Hommage à Yves Heurté,
accordeur d'étoiles et de coccinelles

 
Une étoile versera sa prière blanche sur la montagne orpheline...

Comme je regrette de ne pas t'avoir connu davantage, Yves.

Paix à ton âme, coccinelle

 

Teri



composition-photo...Teri


Vous trouverez réunis, en ce lieu d'hommage, deux nouvelles de notre cher Yves choisies par mes soins, des poèmes d'Yves et des poèmes vers Yves postés par les participants de la place des francophones, et quelques liens déposés sur cette place.

Après son article-hommage à Sabine Sicaud, Yves avait poursuivi et était en train d'écrire sa biographie romancée pour faire connaître ses poèmes ... Toute triste qu'il l'aie rejoint dans la mort, qu'il se soit trop approché de cette étoile Sabine...Trop triste qu'il ne mette plus en lumière de personnes peu connues, ni ne vienne avec son grain de sel et de sincérité…

Au jardin du ciel fleurit et sourit l'étoile Yves, il accorde nos cœurs.
Liette

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LA COCCINELLE

Sur la colline de Prague un jardin, et au bout du jardin, une maison assez cossue. Dans la maison une chambre: celle de Mozart. Et quoi dans la chambre?
Un orchestre de chambre, bien entendu.
Sur la colline, un jardin, et dans l'herbe du jardin une coccinelle, dite bête à Bon Dieu, qui vaque en paix à son safari de pucerons.
Sur la même colline, dans le même jardin donc, une coccinelle et une toute petite fille qui la regarde et la prend entre ses mains et joue avec elle et se met à pleurer comme un requiem quand son vieux poète lui dit que c'est l'heure d'aller dans la chambre de Mozart écouter un orchestre de chambre jouer Mozart.
Assise dans l'herbe de la colline, une toute petite fille qui se moque bien de Mozart, de ses trios, quatuors, messe en si ou en ré, et qui n'entrera.
Dans la chambre écouter l'orchestre de chambre que si on lui laisse SA coccinelle.
Entrée donc, avec la bestiole au bout du doigt et son drôle de vieux zigoto de poète qui suit, résigné et honteux, et voilà qu'on les assied, horreur, au premier rang, juste sous le nez des musiciens. Dès que le violon attaque, la coccinelle s'envole, fait un tour de reconnaissance autour du quatuor et vient se poser sur le genou du vieux zigoto. La petite fille émerveillée lui fait remarquer cet atterrissage, avec interdiction bien sûr de toucher à sa bestiole. Enfin le violoncelle démarre l'andante con moto et ma foi, la coccinelle a l'air de se sentir si bien. Cette musique lui rappelle le temps lointain où un certain petit Amadeus, dans le même jardin, prenait son arrière arrière arrière-grand-mère de bête à Bon Dieu sur son doigt et l'y berçait en jouant une sonate de son invention...

La petite fille surveille l'irrésistible montée de sa bestiole, de plus en plus entreprenante, vers le veston puis sur l'épaule, puis traversée de la barbe puis rodéo sur le terrain vague du crâne. On touche pas à ma bête à bon Dieu!
Largo. Va s'envoler ou pas? S'envole pas. Allegro. En stationnement.
Andantino. Gratte à peine de la patte... La petite fille s'amuse comme une folle avec son poète qui fait celui qui ne sait pas que son amie est juchée sur sa vieille clairière, là haut.
Scherzo et final :
Dans un coin, discrètement appuyé sur sa statue, il y a le petit Amadeus Mozart que personne n'avait vu. Il n'écoute même plus son concert mais se pose de graves questions sur l'avenir de la coccinelle.

Yves Heurté                        

 


POÈMES D'YVES HEURTÉ

Trois poèmes d'Yves Heurté postés par Lilas

Chansonnette pour enterrer un poète

Tu me dirais " Ferme ma boite sans regret.
On se revoit dans un instant rue de la Pomme ou bien encore
dans quelque ruelle à fantômes.
On se serre au fond d'un bistrot ou sous un porche, un soir d'orage.
On sent le chien mouillé. On se dit de ces presque rien
ces poèmes de l'un à l'autre, ces poèmes de l'autre à l'un.

On parle comme des vivants de grands et de petits moments,
des disparus qui font semblant de se cacher sous la mémoire.
Nous voilà par delà les temps devenus dans un seul poème
deux hémistiches, et pour césure un adieu qui ne rime à rien."

