Ce livre ne manque pas
d’originalité, autant par son propos que par sa mise en page.
C’est vraiment un divertissement de se promener entre ces pages. On s’y
promène pour la poésie, pour les encadrés de
recettes ou d’extraits sur la gastronomie et ce qui m’amuse beaucoup
aussi, pour suivre l’énoncé de la dernière
ligne... sur chaque page qui joue admirablement avec les mots.
“
... marelles
de pouvoir domestique doux espaces/
domestique doux espace suçoté de la langue/
ce
suçoté de la langue chuintement du pain/
langue
chuintement du pain perdu Fond ré/
vitement
du pain perdu Fond réglisse chât...”.
et ça continue
ainsi jusqu’à la fin du livre; chaque page nous donne son clin
d’oeil.
On lit sur la quatrième de couverture “ Vincent Wahl explore les
frictions et fantasmes liés à la nourriture, lesquels
constituent la part la plus authentique et la plus sensible de notre
histoire intime”et en dégustant votre poésie, on
rencontre le gamin, l’oeil vif, qui aime bien rigoler, on vous entend
presque saliver.
“
...Et moi les
yeux plus grands
qu’un
abdomen encoquillé
comme
les hémisphères cérébraux
de
la noix
juglans
juglans.......
...
nous rigolions beaucoup de ce commensal
sans
faute honte
se
bâfrant de homard... "
...
Ou encore,
“
Il faut
imaginer:
un
petit garçon sur la grande place de Wissembourg
compte
à voix haute les morceaux de sucre
d’un
paquet ficelé
compte
en français
langue
sévèrement interdite
de
Reichsland..”
Et ça continue sur le ton de la confidence,
“
... la
décision qui peut-être a entraîné
le
plus de glissements souterrains
c’est
lorsque j’ai cessé, au retour du service militaire
d’aller
au restaurant universitaire
et
entrepris d’apprendre tout seul
premier
acte d’adulte
à
préparer mes repas
en
commençant par les combinaisons élémentaires
de
l’eau du sel des pâtes et de l’oeuf
de
l’huile et du vinaigre “
ce livre nous emmène en voyage... gastronomique et dans un
pan de l’histoire aussi.
...
“
La veille du
Nouveau An juif
.....
La
famille élargie se réunit autour du plateau couvert d’un
linge
là
attendent huit mets dont chacun ne prendra q’un morceau
après
récitation de voeux rituels
...
Une
année savoureuse comme la pomme, douce comme le miel
des
occasions nombreuses comme les grains de sésame.”
On s’y laisse prendre aussi par les titres des poèmes bien
odorants qui nous mettent en appétit:
Tour de chauffe -
Dendelion -Champignons - Exercices d’appétit - Repas de
mots - etc
Un recueil qui n’en finit plus de nous surprendre, de nous
captiver, de nous émerveiller et bien sûr de nous
faire saliver.
.......
Rencontrons l'auteur Vincent Wahl,
- La nourriture est
omniprésente dans votre recueil. Au premier abord,
j’étais un peu réticente et pourtant votre poésie
est amusante et profonde, elle nourrit bien le lecteur qui ose
s’attarder à votre table. Il faut quand même de l’audace
pour poétiser sur la nourriture. Vous avez confié
à Francopolis
concernant ce recueil:
“
J’ai accumulé un
matériau important dans un domaine qui m’attirait : celui des
mots de la nourriture. Des notes, sur des petits carnets, mais aussi
des menus, des recettes, des histoires…. Ensuite, j’ai écrit en
grande masses, en collines de saindoux, puis j’ai taillé dans
celles-ci les façades de mes maisons troglodytes.
L’écriture a privilégié dans un premier temps le
périmètre, l’épaisseur puis dans un
deuxième le travail en profondeur, les ajustements et les
ravivements mutuels de textes qui prennent sens par leur voisinage. En
réitérant les cycles, autant de fois que
nécessaire. Dans ce cas là, je suis arrivé
à une forme de méditation narrative.
Mes morceaux
d’écriture préférés naissent souvent dans
des moments d’incertitude, d’instabilité du langage, par exemple
dans la confrontation de plusieurs champs sémantiques, des mots
de la conversation « ordinaire » avec des lexiques
spécialisés, dans les tics de langage, les jeux de mots
volontaires ou non. C’est ainsi que le vocabulaire de l’alimentation se
met à parler aussi d’autre chose, de rapport aux autres, de
généalogie personnelle ou familiale, d’éthique,
etc. “
(extrait de
regard
sur l'écriture de Vincent Wahl sur Francopolis, janv 08)
- Mission accomplie M.
Vincent Wahl ! Et doublement, la présentation de votre recueil
est minutieusement dressé comme une “ Table d’Hôte 5
Services “
Comment a germé cette idée fort originale, je dirais
même appétissante de votre mise en page en intercalant
dans vos pages poétiques, des encadrés de recettes,
menus, des extraits sur la gastronomie et cette bande déroulante
en fin de page ?
