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Agnès Kerboriou
sélection avril 2005
Sa
présentation
Comme ça faisait déjà trois heures que je l'attendais j'avais mis au four la dernière paire de chaussures qu'il avait oubliée chez moi. Le téléphone a sonné. C'était ce blafard de Momo, geignard par habitude: et que la vie c'est d'la merde, et que sa femme est une salope, et que son fils est con... Les rituelles lamentations du mec marié que l'on peut sauver de l'échouage rien qu'avec un calin entre deux portes. Mais ça ne prenait plus avec moi ! Basta ! Fini ! Adios ! Je posai le combiné du téléphone et appuyai sur la touche amplificatrice: "Et bla bla bla et bla bla bla... avec toi ça aurait été différent..." Mon oeil oui ! Moi aussi j'taurais dit de pas mettre tes chaussettes en boulettes dans le panier de linge sale ! Et p'têt même que je t'aurais dit de la faire tout seul ta lessive ! On quitte sa mère, on quitte sa femme, pour retrouver une lavandière ! Merci bien ! Libre, j'étais libre! Pourquoi ne le criais-je pas à ce crétin ? qu'il me fiche la paix ?! Signal de double appel. C'était sans doute Ulrich... il avait eu un empêchement... - Allo ? c'est votre voisine d'en face. Il y a de la fumée qui sort par la fenêtre de votre cuisine! Vous êtes au courant ? - Euh... non ! >> Je me précipitai. Des flammes sortaient de derrière le four. Les chaussures d'Ulrich !! Quelle débile idée de vengeance ! J'appelai les pompiers puis tentai d'éteindre l'incendie en jetant sur le feu toutes les couvertures et les draps de bain que je trouvai dans les armoires. J'étais noire et hirsute quand Ulrich est entré. - Qu'est-ce qui se passe ici ?!! >> hurla-t-il en saisissant mon manteau dans l'entrée pour éteindre les dernières flammes. Tout en sanglotant, je mâchouillai deux trois mots inaudibles. Quand il ouvrit la porte du four, le spectacle était désolant: deux mottes de matière molle pleines de cloques. - C'était notre dîner ? hasarda-t-il. - Non... - Mais qu'est-ce que... Mais c'est pas vrai !!? Dis-moi que ce n'est pas ce que je pense ?! - ... - Mes chaussures de ski !! Mais tu es complètement folle !! - Ca faisait trois heures que je t'attendais... >> dis-je en reniflant. On sonnait à la porte. J'allais ouvrir. C'était les pompiers. Par mesure de précaution, ils arrosèrent copieusement le four de neige carbonique. - Tu vois, dis-je bêtement, elles sont mortes dans la neige... - Non mais c'est tout ce que tu trouves à dire ?! C'est tout ce qu'elle trouve à dire, ironisa-t-il en prenant les deux beaux pompiers à témoin, je suis allé nous réserver un séjour à Mégève et elle met mes chaussures de ski au four !! C'est une folle ! >> lâcha-t-il avant de s'en aller en claquant la porte. Les pompiers qui étaient aussi des spécialistes des inondations ont épongé mes sanglots. Libre !! je suis libre! Seule. Toute seule.
Agnès
Kerboriou
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