Aux cheveux
des anges
L’espace où son désir se
cache, la poète le livre aux soins de l’écriture, griffe la page en
sourcier des langueurs. Un chant s’élève où monte, plus vive d’ans, la
jeunesse viscérale, recrue de caresses. Demeure la Belle d’entre les
cénacles, d’une Bête l’oracle, la morte qui ne peut mourir et pour cela
nous hante, intimement reviviscente. Vivre se retrempe des cendres.
Aussi point de nostalgie,
d’éloge poussiéreuse, mais la jouissance d’un tourment, au pressoir des
vies, la crudité d’une ordalie : le verbe toujours est en herbe,
la verve macérée de sève.
Ongles qu’on imagine
ciselés, cerclés de lait à la serpe des lunes, l’enfant plante au cœur
sa griffe, la poète, sa patte enveloppante.
Tragique, elle puise aux
agonies une surenchère de vie, renaît de ses brûlures aux antipodes des
arts de l’épure. C’est à « la grande santé » chère à Nietzsche,
qu’en appelle sa muse. Des cendres encore chaudes, elle revêt le feu
sacré, renaît à vivre au chevet de s’éteindre. Ainsi « la bête pavoise » sous la
hantise, arrache des cris, au tourment des naissances, se hausse aux
délivrances.
Rien de fade ni d’effacé
chez l’auteure. A l’onglet du verbe, elle
sangle le poème, langue de velours mais plume acérée. Prodigue de
sensations, riche d’émotions, elle est entière et fastueuse.
C’est à une ripaille de
mots qu’elle nous convie à nous repaître. Elle est du sang des martyres
dont l’âme aux confins des douleurs est frappée par l’extase, transmue
en bénédiction l’épouvante.
La « bête
endormie » dans la Belle, d’autant plus belle qu’en elle, plus
vivante, la bête s’éveille, c’est son secret. Telle l’eau, sa voix nous
hypnotise.
Hantise et renaissance des
comas :
« odeurs mélangées
de crypte et d’été pourrissant
... » (page 27)
« Elle dormira le temps de réparer
son corps avec le miel coulant de la ruche ». (page 27)
Ni renoncement, ni résignation. Jusque
dans la maladie, elle poursuit un idéal, une utopie de vitalité.
« Dans le couloir de l’hôpital
Elle allume les regards »
« Les béquilles essaient
une danse tremblante » (page 33)
(...)
« perchée sur des talons aiguilles »
(page 33)
Forte de sa féminité, au
feu des parfums, elle renaît de ses cendres.
Elle est, d’entre les
femmes, l’infirmière, l’amante, la parturiente :
« ... de celles qui s’ouvrent
de celles qui poussent,
expulsent, crient et pleurent de joie » (page 35)
Aussi bien que la douleur,
la joie la saisit :
« Je suis de celles qui pieusement
serrent la volupté de demain » (page 35)
Est-elle la Belle qui la
hante, la Bête qui demeure en charge d’âmes, l’Ève et la Dame ?
Elle est genèse,
recrachant haine et mort, ne veut connaître que les poisons voluptueux.
Elle est la parfumée pour
être plus que nue. Elle est en pitié des maux dont les hommes se
lacèrent, dont ils scarifient l’enfant au berceau de sa mère.
Mais toujours dans
l’éternel retour :
« Le printemps bat des cils
Les morts se rendorment
dans le manège d’avril ». (page 46)
Le désir de vivre délivre
les morts eux-mêmes d’être morts dans le souvenir. Vivre à travers eux
nous veille.
Elle est reine des
abeilles, l’amoureuse intrépide, témoigne de la ruche des temps, de
femme en femme, chantre d’une féminité ininterrompue. Elle est fière
aède, d’un verbe haut nous confie la fine résille.
Charnelle et fervente,
elle a gardé le goût des rituels baroques, de la profondeur des nefs où
tonnent les grandes orgues, de leur
dramaturgie : les velours, les encens et les piétas incendiaires,
l’oratoire, les souffrances qui mènent à la délivrance, toute naissance
étant une renaissance, la traversée des douleurs et la résilience
lyrique.
©Jean-Michel Aubevert
|