Tu dirais : " Je suis encore là, dans l'impasse du cimetière,
vieux rimeur évadé des terres, mon dernier recueil sous le bras.
Ces chiens mouillés, tu t'en souviens ? On va murmurer presque rien.
De l'un à l'autre et l'autre à l'un on fera les commères.
Et la mort entre deux averses n'en saura rien. Ne pourra rien.

*

J'aimerais être sans âge, seul à la table d'une petite auberge dépassée par ma route. Je ne porterais ni projets ni mémoire. Je ne serais que l'aiguille arrêtée à jamais en pleine broderie. Peu m'importerait alors de faire l'amour, de caresser le chat ou de tirer sur l'ange. Ce serait une simple halte pour fêter l'anniversaire de mon amie l'éternité.
Elle et moi pourrions boire enfin nos whisky secs sans nous préoccuper de la fin du monde.

*

Un départ n'emporte jamais tout. Restent un bagage perdu, la poussière oubliée sur un seuil, le meuble encombrant d'un mensonge. Et toujours, dans les barbelés de l'exil, des lambeaux d'enfance.

Yves Heurté

Et toujours, Yves, le sillon profond des mots dans les coeurs... Lilas

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Yves Heurté est né à Marigny, médecin de campagne et auteur engagé :
« Quand je n’ai rien à dire, je ne prends pas la plume » Il défend l’esprit de tolérance, de justice et de liberté. On reprend ses mots pour lui faire nos adieux :

Rue des adieux

Elle est partie avec son corps.
Elle aurait pu laisser en gage
Le bout tiède d'un sein, une mèche
Folle, ou même un seul regard
Pour réveiller, un seul matin, le mien.

Et moi, Rue des adieux
je poursuis une feuille morte.

Elle aura tout gardé pour l'autre.
Ses rendez-vous manqués
Ses mains à caresse, ses cuisses
Ouvertes, ses yeux fermés
Qu'une lampe oubliée veillait jusqu'au matin.

Et moi, Rue des adieux,
je poursuis une feuille morte.

Quand elle va tourner au numéro cinquante
Je me mettrai sans honte à courir jusqu'au parc
Pour la voir un peu plus s'éloigner sous les arbres,
écouter ce silence où s'enfonce son pas.

Alors, Rue des adieux,
Je serai cette feuille morte.

http://perso.wanadoo.fr/arnet/pages/pages_E/Poesie/Heurte.htm

Le poète est parti sur une autre galaxie
Mais son âme brille dans la voie lactée du cyber-espace.

Gert

 

Deux poèmes qui me touchent surtout parce qu'il disait qu'il avait été très marqué par la cruauté de la guerre . Le premier parce que je suis une petite fille de la guerre , le second parce que c'est une histoire vraie , la sienne

Hélène

CONTE EN RUINES

Viens, petite fille. Assieds-toi sur la pierre.
Il faut que je te dise :
Il était une fois ta ville.
C'étaient beaucoup de maisons assises
Autour de leur église
Comme de vieilles amies.

Passa l'oiseau de fer
L'oiseau de feu né d'autres nuits,
D'autres villes à églises
Où les enfants riaient sans même avoir appris.

A ton âge on les endormait
Avec les contes de chez eux.
Pour toi ce n'était pas les mêmes.
Ton malheur vient de là

Depuis, chez nous, petite fille,
La ville est un amas d'histoires mortes
Sous des mots écrasés.

Yves HEURTÉ

 

 

 

 

 
L'EXECUTION

Il est là; devant toi,
Seul, debout dans un champ
Ee tu dois lui tirer
Une balle dans le ventre ?

Il sourit il regarde
Du côté de la ville
Il ne s'attend à rien.
Il est si doux le vent.

C'est un traître, d'accord,
Mais sait-on seulement
Ce que mourir veut dire
Quand on a dix-huit ans ?

Et tuer froidement
Quand on est des enfants
Aussi cons, aussi fous
Dans la guerre salope
Et qu'il fait grand beau temps ?

Yves HEURTÉ

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Le plus vaste désert est fait de milliers de sentiers perdus. L'un allait au Golgotha, l'autre vers la soie, le sel, les conquêtes insensées d'un boiteux, une razzia de femmes ou la marche des saints. Tous chemins d'un désir impossible. Tous balayés d'un vent de mort mêlant aux sables leurs poussières. Restait un chant de route.
Yves Heurté (posté par Rob)

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Il était une fois au milieu du ciel
un trou minuscule où l'étoile creusait son terrier.
il y avait une fois sur la terre un grillon qui s'en fichait.
Et par bonheur, il y avait moi, et je savais.

