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Entrevue avec Didjeko


Au fil du net, des mots et de la poésie, la Micronésie poétique m’a permit de rencontrer un auteur original, Didjeko. Sa démarche d’écriture et son goût de l’informatique l’a amené à créer son propre site .

Un site au design simple et chaleureux. A travers les pages il nous amène dans son univers, où les racines se mêlent aux va-nu-pieds, les dragons au Ginkobiloba et les palabres au pirate Rastapakoulos.


Mais notre pirate Didjeko, ne s’est pas arrêté là ! Il s’est lancé dans l’aventure de l’édition à titre personnel.
Son petit livre, vendu 3 euros, regroupe la majorité de ses textes. Au cours d’une rencontre,
il m’a dévoilé tous ses petits secrets…

Didjeko, j’ai lu l’ensemble de tes poèmes, et j’y ai trouvé une certaine recherche et comme je suis curieuse, j’ai une question qui me brûle les lèvres : qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ? 

Le besoin de m'exprimer ; l'envie de raconter des histoires ; mais il s'agit bien plus d'un besoin au départ, d'une nécessité et de mots qui poussent et poussent d'autres mots, et aussi, bien sûr, de la musique... Travailler sur la formulation de la pensée au moyen de l'écrit, retrouver une communication / connivence intime avec l'autre, entre l'écrit et la lecture... Et j'ai l'impression de passer vraiment à côté de la question avec cette première réponse.

Non pas du tout, et je crois même que j’aimerai en savoir encore un peu plus. Je sens dans tes poèmes une certaine force, un travail important, tant sur le fond que sur la forme, une envie de surprendre et de faire plaisir aux lecteurs. Bref on sent dans ton écriture une véritable démarche et une nouvelle fois, je pousse la porte de la curiosité, peut être pourras-tu me dévoiler cette démarche qui vibre en toi ?

Oula... il faudrait des nuits et des nuits et des nuits de discussion pour en parler !!!
L'écriture permet de créer du réel... oulà ! Mal dit en plus ; disons qu'elle permet de changer d'univers et de changer l'univers, toujours mal dit.

Je reprends ; voici quelques éléments essentiels :
1. parler du monde d'aujourd'hui et produire du sens intelligible.
2. métisser les langues, les niveaux de langue, les styles, les français d'ici et d'ailleurs.
3. écrire en essayant de s'adresser autant aux gens du bar du coin qu'aux esthètes
4. rechercher la simplicité de l'expression et des vers qui sonnent.
5. surprendre par l'évocation d'un imaginaire que l'on n'aurait pas imaginé soi-même, en tant que lecteur, surprendre et captiver.
6. Utiliser la répétition, ce que je fais de manière récurrente ; j'en viendrai à bout, ce n'est pas un système...
7. un texte est toujours, quelque part, "conceptuel", c'est à dire une invention de la langue et d'un rapport humain particulier, invention de la langue et aussi du rapport avec le lecteur. Cela rejoint la question de la forme poétique ; écrire est aussi une démonstration, en quelque sorte, de l'invention de la forme poétique en direct ; c'est également une recherche de complicité avec le lecteur, complicité qui se traduit par al reconnaissance de suffisamment de points communs en termes de perception du monde de sorte que l'univers évoqué par le texte soit immédiat, immédiatement intégrable, immédiatement ou médiatement envisageable, disons, à tout le moins intégrable dans l'univers de l'autre, au risque et au plaisir de l'étranger et de la rencontre. Pour moi, aujourd'hui, chaque texte engendre sa propre forme poétique particulière. Engendre, ou requiert l'invention...
8. Réinventer la roue à aubes.
9. Un texte construit et apporte une ouverture, sur le monde, sur l'autre et sur soi. Une étincelle de lumière.
10. Le besoin d'exprimer la même idée force de différentes manières, totalement contradictoires voire opposées.
11. Ecrire est une pratique redoutable sur le plan des repères intérieurs. Une expérience dangereuse qui ne laisse pas indemne et dont il convient de sortir reconstruit. Parfois, le rapport au monde tient à un mot, une phrase.
12. Par boutade, je dis "trouver le sens de la formule"
13. Dire ce qui ne se dit pas, ce qui est juste là, inconsciemment proche et qui vibre et qui a besoin de venir dans la présence.
14. Aspects obsessionnels parfois, bien sûr !
15. travailler, travailler, travailler sans relâche.
Synthétiser.

