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Archives : Vue de Francophonie

 


Janvier-Février 2020

 

De quoi se souvenir ?

 

Vagabondages poétiques dans Bucarest

à l'occasion du FESTIVAL INTERNATIONAL DE POÉSIE - mai 2019

 

Photographies de Marilyne BERTONCINI

Textes de Françoise COULMIN

Après dire de Dinu FLAMAND

 

(*)

 

L'HUMOUR JUSQU'AUX DÉTAILS

 

 

Est-ce un point d'ironie ou bien

un point d'interrogation à l'envers

 

Bouche d'aération résumant bien inconsciemment

jusque dans les détails du quotidien

l'humeur

l'humour d'un orgueil toujours juste

 

Se demander comment va la précipitation vers le néant

 

Maudire sans rire tous ces grands prédateurs

 

Se moquer de ses petits malheurs et de ses grands soucis.

 

***

 

ILLUMINER SES NUITS

 

 

Chercher

de quoi se souvenir sous les néons

 

Sauter les flaques têtues d'averses violentes

 

Mêmes passants mêmes habits mêmes sourires mêmes fronts soucieux mêmes préoccupations

 

Mêmes motos pétaradantes

 

Mêmes grandes artères prises pour anneaux de vitesse

 

Mêmes enseignes ronflantes de marques mondiales

 

Mêmes fumeurs mais pas vu de mégots

 

Vu un chien (et même pas) agressif *

 

* En italique : annonces des guides touristiques français

 

***

 

RÉENCHANTER LE MONDE

 

 

Beaucoup de coins à flâner dans des jardins secrets

sous des ombrelles ou des ombrages

 

Hésiter entre beaucoup d'échoppes à grignotage rapide

dans les arômes de la friture universelle

 

Se rappeler

devant tant de bureaux de change tant de boutiques West Union

la dure réalité d'une forte diaspora

 

Compter beaucoup d'églises des orthodoxes des catholiques et d'autres

 

Même mode des tags et des décorations afin peut-être

de ré-enchanter le monde ?

 

***

 

MÊMES BEAUTÉS PUDIQUES

 

 

Lu entendu tant de clichés et tant d'autres

 

Pas vu de femmes voilées mais vu bien des beautés pudiques

 

Les Roumains parlent français* mais non

seuls les plus de cinquante ans s'en souviennent

 

Emportés par la mondialité du siècle les jeunes parlent anglais

copies interchangeables de tous les jeunes

Nos jeunes

 

Jeunesse serviable et calme qui déambule polie

dans un Bucarest du Centre tranquille même la nuit

en contradiction formelle

avec l'insécurité annoncée.

 

* En italique : annonces des guides touristiques français

 

***

 

JUSQU'AU AU BOUT ?

 

 

Des fils abandonnés pour d'inextricables desseins et des urgences ailleurs

 

Relier communiquer au-delà des abîmes se libérer des contraintes

pour rallier des absences

 

Pelotes emmêlées écheveaux en attente

labyrinthe condamné à l'échec

 

Et pourtant ça marche

il semble certain

que même enchevêtré chaque petit chemin trouve son but.

 

***

 

PARADER

 

Sculpture de Ioan Bolborea : 16 personnages de bronze provenant de pièces de théâtre du dramaturge roumain Ion Luca Caragiale.

(L'ensemble monumental Caragealiana se situe devant le TNB, le Théâtre National Bucarest).

 

Fantaisie devant l'orgueil ostentatoire d'un grand hôtel

 

Parader

sous la pluie le soleil et les périls

 

Figures fantasques d'un orchestre en partance

vers des folies créatrices

 

Marionnettes de bronze figées dans les éternelles pitreries du grand cirque humain

 

Résolument tourner le dos pour narguer l'impossible et se moquer des vanités

pour conjurer le sort.

 

***

 

DAME EN NOIR

 

 

Maigres oignons offerts à personne

 

Hospitalité précaire d'un coin d'immeuble et dallage aseptisé

pour inhumanité urbaine à l'œuvre

 

Vertige que cette solitude

 

Petite dame en noir

vieillie courbée

 

Courbée de tant d'années

à préserver sa dignité.

