et j'ajouterai de
la musicalité de la langue qui m'a profondément
touché dans ces rencontres.
Après les
rencontres de Puerto Vallarta, je suis allé passer une dizaine
de jours à Guadalajara. J'ai eu la chance d'être
invité par Françoise Roy (et son mari) que j'ai connue
dans un festival de poésie à Safi au Maroc il y a 2 ans.
Françoise est québécoise et vit au Mexique depuis
25 ans. Poète, traductrice, elle est très connue dans le
milieu littéraire et poétique de Guadalajara.
Plusieurs
lectures
ont été organisées durant mon séjour
à Guadalajara. Dans un café poétique, dans un
collège et dans les locaux de la chaire Hugo
Guttiérez Vega. Je dois dire que la
rencontre avec des collégiens de classe de 3eme m'a beaucoup
touché, d'autant que certains d'entre eux ont accepté de
lire mes textes en Français.
***
Place maintenant à la
lecture du texte
de Hugo Guttiérez Vega.
CANCIÓN PARA UNA MUCHACHA
EN LA ATARDECIDA DEL CABO SOUNIÓN
A Odysseas Elytis y Yannis Ritsos
A Lucinda, Fuensanta y Mónica
Una muchacha, apenas un asomo de ojos entristecidos,
un sonido en el piano del silencio.
Una muchacha alta, ensimismada,
cariátide en el tiempo de la sangre ;
prisa, calma en la frente,
manos que apresan esa brizna de aire
anunciando la noche de los frutos,
cabellera entregada a la delicia de las brisas del sur,
cuerpo que en soledad abre sus ramos,
mientras el día dispersa sus palomas
y deshace los rostros y las cosas.
Muchachita, te miro y se me abre la herida antiga,
siendo miedo por ti, luego me alegro
porque la vida crece en tu costado
y te espera el placer.
Así en la noche, sin estar conmigo,
sin saber de mi paso tambaleante,
de mi cuerpo que otoño desordena,
te miro y pienso que en tu sueño nace
el idioma de tu alma, el repentino
anuncio de alegría que el viento otorga
porque el viento es así, porque es un ebrio
generoso y loco, el dador del minuto en que sentimos
que la vida nos une a su cortejo.
Más tarde nos va cortando ramos sin descanso,
pero eso nunca importa. Fue nuestra la mañana,
la noche nos abrió las sementeras donde madura el canto.
Lo demás solo es parte de ese juego.
Nadie nos quitará la gracia intacta
del minuto ganado a la tristeza.
Así te veo, muchacha recostada al borde de la vida.
Así te amo y en el Cabo Sounión amarra el alba
la barca de esos sueños infinitos.
**
CHANSON POUR UNE JEUNE FILLE
DANS LE SOIR DU CAP SOUNION
À Odysseas Elytis et Yannis Ritsos
À Lucinda, Fuensanta y Mónica
Une jeune fille, tout juste un filigrane aux yeux attristés,
un son au piano du silence.
Une jeune fille grande, recueillie,
caryatide à la saison du sang ;
fièvre, calme à son front,
mains qui saisissent ce souffle de l’air
annonçant la nuit des fruits,
chevelure livrée aux délices des brises du sud,
corps ouvrant dans sa solitude toutes ses branches,
pendant que le jour disperse ses colombes
et défait visages et choses.
Jeune fille, je te regarde, alors s’ouvre en moi l’antique blessure,
j’ai peur pour toi, et aussitôt me réjouis
parce que la vie croît dans tes hanches
et que te guette le plaisir.
Ainsi dans la nuit, sans être avec moi,
sans rien savoir de mon pas titubant,
de mon corps qu’automne désajuste,
je te regarde et pense que dans ta rêverie naît
l’idiome de ton âme, la soudaine
annonce de joie que le vent octroie
parce que le vent est ainsi fait, qu’il est une ivresse
généreuse et folle, le donateur de la minute où
nous sentons
que la vie nous unit à son cortège.
Plus tard il viendra briser nos branches sans relâche,
mais cela n’a jamais d’importance. Le matin fut à nous,
la nuit nous a ouvert les semailles où mûrit le chant.
Le reste n’est qu’une partie de ce jeu.
Personne ne nous ôtera la grâce intacte
de la minute gagnée sur la tristesse.
Ainsi te vois-je, ô jeune fille appuyée sur le bord de la
vie.
Ainsi t’aimé-je, et l’aube amarre au Cap Sounion
la barque de ces songes infinis.
Lecture, à la Chaire
Hugo Guitérrez Vega à Guadalajara (Mexique)
avec Françoise Roy, François Minod, Mariana Pérez,
Luis Alberto Navarro
***
présentation
François Minod
juin 2016
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