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Chronique de Cécile Guivarch... suite


Marina Tsvetaïeva, poète de tous les exils.



LA NEIGE

Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre

Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave…

Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !

Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
Désole, détale,
A grand coups de pelle,
A grand coups de balle.

Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.

    Poème écrit en français en 1923.

Marina Tsvétaïéva dans Le ciel brûle, éditions Poésie / Gallimard, page 117.

*********



Extrait d’une lettre du 31 décembre 1929 à Meudon

[…] Boris, avec toi je redoute chaque mot, voilà la raison de mon silence épistolaire. Car nous n’avons rien d’autre que les mots, nous y sommes condamnés. Car tout ce qui, avec d’autres, passe – sans mots, les mots sans voix, sans rectification par la voix. Le peu de chose prononcé (l’air a tout mangé) – est affirmé, muettement hurlé. Boris, d’ordinaire, dans toute relation humaine, les mots sont juste une main-forte, une béquille, une dernière extrémité, et l’extrémité l’est toujours – dernière. On dit bien – en guise d’adieu. Je ne sais pas si elle est vraiment de lui, mais Stépoune a eu une formule définitive : « Ce qui a perdu les romantiques, c’est d’avoir toujours été les derniers. » Chacune de nos lettres est la dernière. Tantôt – la dernière avant notre rencontre, tantôt – la dernière pour toujours. Peut-être est-ce d’écrire rarement que tout reprend à neuf – à chaque fois. L’âme se nourrit de la vie, ici l’âme se nourrit de l’âme, auto-dévoration, impasse. […]

Quinze Lettres de Marina Tsvetaieva à Boris Pasternak, traduites du russe par Nadine Dubourvieux, éditions Clémence Hiver

***


Lettre de Marina Tsvetaïeva à Rainer Maria Rilke (extrait)

Quand je mets les bras autour du cou d'un ami, c'est naturel ; quand je le raconte, ça ne l'est déjà plus (même pour moi !). Et quand j'en fais un poème, cela redevient naturel. Donc, l'acte et le poème me donnent raison. L'entre-deux me condamne. C'est l'entre-deux qui est mensonge, pas moi. Quand je rapporte la vérité (les bras autour du cou), c'est un mensonge. Quand je la tais, c'est la vérité. Un droit intime au secret. Cela ne regarde personne, même pas le cou autour duquel j'ai noué mes bras. C'est mon affaire.
(...)
quand je fais un geste, je me réjouis de pouvoir encore faire un geste. Mes mains veulent si rarement.
(...)
Et enlacer un arbre ou un être, pour moi, c'est tout un. C'est tout un.
(...)
Et voilà ton poème, Rainer, le poème de Rilke, du poète, le poème de la poésie.
(...)
Rainer, hier soir je suis sortie pour enlever le linge, parce qu'il commençait à pleuvoir. Et j'ai pris tout le vent - non, tout le nord, dans mes bras. Et il portait ton nom (Demain ce sera le sud!). Je ne l'ai pas fait entrer dans la maison, il est resté sur le seuil. Il n'est pas entré dans la maison, mais il m'a emmenée sur la mer, à peine m'étais-je endormie.
(...)
"Faiseurs de signes, rien de plus"

Et ce qui est dit des amants, de leur longue inclusion et forclusion ("Du centre du Toujours")
Et la longue promenade lunaire à pas légers.
Et cependant, cela ne veut pas dire autre chose que : je t'aime.

Marina

passages de la lettre 27 de Marina Tsvétaïeva à Rainer Maria Rilke
les expressions entre-guillemets sont des reprises de Rilke, d'une élégie qu'il a écrite pour Marina.


cette lettre est extraite de :Rilke, Pasternak, Tsvetaïeva - Correspondance à trois (été 1926) Éditions Gallimard

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Meudon, 14 septembre 1931

Chère Anna Antonovna !

Notre situation est carrément désespérée : nous sommes le 14, et pas de bourse tchèque. Sans elle, nous sommes perdus. On me publie nulle part (le numéro de « Liberté de la Russie » où devait être publiée ma prose « Histoire d’une dédicace » - n’est pas sorti), S.I. est sans emploi, Alia doit terminer son école. Personne ne nous aide. […]
Avec nos revenus, nous devrions tous vivre sous les ponts. J’écris des poèmes – lyriques (je définis ainsi les choses courtes, isolées, mais en gros – tout est poésie lyrique ! Qu’est-ce qui n’est pas poésie lyrique ? !) – il y a eu une série de poèmes à Pouchkine (tout le cycle s’intitule « Monument à Pouchkine » - l’  « Ode à la marche à pied » - « La Maison » (un autoportrait) – et maintenant : « Le sureau » (vous savez, cet arbre couvert de toutes petites baies rouges toxiques, - qui pousse le long des haies).
En résumé, si l’on me publiait, même si je ne gagnais pas d’argent : au moins – j’y gagnerais. Tandis que là – rien : tout reste dans mon cahier.
Dès que j’aurai le temps (et même si je ne l’ai pas !) – je recopierai et vous enverrai.
Je vous en supplie, chère Anna Antonovana, tâchez de me concilier les Tchèques. – J’ai honte de toujours quémander, mais ce n’est pas moi la coupable, c’est le siècle qui céderait dix Pouchkine contre une automobile de plus.
Je vous embrasse et vous demande pardon pour ces perpétuelles requêtes.
M.T.

Marina Tsvétaïeva- Lettres à Anna Teskova traduites du russe par Nadine Dubourvieux - éditions Clémence Hiver - Page 117

 ***


Marina rencontre Sofia Parnok en octobre 1914 à Moscou.
C'est aussitôt le coup de foudre la séparation en février 1916 sera douloureuse.
Elle consacre un cycle de 17 poèmes à cette passion.

N'oubliez pas : un seul cheveu de ma tête
m'est plus cher que toutes les têtes
allez vous en ... _ Vous aussi ... _
Et vous ... _ et vous aussi... _

Cessez de m'aimer , tous, cessez de m'aimer
ne me guettez plus le matin
que je puisse sortir calmement et prendre l'air

Marina Tsvétaïeva

et de Sofia Parnok en 1916

Où est la mer ? Où est le ciel ? En haut ? En bas ?
Je te mène sur le ciel ? ou sur la mer ?
Ma chérie ?

Marée basse . Nous voguons, la rame silencieuse ,
Comme si l'azur , en reculant, nous avait emmenées
Loin de la côte ;

C'était l'heure - ou pas? - La chapelle, un cercueil,
le front ennobli par le calme, -
Lointaine, l'heure étrangement !

La mémoire est ensevelie sous les feuilles ...
Le vent et ts boucles défaites balbutient
de joie !

Extraits du recueil  "sans lui" - éditions fourbis 1994 -présentation et textes français Henri Deluy

 
*** Marina Tsvetaïeva

Par Cécile Guivarch
pour francopolis
avril 2005 

 

Créé le 1 mars 2002

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