Yves Heurté (posté par Cécile)

 

Le camp est libéré.

Ses barbelés franchis
une abeille a osé
se poser sur son crâne.

Il s'arrête et se tait.

C'est un si grand vertige
de savoir qu'une abeille
ne vous veut pas de mal!

Yves Heurté (posté par Juliette)

 

Voyez-la monter du désert.
Elle semble appuyée sur l'amant
mais commande son pas.
Filles de Jérusalem
réveillez-la.
Qu'elle imprime aux sables et à l'homme
son sceau de flammes et de silences.

Car leur amour est fort comme la mort.

Le Sacre des amants
(d'après le Cantique des Cantiques)

Yves Heurté (posté par Christiane)

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Le sacre des amants n'est pas une traduction plus ou moins littérale et mystique du célèbre Cantique des Cantiques mais un essai d'interprétation de cette relation sublimée des amants. J'ai tenté de sauvegarder sans trahir, dans cette transposition rapprochée du langage contemporain.
Le fait de retenir surtout le caractère érotique du poème ne le prive pas, pour ceux qui voudraient en faire une autre lecture, de son caractère mystique. Plus sacré peut-être que certaines traductions qui ont trahi les gestes et dires universels des amants pour les in humaniser ?
Y H

Sacre des amants
CHANT 3

Elle
De quels ravins secrets remontent ces fumées ?
D'où nous vient ce cortège
que précède une ivresse d'encens ?
Une femme dit :
« Ce n'est que caravane de quelque parfumeur... »
Mais du désert sort la litière de Salomon
ses soixante guerriers,
soixante épées dressées
pour le protéger de sa nuit.

Dites-moi, filles de Jérusalem
qui a taillé son trône dans un cèdre,
dans l'ébène ses marqueteries ?
Est-il vrai, filles de Jérusalem
que vous avez brodé son siège
de roses nues pour qu'il en rêve
et de pavots pour l'endormir ?

Lui
Qu'elles sont belles sous le voile
les deux colombes de tes yeux,
ta chevelure qui dévale
sur mon front, comme un troupeau
de chèvres enivrées de lauriers !
Ton cou est cette tour qui garde
deux seins innocents et jumeaux.
Mais ce soir, le ruban de tes lèvres
teint d'écarlate et de carmin
je voudrais tant le rompre !

Avant que meurent les ténèbres,
femme, mon paysage,
entre tes vallées et tes monts
à perte de vue et de sens,
je ferai le nomade.

Après m'être soûlé de vin de palme
ton vin de femme m'achèvera. Je deviendrai faucon
aux cages de tes jambes.
Je veux l'anis de tes tendresses, petite sœur,
et le miel de ta ruche entre tes lèvres ouvertes,
puis ta robe où m'enfouir en ses senteurs de lait.

Mais ce matin tu m'as fermé
ton jardin, et ta source
tu l'as scellée entre tes grilles.
Ne me reste qu'un grenadier, le nard, le safran, la cannelle
et moi seul sur la terre.
Mon désir d'homme est ton jardin,
ma seule source au creux de ton val.

Elle
Faites qu'un vent violent se lève
couche les fleurs de mon jardin
et brise toutes ses barrières.
Qu'il s'affole en parfums
pour que mon bien aimé ose forcer sa porte
et voler tous mes fruits.

Lui
J'entre, je cueille, je récolte
je mets sous ma langue ton miel
Entre mes lèvres, soudain coulent
les ruisseaux clairs de ton haleine
Amis, fêtons le Sacre de l'amour.
Que chaque nuit
s'ouvrent à la lune vos jardins,
filles de Jérusalem !
Mais par la biche et par le cerf
ne touchez pas
à ce corps endormi d'amour
avant que mon désir l'éveille.

Yves Heurté (posté par Juliette)


POÈMES POUR YVES

RENDRE LA VIE

À Yves Heurté

Rendre la vie possible, c'est tendre à l'impossible. Du réel des choses à l'infini verbal, il suffit d'un crayon pour tracer l'inconnu. Il ne faut plus amputer l'amour de ses mots ni la prière de ses gestes. Quand chaque pas est unique, tous les pas n'en font qu'un. Il arrive que le jour efface ce qu'on écrit la nuit. Le contraire est aussi possible. Chaque mot est son contraire. Chaque homme est à venir. Chaque image est son propre réceptacle. J'écoute la musique dans la maison des signes. Elle dissout la pesanteur des idées. La flamme des cierges éteints continue de briller quelque part. Que Dieu existe ou pas, je prie chaque matin en même temps que les arbres. Je n'ai plus peur de parler seul.

