Chronique de Cécile Guivarch
Marina Tsvetaïeva, poète de tous les exils.
Photo : http://tsvetaeva.free.fr/index.html
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Une fleur épinglée à la poitrine.
Je ne sais déjà plus qui l'a épinglée.
Inassouvie, ma soif de passion,
De tristesse et de mort.
Par le violoncelle et par les portes
Qui grincent, par les verres qui tintent
Et le cliquetis des éperons, par le signal
Des trains du soir,
Par le coup de fusil de chasse
Et par le grelot des troïkas -
Vous m'appelez, vous m'appelez,
Vous - que je n'aime pas !
Mais il est encore une joie :
J'attends celui qui, le premier,
Me comprendra, comme il le faut -
Et tirera à bout portant
(poème écrit le 22 octobre 1915 - L'offense
lyrique, Présentation Henri Deluy - Éditions Fourbis, page
33)
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La poésie de Marina Tsvétaïéva,
on la vit, on la reçoit avec toutes ses contradictions et ses éclats
intérieurs. On l'écoute avec une attention toute particulière
et cette envie de lui dire qu'elle ne doute pas en elle, qu'elle est un grand
poète. Celle qui dès les premiers temps de son écriture
affirme : « Mes poèmes sont un journal intime »
Poète lyrique, Marina Tsvétaïéva
est née à Moscou en en 1892, publie dans des revues dès
l’âge de seize ans, part en exil en 1922 pour une période de
17 années. Et en 1939, lorsqu’elle se prépare à revenir
à Moscou, elle écrit à son amie Anna Teskova «
Ici, je suis inutile, là bas je suis impossible » La dernière
décennie de sa vie, les poèmes sont rares, Marina lorsqu’elle
retourne en URSS, en 1939, semble aller de façon consciente vers la
mort. En 1941, elle n'est plus la poète, celle qui écrivait
en 1926 à Rilke « toute mort de poète, même la plus naturelle est contre nature, c’est à dire un meurtre », s'est pendue.
Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
A ton monde insensé
Je ne dis que : refus.
(extrait de mars, 1939,
traduction de Pierre Léon et d'Eve Malleret, dans Le ciel Brûle,
éditions Poésie / Gallimard, page 202.)
La poésie de Marina
Tsvétaïéva est une flamme ardente, une perpétuelle
révolution, une adhésion personnelle du poète, elle
vient du tréfonds et persiste une obsession amoureuse, une affirmation
de soi, de la souffrance, du désespoir. C’est un perpétuel
mouvement intérieur, avec des tensions, des déchirements. Comme
une rafale de l’âme avec toutes les contradictions qu’elle peut contenir. Une lutte continuelle. « Varier est mon affaire, Marina est mon nom »
écrit-elle. Un élément qui revient souvent : la
séparation contre l’accomplissement « J’ai aimé toutes les choses de la vie sous forme d’adieu et non de rencontre, de rupture et non de fusion
» (Mon Pouchkine) L'écriture est envahissante avec des effractions,
des ellipses, une ponctuée d’exclamations, de tirets, de leitmotiv
et toute une série de moyens mis en place (euphonie, analogies, effets
de sonorités, redondances, rareté des verbes, inversions, etc.)
« Trop a toujours été la mesure de mon intérieur »
dit-elle. Marina creuse au plus profond d’elle-même, jusqu’au
centre de l’instabilité. Elle gravite autour de la peur de l'abandon,
du désamour et de l'incompréhension.
Marina reçoit un soutien considérable de la part de Pasternak.
Ce dernier l’encourage avec ses lectures critiques et attentives. «
Le critique est un enquêteur et un amant », écrit Marina
(dans Le poète et la critique). Pasternak joue un rôle important
dans la vie de Marina et il l’introduit dans une correspondance à trois avec Rilke. Ces correspondances sont disponibles chez l’éditeur Clémence Hiver.
On ne guette pas les lettres
Ainsi – mais la lettre.
Un lambeau de chiffon
Autour d’un ruban
De colle. Dedans – un mot.
Et le bonheur. – C’est tout
(extrait de La lettre,
traduction de Pierre Léon et d'Eve Malleret, Le ciel brûle,
éditions Poésie / Gallimard, page 88)
Ces correspondances, avec Rilke, Pasternak mais aussi Anna Teskova,
prennent d’autant plus d’importance dans la vie de Marina qu’étant
en exil dans un pays où la langue n’est pas sa langue natale, ses
poèmes sont peu publiés. Et ceci même par les écrivains
émigrés qui s’opposent bien souvent à la publication
de ses poèmes. « En Russie, je suis un poète sans livres, ici –un poète sans lecteurs. Ce que je fais, personne n’en a besoin.
» Loin de son pays, Marina se conduit vers son propre exil intérieur.
De par ses contradictions, son refus des limites, sa provocation ("Écrire c'est entrer sans frapper à la porte"
- dans une lettre à Pasternak), Marina se trouve dans l’esseulement
et des conditions de vie difficiles, la misère. Elle s’exile de la
vie quotidienne, elle écrit à Anna Teskova en 1927 «
Tous
mes amis me parlent de la vie comme les marins parleraient de pays lointains
à des paysans […]. J’en conclu que je ne vis pas dans la vie, ce qui
d’ailleurs est clair sans préambule. » Exilée
en amour, elle connaît l'abandon, l'éloignement, avec Rilke
qui meurt avant qu’ils ne se soient rencontrés, avec Pasternak qui
est loin, avec la poétesse Sofia Parnok
qui engage la rupture et l’abandonne ainsi, Mandelstam et Alexandre Blok
sont morts. Sans passion fidèle, Marina, la tragique, se sent la mal
aimée. Marina après s'être exilée de tout, est
évacuée du monde, sur son certificat d’inhumation en 1941 il
est écrit : « Profession : évacuée »
Dans le corps : - en exil
Extrême. – Déperdition !
Dans le corps : - dans un mystère,
Sur les tempes : - dans l’étau.
Du masque de fer.
(Extrait, 1925, L’offense lyrique, Présentation Henri Deluy, éditions fourbis, page 147)
Sources :
http://tsvetaeva.free.fr/index.html
Une biographie, une bibliographie, des extraits, un forum, des liens
Marina Tsvétaïéva - Comment ça va la vie ? par Linda Lê - Éditions Jeanmichelplace / poésie 2002
Marina Tsvétaïéva - L'offense Lyrique - Présentation
et texte français par Henri Deluy - Éditions Fourbis 1992
Marina Tsvétaïéva - Sans lui - Présentation et
texte français par Henri Deluy - Éditions Fourbis, 1994
Marina Tsvétaïéva - Le ciel brûle, suivi de Tentative
de jalousie - Traductions de Pierre Léon et d'Eve Malleret - Préface
de Zéno Bianu - Éditions Poésie / Gallimard, 2002
Quinze lettres de Marina Tsvetaeva à Boris Pasternak - traductions de Nadine Dubourvieux - Éditions Clémence hiver 1991
Rilke, Pasternak, Tsvétaïeva - Correspondance à trois (été 1926) - Éditions Gallimard
Marina Tsvétaïeva - Lettres à Anna Teskova - traductions de Nadine Dubourvieux - Éditions Clémence hiver 2002
et pour une bibliographie plus complète : http://tsvetaeva.free.fr/biblio.html
d'autres liens :
http://www.espacepoetique.com/ChoixP/marina3.html
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/tsvetaeva.html
Par Cécile Guivarch
pour francopolis
avril 2005
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