- Ce sont des menus affichés
à la porte des restaurants (où j’entrais peu), le film
d’Henry Jaglom « Eating » qui fait parler des femmes sur
leur rapport à la nourriture, ou une émission
hebdomadaire sur France-Culture, « De bouche à oreille
» qui m’ont donné envie de travailler sur cette langue
particulière qui est celle de la cuisine. Le déclic est
venu de l’extraordinaire exposition « Livres en bouche »
que la Bibliothèque de l’Arsenal avait organisée en 2001
et grâce à laquelle j’ai savouré cette
naïveté et cette fraîcheur mais aussi cette
efficacité des écrits
gastronomiques de la Renaissance ou du dix-huitième
siècle. C’est petit à petit, dans cette écoute,
qu’est née l’idée d’une composition, dans laquelle les
textes sur la nourriture seraient en interaction avec les miens pour
les relancer, les illustrer, et réciproquement.
Quant à la
ligne de bas de page que j’appelle « le prompteur », en
référence à cette ligne de texte qui défile
en bas des écrans, l’idée en est venue plus tard : un de
mes lecteurs précoces, le philosophe Eric Gans, m’avait dit
qu’il se perdait un peu dans ma composition. J’ai donc imaginé
ce fil conducteur que le lecteur utilise s’il le souhaite, soit pour se
retrouver dans l’histoire que je raconte derrière les textes
(celle d’un « tourner autour » la difficulté de…
consommer – car la bouffe, nous le savons tous, ça ne va pas de
soi, celle d’une recherche de compensation qui va du regard qui isole
à la parole qui partage), soit pour le simple plaisir du
poème sous le poème. Eric Gans a eu l’air d’aimer, mais
sans me dire si j’avais répondu à son attente ! En tous
cas tu es parmi les tous premiers/premières à m’en
renvoyer spontanément un écho complice !
- Parlez-nous un peu de
votre relation avec la poésie ? Et aussi de votre rapport au
livre papier en opposition au support internet ?
- C’est difficile de parler de sa
relation à la poésie. Tu connais cette histoire de
l’évangile où Jésus, marchant sur la mer, appelle
Pierre à le rejoindre, et ça marche si j’ose dire tant
que Pierre ne cherche pas à comprendre ce qu’il fait. Tout d’un
coup, il se regarde, croit comprendre et immédiatement,
s’enfonce. La poésie, ce serait cette manière de
dérouler centimètre par centimètre la langue sur
laquelle on peut s’avancer, comme la langue de la grenouille dans
certains livres pour enfant. Et en même temps, c’est beaucoup de
retours, de tri, de reprise, sur ce qu’on a écrit, beaucoup
d’itérations du cycle invention/validation, beaucoup de travail.
Pour prendre une image inverse, au risque d’un peu de trivialité
et d’un lieu commun, la poésie serait aussi descendre de son
petit vélo et se regarder pédaler! En tous cas, le
poème réussi, celui que d’autres que toi vont pouvoir
s’approprier, dans lequel il pourront souffler pour en faire leur
propre bulle, pleine de l’air de leur poumons à eux, c’est celui
qui donne l’impression d’être ce bout de tapis violent se
déroulant tout seul, sur lequel tu peux t’avancer dans l’air.
Inoxydablement oxymorique, la poésie.
L’amour du livre,
c’est aussi un paradoxe : derrière le livre il y a le risque de
l’accumulation des livres, de la bibliothèque, qui m’a toujours
fait peur et attiré à la fois. Loin de la vie, la
vie-même. Volons nous des livres les uns aux autres! Car le livre
sous la forme que nous connaissons, celle du codex, avec ses feuillets,
c’est l’objet que tu peux laisser de côté et un jour
ouvrir n’importe où, et c’est là qu’il va te parler. Ce
que tu ne trouveras pas de la même manière avec le support
Internet. Mais celui-ci t’affranchit aussi de l’industrie du livre et
de sa distribution, celle qui crée de tels risques pour
l’éditeur qu’il a pour la poésie une approche
nécessairement malthusienne. Internet, c’est aussi ce qui nous
permet d’échanger du Québec à la France comme si
nous étions dans la pièce à côté.
Alors je ne veux dire que du bien – un bien toujours relatif – de tous
les supports. Tous sont contingents, tous ont leurs limites et offrent
aussi leurs opportunités. Chacun s’arrange avec eux comme il le
peut, comme avec son propre désir de lecture, d’écriture,
d’échange, de langage. Les bergers tyroliens, pour communiquer
d’une vallée à l’autre, ont inventé le yodel qui
depuis, dans l’imaginaire français est devenu la
métonymie d’une fête de la bière oum-pah-pah avec
accordéon, chemises brodées et bretelles en loden vert…
Retrouvons le souvenir des crêtes grignotées par la nuit
qui s'avance, et de ces isolés qui s’envoient, qui accordent
leurs
cris par delà les gouffres!
Merci Vincent, de votre disponibilté et surtout de nous donner
à lire votre poésie.
----------
Vincent WAHL
03 87 36 29 11 Ecrivain
Notice à l’adresse
http://www.editions-rhubarbe.com/wahl.htm
Dernier livre paru: Oeil ventriloque, Février 2008
http://www.editions-rhubarbe.com/oeilvent.htm
**
à lire aussi le
compte-rendu
de lecture d’Alain Helissen
lecture
d'Alain Jean-André
profitez-en pour y lire
un poème et
ainsi mieux comprendre
les prompteurs
de fin de page .
l'
argumentaire
sur Poésie.e vous
et l'article
regard
sur l'écriture de Vincent Wahl sur Francopolis (janvier08)