 

***

 

NE PAS DÉSESPÉRER

 

 

Beaucoup à faire

 

Beaucoup de ce qui fut somptueux sous le Roi Bâtisseur

vieillit sous des linceuls

 

Autre Paris

Bucarest hausmannien à maintenir

dans l'orgueil de son faste

 

Tant il y eut

Tant est à faire

 

Vaste programme

auquel convie le tag

(priveşte cerul), regarde le ciel.

 

***

 

CONTRER LES SOUVENIRS

 

 

Incontournable grandiloquence de ce deuxième

plus grand palais du monde

bâtiment de la démesure

 

Contrer les souvenirs en faire le Parlement

 

Conserver le meilleur de ce qui fut

 

Allouer maintenant les bâtisses de sinistre mémoire aux

grands besoins

centres sociaux

de santé…

 

Nouvelles Maisons du peuple.

 

***

 

ÉPHÉMÈRE PERMANENT

 

Statue d'Ion Luca Caragiale par Ioan Bolborea (devant le Théâtre National Bucarest)

 

Métal et chair diffusant

un même air de bien-être insouciant et mutin

 

S'abstraire du fastidieux

 

Le rire l'image ou la lecture pour dérider les passagers très sérieux de cet hôtel d'affaires

 

Halte en plein cœur de ville pour oublier

 

Peut-être.

 

Textes : Françoise Coulmin

Photos : Marilyne Bertoncini

 

 

***

 

BUCAREST IMAGINAIRE

 

Murs délavés en loques…Toits effrayés par toute possible pluie… Corniches qui ont perdu leur sveltesse d’autrefois… escaliers dans les basses-cours qui ne mènent nulle part… Maisons abandonnées, maisons meurtries par le passage des années, témoignages du lent travail du temps resté dans la mémoire de quelques survivants. Temps qui tire ses pieds pour marquer l’histoire. (…)

Encore de nos jours quelques demeures et rues de Bucarest font référence à ce commerce médiéval entre l’Orient et l’Occident. Un ancien caravansérail s’appelle « Hanul lui Manuc » ; une vieille rue, Lipscani, y attestant pour une longue période la présence des commerçants de Lwow, Lipsca en roumain.  Lieux de transition pour longtemps, avec très peu de manoirs en pierre, mais quelques rues déjà pavées de longs troncs d’arbres… À quoi bon transporter de loin les pierres et même le marbre, assez inaccessibles, quand les grands hêtres poussent à côté ?

La révolution de 1848 et l’influence décisive de la France allaient changer complètement le profil de la ville. En quelques décennies le néoclassique s’installe de plein droit. Sièges de grandes banques, théâtres, écoles, hôtels, clubs, gares ferroviaires, demeures coquettes, magasins et même timides gratte-ciels poussent en toute splendeur, imposant une remarquable harmonie architecturale sur des grandes surfaces où la démolition de maisons modestes s’est passée sans problèmes.

Toutes les autres villes des Balkans utilisaient la référence « Petit Paris » quand le rayonnement de cette ville était évoqué. On avait, enfin, une première et apparemment longue période pour transmettre, sur deux ou trois générations, une « tradition » urbaine… Mais c’était ignorer la férocité de l’histoire. Elle avait bien d'autres plans, plus dévastateurs, dans ses cartons…

Avec l’installation du régime communiste, la richesse ornementale des anciens quartiers suscita la même haine de classe, fauchant bourgeois, intellectuels, prêtres, artistes et commerçants plus ou moins aisés, même si les camarades analphabètes avaient confisqué en priorité pour eux-mêmes des maisons arts déco et autres merveilles en chassant leurs propriétaires. S’ensuivirent quelques décennies qui marquèrent la dégradation inéluctable des maisons de style, car nationalisées et passées sous l’administration publique, rarement entretenues correctement.