Je cherche la musique dans les mots comme la fleur dans ses pétales. Il n'existe pas de chose complète. Chaque geste est un balbutiement. Il faut pousser les mots sur le bord de la page, l'hématome du rêve sur la peau du sommeil. J'écris dans la polysémie du temps, le coin secret des choses, les larmes qu'on retient. La lumière qu'on accumule peu à peu ne s'allume qu'à la mort mais son furtif éclair nous permet d'avancer. Quand on écrit, la main continue où la pensée s'arrête. C'est là que commence l'espoir.

Quand on met du rêve entre parenthèses, il arrive qu'on y reste. On creuse avec des mots pour trouver la sortie. Une sagesse commune fait luire les étoiles. Une même caresse frissonne sur la mer. Le temps est blanc avant qu'on le regarde. Je marche dans mes bras pour atteindre mes mains. Il suffit d'une mouche pour réveiller l'espoir. Chaque intervalle entre les mots porte un sens. Chaque nuance équilibre l'image et soutient la couleur. Parfois les fruits mûrissent à reculons pour mieux recommencer. Le derrière rejoint le devant. Les parallèles se touchent.

Dans le tonnerre du temps, chaque heure est un éclair. Il y a toujours quelques abeilles aveugles dans un essaim de regards, une vague de calme sur la mer en furie. Sur un texte sans fin, je pousse les mots du bout du pied. Je mets la table des images pour accueillir la visite. Je sers au vent quelques voyelles, des syllabes au soleil, des parenthèses de lune aux étoiles orphelines. Je trace mes poèmes dans la sciure de bois. Le lac étrange dans les yeux de mon loup éclaire mes nuits blanches. Je promène une poignée sans valise, une vague cherchant sa mer. Entre le heu et le hum, toute une galerie de sons tire la langue. Les mots croisent leur encre. Les fonds d'image ergotent. La musique des voyelles refait son plein d'écho.

Sur la cimaise du rêve, il ne reste qu'un clou à la place du tableau. Je fus longtemps dans le coma. J'y reviens quelque fois comme un chat dans un sac, la fève dans la cosse, la sève dans l'écorce. Je m'agrippe à la nuit. Je branche mes cinq sens aux rêves utérins. Le doigt des mots vient me toucher la peau. Il est comme une flamme dans une église éteinte, un cœur sous la chemise. On entend les choses tirer leur ombre, les hommes faire crier leur âme. On entend l'herbe sous la neige qui étire ses muscles. La main sur une écorce, je prends le pouls des arbres.

Au matin, dans l'atelier du peintre, tous les oiseaux sont blancs. Ils se colorent peu à peu. Le froid ne cache rien des blessures de l'eau. On entend le silence dans le bruit de la neige. Il faut regarder l'homme avec des yeux d'oiseau. Quand tout se change en eau, j'écris avec la terre. L'été prépare sa venue dans les tombes encore vides. Le bord de chaque chose ne touche jamais le bord. Le haut rejoint le bas dans une goutte de pluie. Le ciel a des racines au soubassement des choses. Sur la broderie du temps, le vol d'un oiseau est une maille à l'envers, le pas d'une fourmi une maille à l'endroit. Tous les fils s'harmonisent dans le motif commun.

Quand les secondes s'évaporent on perçoit l'infini.

JML le 22 février 2006

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Tu es parti à l'heure!

A l'épaisseur des nuits
Chauves
Sous l'épiderme sans ta voix
Dans mon cœur
En écho
Tel l'adieu caressant ses rives
Quand ta nuit se brûle les lèvres
Tziganes reprenant leur aube
Mes larmes en chœur se taisent

Des cahiers de guerre
La sainteté de revanche
Les Landes belles
Chant de cigale sur la chair
Volée de coccinelle
Tous ces vents au trot
Sans la chaleur de nos mille retours
À quoi bon encore revivre
L'effigie des pendules ?!!

Nous sommes en retard
Fidèle seuil d'un départ
Tu as raison de partir

Et tu es parti à l'heure !

