Ce
court recueil, écrit en 1933 a été traduit en
français en 1978 et publié une première fois aux
Presses orientalistes de France. Il faut rendre hommage aux
Éditions Verdier d’avoir réédité ce bijou
littéraire en 2011 dans la remarquable traduction de René
Sieffert.
Dans cet essai
Tanizaki tente de nous faire partager sa conception japonaise du beau
dans la vie quotidienne du Japon traditionnel : la douceur d’une
lumière naturelle tamisée par les Shôji (cloisons
mobiles), le Toko no ma (espace esthétique de la maison
japonaise où sont mis en valeur une estampe, une œuvre
d’art et un arrangement floral), le bol laqué dans lequel est
servie la soupe de miso, le frémissement du thé dans la
porcelaine…
Tout
en reconnaissant les bienfaits qu’apportent les progrès
techniques dus à la fée électricité,
Tanizaki estime que les règles élémentaires de la
vie quotidienne sont menacées par l’excès de
lumière crue, de néons, de guirlandes d’ampoules
multicolores. C’est tout un art de vivre que défend
l’auteur, basé sur les jeux subtils entre l’ombre et la
lumière, les reflets qui captent de biais le regard,
dévoilent les contrastes et les reliefs, créent une
atmosphère propice à la contemplation.
À la culture
de la clarté, de l’éclat, de la transparence qui se
profile en ce début du vingtième siècle, il
oppose celle de la profondeur, de l’ombre feutrée de la
tradition.
Tanizaki, au fil des
pages, non sans humour (voir plus loin le passage sur les lieux
d’aisance), nous fait voyager dans cet empire des signes qu’est le
Japon traditionnel. Nous ne pouvons pas ne pas penser à Roland
Barthes qui, en sémiologue avisé, a su décrire
avec beaucoup de finesse ce Japon traditionnel qu’il affectionnait tant.
Concernant
l’éloge de l’ombre, tout en rendant hommage à
l’immense talent littéraire de son auteur, on est parfois
irrité par un discours trop culturaliste qui brode à
l’excès sur le thème de l’antagonisme entre occident et
orient.
« Chaque
fois que dans un monastère de Kyôto ou de Nara, l’on me
montre le chemin des lieux d’aisance construits à la
manière de jadis, semi-obscurs et pourtant d’une propreté
méticuleuse, je ressens intensément la qualité
rare de l’architecture japonaise. Un pavillon de thé est un
endroit plaisant, je le veux bien, mais les lieux d’aisance de style
japonais, voilà qui est conçu véritablement pour
la paix de l’esprit. Toujours à l’écart du bâtiment
principal, ils sont disposés à l’abri d’un bosquet
d’où vous parvient une odeur de vert feuillage et de mouse ;
après avoir, pour s’y rendre, suivi une galerie ouverte,
accroupi dans la pénombre, baigné dans la lumière
douce des shôji et plongé dans ses rêveries, l’on
éprouve, à contempler le spectacle du jardin qui
s’étend sous la fenêtre, une émotion qu’il est
impossible de décrire. Au nombre des agréments de
l’existence, le Maître Sôséki comptait,
paraît-il, le fait d’aller chaque matin se soulager, tout en
précisant que c’était une satisfaction d’ordre
essentiellement physiologique ; or, il n’est, pour apprécier
pleinement cet agrément, d’endroit plus adéquat que des
lieux d’aisance de style japonais d’où l’on peut, à
l’abri de murs tout simples, à la surface nette, contempler
l’azur du ciel et le vert feuillage. Au risque de
répéter, j’ajouterai d’ailleurs qu’une certaine
qualité de pénombre, une absolue propreté et un
silence tel que le chant d’un moustique offusquerait l’oreille, sont
des conditions indispensables… »
L’éloge
de l’ombre de Junichiro Tanizaki, Editions Verdier, P19, 20
Tanizaki
Jun'ichirō grandit dans une famille aisée de marchands. Il
fait de brillantes études à l'Université
impériale de Tôkyô, mais en 1910 la ruine de son
père le contraint à les interrompre. La même
année, il publie son premier texte, une nouvelle cruelle et
raffinée, Le Tatouage, dans la revue qu'il a fondée avec
quelques amis. L'histoire de la belle courtisane et de son tatouage en
forme d'araignée fait scandale et lance sa carrière
d'écrivain.
Tanizaki meurt en
juin 1965, laissant une œuvre importante, unanimement
considérée comme majeure, du XXe siècle
japonais… lire plus sur Amazon.fr
Chez Amazon.fr
L'ÉLOGE DE L'OMBRE
DE TANIZAKI JUN'ICHIRO
recherche François Minod
mars 2015