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Terre à ciels
De Cécile Guivarch
Aux Carnets du Dessert de Lune


(Lectures entrecroisées d'Yves Ughes, Liette Schweisguth, Teri Alves, Gertrude Millaire et Hélène Soris)


Pourquoi donc s'atteler à l'écriture d'un article alors que la nouvelle édition de Francopolis est sur le point de paraître, que le sommaire est arrêté, que l'immense talent des metteurs en page fonctionne à plein régime pour vous offrir ce mois encore des textes à la mesure de vos désirs les plus avides ?
Plus personnellement, pourquoi m'atteler à l'écriture d'un article, si tard, avec si peu de temps devant moi, alors que le délai habituel dont je dispose, un mois environ, n'est même pas suffisant sans le recours de la chimie ? Autant préciser que la réponse à ces questions se doit de faire dans le convaincant. Un minimum.

Et bien tout simplement parce que je viens de recevoir le premier recueil de Cécile Guivarch, Terre à ciels (éditions Carnets du Dessert de Lune), et que j'ai très envie de vous en parler, même si l'entreprise est hasardeuse si l'on applique l'équation « manque de temps - choses à dire - incapacité à faire bref ».

Je me souviens d'un soir, ce devait être à l'époque où l'équipe de Francopolis avait fait appel à moi, pour des raisons que j'ignore encore, enfin bref, un soir donc où Cécile m'envoie un mail (nous sommes après tout la première génération à maîtriser convenablement l'outil) pour me demander mon avis sur de petits textes qu'elle venait d'écrire dans le cadre d'un atelier d'écriture, animé par Albane Gellé si ma mémoire ne flanche (et pour l'anecdote). Passée la première envie de fuir et de jeter l'ordinateur par la fenêtre (quatre étages, ça devrait suffire) tout en me convaincant être la cible d'un complot fomenté par l'Association des Ennemis de la Phobie Sociale (loi 1901), je me reprends et commence à lire une série de petits poèmes, très différents de ce que j'avais lu de son auteur jusqu'ici sur divers forums, plus épurés, moins conventionnels parce que plus personnels. De petits bijoux taillés dans le regard écarquillé d'une amoureuse des bords de Loire.

le fleuve ne déborde pas

là où les feuilles frémissent

J'en fus assez surpris, agréablement je dois dire, et donc je me suis mis à lire et relire cette petite série, afin de bien m'en imprégner pour émettre une opinion la plus précise possible. La qualité des textes était bien plus qu'une évidence, soit, mais très honnêtement je ne me serais alors pas douté du chemin qu'ils allaient parcourir jusqu'à aujourd'hui. Car en effet, certains de ces poèmes, ces brindilles comme les surnomme l'auteur elle-même, se retrouvent dans ce tout nouveau recueil.

les civelles de couleur
sont le reflet de l'eau

Des instants qui s'éterniseraient presque, et dont la portée dépasse le premier abord bucolique pour aller frayer dans les identités profondes, l'écho permanent du dehors qui entre en résonance avec nos sensibilités, les nourrit. La nature comme une offrande à soi.

A gauche
on regarde la mer

dedans
on suit le mouvement

A l'inverse, parfois, le corps s'avance de lui-même vers l'image, s'appuie sur les éléments pour en extraire un contraste, ou apporter une touche finale au tableau, une signature qui serait la clé pour franchir le poème et se trouver face à quelque chose de l'ordre de l'intime.

Le mouvement dans les branches
est fait de silences
seules les feuilles se font entendre

          toi

tu cherches l'ombre

Quel que soit le sens du mouvement, il y a ce même souci de figer le fugace sur la page, non sans ménager des espaces à la contemplation nécessaire, salutaire. Les poèmes agissent comme un élan qui nous porte jusqu'au besoin, dès le recueil refermé, de flâner au bord d'une petite rivière en essayant d'entendre lever la voix du ciel en elle.

l'eau ondoie sur le dessus de la profondeur
ou bien en cercle

Et finalement, le terme « brindilles » apparaît plutôt trompeur au regard de ces instants capturés au vol, fixés durablement. Terre à ciels serait plus justement un bouquet de raretés persistantes.

le vent s'agrippe aux bords
tout se casse au centre

J'ai eu le privilège de suivre quasiment jour après jour le cheminement de Cécile, ses progrès fulgurants (préparez-vous à d'autres recueils, car Terre à ciels n'est que la première étape d'un parcours d'écriture qui a bien avancé depuis, croyez-moi). Elle est de plus devenue une véritable amie, l'une des très rares personnes avec qui je prends plaisir à discuter sans avoir recours à l'auto persuasion. Quand un de ses messages tombe dans la boîte, j'ai de plus en plus de mal à maudire l'inventeur du mail, bien au contraire, ma réaction se résumerait plutôt à ces mots : « chouette, on va encore pouvoir papoter entre copines ! »

Cette parution, qui intervient après celles de plusieurs membres de Francopolis (presque tous en fait), démontre s'il en était encore besoin la qualité de l'équipe, j'en viens même à me demander ce que je fous là parfois sans blague, ni poète ni rien du tout, aucune espèce de crédibilité. Si j'étais à la place du petit gars qui envoie ses petits textes pour les voir publiés sur le site, je me recroquevillerais d'effroi à l'idée que quelqu'un comme moi puisse avoir droit de parole au comité de lecture.

Note de quelques mois plus tard :

Ce texte a été écrit entre deux matchs de la coupe du monde en juin dernier, époque où je croyais encore naïvement aux chances du Portugal. Quant à Cécile Guivarch, elle continue son parcours, et figure au sommaire de revues réputées. On n'a pas fini d'en entendre parler. Et tant mieux.

Teri Alves


 

 

Créé le 1 mars 2002

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