Ali

 

On te disait tour à tour coccinelle, pinguino des pyrénées, mon monsieur Yves... Nous n'oublierons pas tes conseils d'écriture qui aideront ceux que tu aimais voir avancer sur les routes de l'écriture...

te poursuivre la distance
les yeux le bleu ton ciel

l'herbe t'entend à peine
quand tu parles aux arbres

les feuilles murmurent encore
toujours tes mots ton encre

demain toujours encore
poursuivre le fil de ton histoire

Cécile

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Un de mes textes pour Yves

Je sais parfois des pas dans les nuages
Et des traces autour du vent
Mes oreilles sourdes pourtant
Ne croient qu’au secret du silence.

Quelqu’un en moi est certain qu’il raconte
Qu’il chante, même qu’il prétend
Affirme, donne à qui l’écoute
Me guide, m’aime et me comprend.

Dans les forêts la pluie ou la lumière
J’entends ceux que je ne vois plus
Leur amour me devient présence.

Il n’est jamais de solitude
Il n’est pas d’amours disparues

Maintenant j’aime le sommeil
Il me fait partager la ronde
De ceux que je croyais au ciel
Et qui sont là

Au creux du monde.

Yves, tu me manques déjà plus que j'aurais pu l'imaginer
L'absence est une sacrée unité de mesure des sentiments.
Avec ses pas sur l'âme

Hélène

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Yves est athée, crin pur
jamais une prière
mais seul,
il traite Dieu avec un D majuscule
lui glisse, le dos tourné
un poème
une graine de tournesol

l'amène sur les routes du monde
qui au fond de la poche
qui perché sur l'épaule

il l'amène voir les châtaignes l'automne
quand les châtaignes sont joufflues
et cuivrées de soleil
les baleines de Patagonie
les boulevards de Paris

en ce moment même on les dits au Tibet
tous les deux
les chaussettes mouillées jusqu'à la laine

le houx crépite dans le feu
le thé complote dans la théière
le lait de yak bout
les copains rient
une timbale à la main cabossée d'étoiles filantes

Aaron

 

petit texte écrit juste sur des impressions d'Yves : goût pour la vie, l'amour, la joie, l'humour, les combats et la pérégrination, sa vivacité d'esprit et de coeur.

tu es le bien-aimé
court les montagnes les hommes graves
tes mains respirent la fleur d'amour
et l'ombre prie toute ta jeunesse
de clairsonner ses pas d'argent

tu n'as mille ans que depuis hier
jeune chenapan

ta bien-aimée,
ta gazelle d'or, ton éternelle
bruisse d'oiseaux et de parfums
les ruisseaux remontent le temps
d'une louange de corps serrés

tu rêves dans le rêve d'un ange femme
petit galopin

invite-toi au grand banquet
tu as le rire en sortilège
et du vin goûtu pour le feu
l'âtre s'éparpille de mystères
tes mots furieux fondus de paix

au paradis des résistants
tu combats de rutilants dragons
armé d'une plume d'écolier

marche fils d'homme marche encore
sur les mers houleuses de cailloux
pérégrine d'une pointe à l'autre
dessine le cercle infime de l'Autre
malade, pendard ou asservi
ces étrangers nos rédemptions

Florence

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Sur mon précédent lieu de travail, il y avait, il y a encore d’ailleurs, un étage avec une cuisine assez vaste. Une trentaine de personnes peuvent s’y tenir sans difficulté. La première fois que je suis monté prendre un café, j’ai remarqué sur le mur des cartes postales épinglées. Des souvenirs de voyages exotiques que l’on envoie aux collègues ; Cuba, Martinique et plus modestement une plage au Portugal, la façade d’un pub irlandais. Egalement un faire-part de naissance déjà vieux de quelques années, le bébé doit maintenant être presque adolescent.

Ce sont les premiers jours de l’année 2000, janvier, il neige. C’est exceptionnel ici, la côte est à une trentaine de kilomètres, à vol d’oiseau, une étrange mesure. Sur le mur, se trouve également un poème. Je l’ai lu des dizaines de fois. Il tient accroché par une boucle, ficelle ou raphia, à la fois solide et fragile, comme le texte lui-même. Il parle d’amitié, enfin de ce que l’on ne sait plus vraiment dire, comme ça simplement. Je me demande, je n’ai jamais posé la question, qui a pu, dans quel but, vouloir donner à lire un poème, ou à travers ce texte faire partager sa détresse.