Je le savais bien que tu n’écrivais pas au hasard et qui tu aimais l’effet de surprise chez tes lecteurs ! Et bien il est tout réussi et tu as su me captiver aussi ! Par exemple, j’ai écouter sans ciller les histoires du Ginkobilobas et bien sûr, j’aimerai beaucoup en savoir plus sur ce sujet. Où l’as-tu découvert, comment as-tu eu envie d’écrire à son propos ?

J'ai découvert le ginko et son histoire à la bambouseraie d'Anduze. Et cette histoire d'Hiroshima m'a fait énormément réfléchir. A l'époque, je passais un temps très long à écrire (au moins 4 heures par jour) en écoutant en boucle l'album live de Jo Corbeau avec le dub olympique - spéciale dédicace à Mister Jo, le griot arménien de Marseille, et à Radio Invisible International, dans la foulée... et tout ça s'est mélangé d'une manière extrêmement étrange et, n'ayons pas peur des mots, mystique, mais ça, c'est une autre histoire...
Ma réflexion sur les ginkos a été que, finalement, un végétal extrêmement ancien a résisté à la bombe atomique - LA bombe et pas UNE, j'insiste. C'est une idée vertigineuse, qui a l'air au départ merveilleuse, mais peut-on s'émerveiller d'avoir cette connaissance ? là gît une forme de vertige, d'autant que cette connaissance devrait être apprise à tous les enfants de toutes les écoles du monde et que ce n'est pas le cas. Se réjouir de la connaissance de la résistance du ginko, c'est aussi une conséquence de LA bombe. Donc, un travail sur le commencement du monde, la fin du monde, le dit et le non dit, l'intérieur et l'extérieur, et le monde d'aujourd'hui... et j'aime les arbres majestueux. Tu connais cet arbre , el arbol de lianas ? j'en ai vu d'impressionnants à Séville et à Alicante.

Passionnant de connaître le mythe du ginko ! J’ai dévoré ton recueil, Ferrailleurs du Cosmos… Tu m’as dit que tu avais tout fait toi même ! ! ! Mais comment t’es venue cette idée de t’auto-éditer ?

Lorsque j'ai intégré le fait que mes textes pouvaient intéresser des gens hors d'un cercle privé (sélectif, rigoureux mais privé), mon envie première a été de trouver des groupes de musique pour leur proposer des textes. Je pensais en premier lieu à de groupes de reggae, ou bien à des gens qui font du ragga. Mais je ne savais pas vraiment comment les atteindre et je n'étais pas sûr que ce que j'écris puisse les intéresser.

Arrivé un moment donné, j'ai envisagé d'avoir une démarche pour me faire publier. Je me suis dit : pratiquement, cela va me demander beaucoup d'énergie, de temps, de travail et d'argent (recherche et connaissance d'éditeurs susceptibles d'être intéressés, envoi de manuscrits, courriers, lettres, etc...).

J'étais déjà devenu assez sûr de mes textes ; je pensais que certains pouvaient intéresser un éditeur de poésie, mais certains seulement. Et je produis très lentement. Alors je me suis dit : j'ai trop peu de textes pour qu'un éditeur en fasse un recueil, le cas échéant. Il y a de nombreuses revues, mais elles sont très ciblées. Plutôt que d'aller dans cette direction, je vais éditer moi-même un recueil, avec ce paquet de textes qui forme un tout, une première unité disons cohérente. Comme ça, je n'aurai rien à demander à personne, et personne ne me dira "non, désolé, cela ne nous intéresse pas, vous devriez écrire comme ci ou comme ça, changer ceci ou cela", et au moins, je pourrai essayer de faire en sorte que mes écrits deviennent autre chose, en contrôlant à ma manière. Sans compter que la mise en page, la mise en forme de textes est une problématique redoutable sur le plan littéraire, problématique que je ne peux envisager d'approfondir outre mesure (je pense à des questions du genre : pourquoi ne pas mettre tous les texte bout à bout et sans titre ni aucune ponctuation, pourquoi ne pas faire un rouleau avec le texte en continu...). Je ne voulais pas non plus ne pas avoir eu une démarche qui va jusqu'au bout.

Et en plus, il est sympa ce petit recueil, il tient dans la poche et dans la main ! Raconte moi pourquoi tu as opté pour ce format?