Et la folie du Conducator, ce mégalomane qui rêvait sa ville à lui, splendeur de kitch, démesure, allaient donner le coup de grâce non seulement à de vieilles églises mais aussi aux anciens quartiers délaissés. Avant de tomber sous les balles, il avait réussi ses vastes démolitions et achevé son « palais ». (…)

Il restera pour des décennies le témoignage gênant d’un temps où la bêtise et les caprices d’un dictateur ont réussi à humilier toute une nation. On préfère ne pas regarder. Encore hébété de ce qui nous est arrivé, on espère que la pollution deviendra plus corrosive pour macérer tout ça.

Et la poésie, même pour le temps d’une petite promenade, poussée par une curiosité dubitative ? On sait que les fleurs brillent victorieuses parmi les ruines. N’oublions pas qu’en 1947 pour André Breton, Bucarest était devenu la vraie capitale du surréalisme, donc de la Poésie. C’était, évidement, une ville imaginaire, comme pour Fernando Pessoa, lui aussi visiteur imaginaire d’un certain Bucarest.

Dinu Flamand


 

 

(*)

 

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Lecture Recours au poème

dans le cadre du Festival International de Poésie – Bucarest, mai 2018

 

À l'occasion du FESTIVAL INTERNATIONAL DE POÉSIE, déambuler dans Bucarest a été l'occasion de s'imprégner de quelques atmosphères propres à cette capitale et de les traduire, images et textes courts dans un livret.

Il ne s’agit donc pas d’un guide, ni d’un catalogue de lieux ou faits marquants, mais de consigner plutôt les impressions recueillies. L'après dire de Dinu Flamand, poète et journaliste, apporte un complément indispensable à cette esquisse nécessairement en survol.

Les photographies et les poèmes reproduits ici sont extraits de ce livret, avec l’aimable autorisation des auteurs et les remerciements de Francopolis.

 

Marilyne BERTONCINI est poète et traductrice, codirectrice de la revue numérique Recours au Poème, et membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, collabore avec artistes et plasticiens, et poursuit une activité de photographe. Elle publié plusieurs recueils de traduction ainsi que 7 recueils personnels (prévus pour 2020, Murmure, traduction des poèmes de Gili Haimovich, et Thrène pour La Noyée d'Onagawa, aux éditions Jacques André). De nombreux articles, poèmes et traductions figurent dans des revues françaises et étrangères et son travail peut être suivi sur son blog : minotaura.unblog.fr

Françoise COULMIN, Normandie. Fut peintre et géographe. Poète de combat et de résistance, reste un électron libre et rebelle. A publié 14 recueils (dont Sans espoir je cède à l'espoir, La Feuille de thé, 2017), 1 livre pour enfants, 4 anthologies poétiques. Figure dans plus de 70 anthologies et revues (papier, en ligne, France et étranger). Collabore avec plasticiens et compositeurs. Traduite en plusieurs langues.

Dinu FLAMAND, Né en Transylvanie, poète, essayiste et journaliste, traducteur de littérature française, espagnole, italienne et portugaise, commentateur de l’actualité politique dans la presse roumaine et internationale. Bilingue, réfugié politique à Paris, il dénonce, dans la presse écrite (Libération, Le Monde) et à la radio (RFI, BBC, Free Europe) le régime d’oppression de Roumanie. Réintégré dans la littérature de son pays d’origine après la chute du régime communiste. A reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix National Mihai Eminescu pour l’ensemble de son œuvre poétique. Publié en France (Poèmes en apnée, La Différence, 2004 ; Inattention de l’attention, La passe vent, 2013) plusieurs anthologies de ses poèmes ont paru en Espagne, Portugal, Italie, Allemagne, Grèce, Macédoine du Nord, Mexique, Honduras, Colombie, Brésil. Il est directeur artistique du Festival Internationale de Poésie de Bucarest.

 

 

 

 

 

 

Vue de francophonie: Bucarest

recherche Dana Shishmanian

pour Francopolis janvier-février 2019

 

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