Il parle d’amour et d’humour léger à échanger, un peu comme dans les petites annonces, les nouvelles du journal, le quotidien, s’il y avait demain encore un désir toujours neuf. Je ne connais pas l’auteur, le nom me dit quelque chose dans sa percutante brièveté : Yves Heurté.

Gilain

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Un écrivain meurt

Tournant ainsi la dernière page

De son grand œuvre

Un écrivain meurt

Et mille autres

Dans les brumes du chagrin

Noircissent d'autres pages

Content d'autres histoires

Ainsi est-il toujours là

Au secret de nos encres

Dictant

Du murmure silencieux

De la mémoire

A nos plumes endeuillées

La poésie

Des espoirs futurs

Yann L

 

Il secouait l'arbre du poète
Et ramassait les pommes
Qui mûrissent maintenant
dans le foin à la lisière des tombes

Il sommeille à présent
Dans la nuit pleine de trous
Comme avec les fées du désert
Comme dans un conte
À flanc de montagne
Où les enfants reviendront
Mêler les pommes aux fées

Hommage à YH
Christiane

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Message pour Yves -

Bonjour, Plume chaude !

Je ne te dis pas adieu car je sais que tu es toujours là, dans ton coin de paradis pyrénéen, parmi tes écureuils, tes rosiers, tes oiseaux...
Mais ton âme est enfin libérée, elle voyage dans la nature, elle est devenue nature... Un sous-bois de perce-neige, peut-être...

La souffrance s'est éloignée de toi. Yves, tu marches dans la lumière. Je me sens un peu plus seule au monde, mais un jour nous nous rencontrerons sur l'autre rive.

Je te souris... si lointaine et si proche...