L'idée d'un tout petit format m'a séduit parce que ce n'est pas si courant que cela, parce que c'est une gageure de mettre en forme de "longs" textes sur de petites pages, parce que cela parcellise la lecture (l'idéal serait une page à la taille du texte de sorte qu'on puisse voir un texte en entier sur un seul recto, mais cela n'est pas très pratique !), parce que le livre produit est à l'échelle de la main ; mon modulor à moi en quelque sorte, tiens, voilà qui aurait pu faire un bon titre, modulor, la cité radieuse, la maison du fada... un petit format est aussi, pour moi, une référence à l'Asie et à la miniaturisation, ça a un côté pratique, on peut le mettre dans la poche et lire quelques pages à un moment perdu pour changer d'air quelques instants ; parvenir à cela est déjà beaucoup. 

Et l’idée du titre Ferrailleurs du Cosmos ?Ca n’est pas vraiment évident de trouver un titre, et je trouve que celui-ci sonne plutôt bien.

J'avais un tout que je jugeais cohérent, je l'ai finalisé avec ce recueil ; le choix du titre a été très difficile ; j'attache pour l'instant beaucoup d'importance aux titres, et il fallait que ça cartonne.

En tous les cas, j’admire ta démarche ! Et je me demande bien tout le travail que tu as du accomplir pour t’auto-éditer… Ca doit être énorme, non ? Dépôt légal, choix du contenu, de la forme, de la couverture et puis sans compter que tu as tout fait à la main !

Ben, il faut une quinzaine de minutes pour savoir exactement comment s'y prendre pour publier un livre, à partir de quelques mot clés tapés dans un moteur de recherche ; c'est même désarmant ; l'internet est réellement un progrès de ce côté là.
Concrètement :
·    le droit de publier est constitutionnel et gratuit pour tous les citoyens français.
·   demander des isbn à l'afnil. Deux étapes : envoyer un mail pour demander un dossier ; remplir et renvoyer le dossier de demande d'isbn (par mail). Le lien de l’afnil : www.afnil.org

- produire puis procéder au dépôt légal auprès de la bnf et du ministère de l'intérieur.
- Toutes les informations sont disponibles sur une page du site de la bnf, accessible en quelques cliquetis de souris. http://www.bnf.fr/pages/zNavigat/frame/infopro.htm

Une fois que je suis parvenu à finaliser les textes, les titres de chapitre et l'ordre de présentation, j'ai travaillé avec deux amis que je connais de très longue date (depuis plus de 20 ans) et que je ne remercierai jamais assez : André et Gilles.
André est maquettiste ; il s'est occupé de la mise en page, ce qui n'est pas une mince affaire !
Gilles est un dessinateur de génie ; je tenais à ce qu'il me fasse un dessin de couverture, parce que je savais qu'il comprendrait intuitivement l'esprit, et j'ai toujours été fasciné par sa capacité à inventer des univers vivaces, personnels, et qui possèdent de la substance, et qui résistent au regard (tout n'est pas donné d'un coup, il y a toujours quelque chose d'autre à découvrir). L'élaboration de la couverture s'est faite à travers de jeux de mails et des rebondissements, à partir de l'idée d'un portrait de pirate Rastapakoulos, et d'un univers de ferrailleurs moderne ; l'indication "Marseille" sur la couverture, c'est une concession commerciale pour attirer l'oeil, c'est tout... il se peut d'ailleurs qu'à l'avenir, ce petit personnage donne lieu à d'autres travaux, une BD par exemple ; les univers sont ouverts et se mélangent et se prolongent. La concrétisation a pris du temps, à cause des contraintes des uns et des autres et aussi parce que vivre prend du temps... en discontinu d'avril à novembre.
Je me suis penché sur la question de la réalisation d'un livre; j'ai trouvé des solutions et je l'ai réalisé à la main, ce qui n'est pas une mince affaire !!! L'idée etait aussi de faire un livre, mais que cela ne me coûte pas cher, de sorte que je puisse le vendre mais à un prix symbolique. Imprimé sur une imprimante personnelle, seule la couverture a été faite chez un imprimeur. Mais c'est vraiment un travail de romain et de fourmi à la fois, je ne pense pas que je le referai de la même manière ! Concrètement, à ce jour, j'en ai vendu 45 exemplaires... et à des personnes très différentes les unes des autres, c'est à dire aussi à des personnes
qui lisent peu ou pas de poésie...

En tous les cas, j’espère que tu vas faire beaucoup d’heureux et je suis enchantée d’avoir pu discuter avec toi de ta poésie et de ton livre… En attendant, je vais recommander ton recueil à mes amis poètes !


En plus, très simple pour le commander, sur ton site tout est indiqué. Merci Didjeko ! 


par Cécile Guivarch
pour francopolis janvier 2005


dessins de Gilles

Créé le 1 mars 2002

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