Ton amie Lucia di Sofia


LA PLANTE VERTE

Monsieur le président, ce que vous me permettez de dire ici pour ma défense, personne ne pourra le comprendre, même pas madame mon avocate, et je ne me sens pas en droit de vous en faire des reproches. Vous avez le métier de juger les vivants et non les morts, du moins ceux que l'homme de la rue appelle encore des morts.
Je suis infirmier dans un service de réanimation où personne ne sait trop où s'arrête la vie et où la décomposition commence , où notre angoisse de soignants est telle que nous ne voulons plus connaître des malades, mais seulement des maladies, où nous avons l'impression, chaque nuit, d'être les gardiens de condamnés otages de leurs médecins.
C'est contre la mort qu'on se bat sans guère d'espoir, à coups de machines qui sifflent, sonnent et brillent, branchées sur des corps dont certains tressaillent encore, par réflexe dit-on, quand passe la sirène d'une ambulance.
Quand certains sortent du coma c'est pour renaître à des angoisses que nous ne soupçonnons pas, des angoisses d'outre-tombe. Ils ont les yeux gelés d'horreur car pour les accueillir à leur sortie d'enfer ils n'ont que des médecins qui parlent d'eux mais de très loin, des techniciens, des magiciens fous qui presque toujours ici, vont rater leur coup.
Je me souviens, si vous le permettez, d'un jeune accidenté inerte et muet, une "plante verte" comme nous les appelons entre nous. Il s'est soudain mis à chantonner après quinze jours de totale inconscience, quand le soleil a atteint son lit.
Allez-vous me juger pour ce que j'ai fait à une jeune morte, ou à une vivante? Quelle question, monsieur le président, et qui pourrait y répondre si ce n'est moi?
Depuis le jour où j'ai vu entrer dans le service ce "coma barbiturique" qu'un désespoir mortel avait poussé là, ma réponse fut toujours la même. Elle était vivante puisque je l'aimais.
Si ce genre d'amour peut vous paraître épouvantable, il l'est aussi pour moi, mais je n'y peux rien. Depuis le premier instant je n'ai pu m'en défendre. Bien sûr, l'homme de la rue va me dire: en coma profond, elle ne pouvait en rien répondre à mes sentiments.
Comme tout cela semble simple dès qu'on a repassé le sas stérile d'un service, et comme je vous comprends de refuser de plonger avec moi dans l'enfer, et de vous en tenir à vos lois.
Mais si votre justice était, comment dire, une sagesse, elle devrait prendre en compte cette photo qu'on n'a pas osé m'enlever et qui me brûle.
Coma profond, dites-vous ? Qu'est-ce que ça signifie pour ceux qui y sont plongés. Quel monde inimaginable traîne encore dans leur tête? Quel cauchemar que le moindre bruit, le moindre contact, doit relancer ou apaiser?
Quand on l'a étendue sur sa cage d'acier à deux heures du matin, j'étais encore un infirmier de nuit, de ceux qui ont réussi, à la longue, à se croire indifférents devant ces chairs qui traînent entre deux machines et qu'on appelle ici tentatives d'autolyse, trauma crânien irréversible, ou électro plat.
Oui, j'étais encore cet infirmier normal qui, à peine repassé le sas stérile, fait des plaisanteries grivoises, esquisse un pas de danse, pince une collègue et lit le "Canard enchaîné" pour rejeter au loin son horreur.
Dans quel état seriez-vous au matin, monsieur le président si vous aviez jugé dix morts dans votre nuit pendant des années, avec des machines qui feraient et déferaient vos lois à coups d'écrans et de sonneries d'alerte quand l'innocent serait condamné?
Quand j'ai déshabillé mon coma barbiturique, j'ai découvert le corps d'une blonde que chacun rêverait de trouver à l'abandon sur une plage, un visage que n'importe qui voudrait voir, à son réveil, sur l'oreiller.
Ce jeune corps n'était plus un être humain mais un Memling ou un Botticelli, une transparence. Me suis-je fait comprendre?
Etais-je tellement plus coupable, en relevant ses draps chaque nuit pour la contempler nue, que le gardien de musée qui, au lieu de terminer sa ronde, rêve assis devant une vierge à couronne de lys ?
Seule la beauté m'a fait survivre dans l'enfer froid de ce métier. Je n'y peux rien.
A caresser longuement ce corps inerte de femme, je pourrais être pris pour un salopard par la famille. Mais qui peut affirmer que mes caresses n'étaient pas son seul refuge? Qui me dira qu'elles ne faisaient pas fuir ses monstres, qui me le dira en risquant la prison s'il se trompe et si c'est moi qui ai raison?
Maintenant je suis sûr que ma main attardée sur sa gorge était son seul moment de paix. Mais voilà qu'on m'appelle voyeur, voyou convaincu d'attentat à la pudeur, aggravé par l'impossibilité de la fille à se défendre. J'aurais donc bafoué tous les devoirs de mon métier avec mes caresses?
Oui, j'ai connu aussi ce doute et cette honte. J'ai même pris du congé pour y échapper, mais je suis vite revenu dans le service quand mes collègue m'ont appris que l'état de ma comateuse s'était subitement aggravé dès ma première nuit d'absence.
L'enfant au ventre de sa mère ne sait rien dire ni faire, mais dès que la naissance l'en sépare, il le sait. Quels cris d'horreur il pousse alors!
Oui, j'ai caressé tout ce corps, faute de savoir ce qui en elle était encore sensible et quels étaient les lieux où ma main était attendue. Nuit après nuit, nous avons cessé d'être homme et femme pour devenir des personnages d'un même tableau qui perdraient tout si un coup de ciseau les séparaient.
En mon âme et conscience, je n'ai jamais été cet infirmier indigne qui, à chaque garde, abuse du corps d'une jeune fille pour satisfaire ses fantasmes.
Tous mes collègues vous ont dit que je me comporte avec les femmes en homme normal, certains même ont parlé d'élégance. Rien dans mon passé ne traîne, qui pourrait être douteux.
Ainsi, ma compagne inanimée, devant la mort, a cessé d'être femme pour devenir La Femme, et j'ai fini par croire qu'elle était mienne.
Chaque nuit, je la lavai avec amour, la maquillai et changeai souvent sa coiffure. Je me souviens encore, après l'avoir parfumée, de l'avoir embrassée pudiquement sur les lèvres puis sur tout le corps.
J'étais homme, bien sûr, et je ne le cache pas, mais malheureusement bien plus, sinon je me serais moi aussi suicidé.
J'ai fini par être sûr que sans voix, sans regard et sans geste, elle s'abandonnait intérieurement à moi comme un enfant qui aime.
Vous savez, car je l'ai dit, qu'elle et moi sommes allés jusqu'au bout? L'irrémédiable, je l'ai fait.
J'entends encore les cris de la foule à ma sortie du tribunal après le premier jugement. Ces malheureux sauront-ils jamais combien notre amour peut dépasser paisiblement leur haine? Combien de ceux qui me huaient venaient-ils de violer très légalement leur femme, leur maîtresse?
La dernière nuit, oui j'ai pris cette jeune inconnue, monsieur le président, et rien ni personne ne m'obligeait à m'en accuser. Comme rien ni personne ne vous oblige à croire qu'elle a ouvert les yeux, que j'y ai vu une telle gratitude, une telle supplication, qu'après avoir mis hors circuit nos alertes, je l'ai débarrassée de ses tubes pour laisser dignement venir sa mort après l'amour.
Jugez moi selon votre conscience, mais sachez que dans la mienne ne sera jamais ni le crime ni le viol.
Je ne me situe pas au dessus des lois, monsieur le président, mais au delà. Entre ces machines, nous étions dans un monde qui vous est inconnu. Un ailleurs que je ne souhaite pas à votre propre fille. Elle ne trouverait pas sans doute un homme assez déraisonnable pour partager avec elle cet étrange amour, cette honte, et sans doute la prison.
Je crois avoir tout dit. Le reste sera pour l'autre monde où j'espère qu'elle m'attend pour m'aimer, en ce jour du Jugement où vous ne serez pas.

Yves Heurté                        


En écho, l'hommage fait par notre amie Nicole Pottier
http://www.francopolis.net/vues/agoniayvesheurte.htm

Et l'hommage fait par l'équipe de Silamots (site créé par Laurence de Sainte Mareville)
http://www.silamots.net/rubriques/rubrique.php?num=10&cat=34&art=81

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LIENS VERS LES ENCRES D'YVES

Posté par Florence

Une petite et rapide webographie d'articles ou de lieux qui lui sont consacrés :

Son site :
http://yves.heurte.free.fr/

La revue poésie/première consacre un long dossier d'hommage à Yves dans son numéro 35

Un article de Cécile Guivarch et Juliette Schweisguth accompagné d'un poème de Jean-Marc La Frenière sur Francopolis :
http://www.francopolis.net/francosemailles/yvesheurte.htm
Yves Heurté, l'homme de toutes les générations

Et une mini-thèse sur son oeuvre à cette adresse
http://jeunet.univ-lille3.fr/auteurs/heurte01/sommaire.htm
Yves Heurté : des livres pour résister
par Jean-Christophe Angelo (Maîtrise SID, 2001)

un article de Pierre Bachy sur son site à ces adresses :
http://bachy_pierre.blog.lemonde.fr/bachy_pierre/2004/12/heurt_yves.html
et
http://users.skynet.be/pierre.bachy/heurte-gensmontagne.html
Heurté Yves
Vous, gens de montagne

Un article de Thierry Guichard : Yves Heurté Se libérer soi-même, à cette adresse :
http://www.livre-poitoucharentes.org/Pages/archives_ASR/aut1999/heurte.html

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Posté par Rob

Et aussi un superbe disque de Martine Caplanne sur des textes d'Yves: Bois de mer, cliquez sur discographie...
http://www.martine-caplanne.com/

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Posté par Laurence

et quelques articles, livres, ou textes d'Yves (qui seront complétés par la suite au fur et à mesure) sur le site : http://www.silamots.net/ où Yves participait avec entrain et bonne humeur depuis sa création.

Tous les membres de Feuillets Mobiles, des amis d'Yves, se joignent à moi pour exprimer et renouveler à ses proches et sa famille toute notre sympathie, et nos pensées émues en ce jour.

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Posté par Cécile

Un article auquel Yves tenait beaucoup...
http://www.francopolis.net/francosemailles/sabinesicaud.htm

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Posté par Teri

Quelques textes d'Yves sur Pleutil
et bien sûr au Salon de lecture de Francopolis

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Posté par Juliette

Des Textes d'Yves dans l'Arbre de Noël des membres de Francopolis
http://www.francopolis.net/contesdeNoel/livrepage1.html

Et dans le Livre Anniversaire de francopolis
http://www.francopolis.net/livrefranco/LIVREANNIVERSAIRE.html


Lettre de remerciement de Claire Heurté

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*aimes-tu tes ailes, Yves? … aime, aime encore*
le coeur à l'envers sur la banquise Cat


© Yves Heurté

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Et si c'était ainsi, l'éternité,
un chant fait de silence ?
Si c'était d'un amour
l'infinie patience ?
Une envie douloureuse d'être
la nuit, la neige, et la cantate ?

Yves Heurté (posté par Christiane)



recherche Juliette Schweisguth , mars 2006        


Pour lire les rubriques des anciens numéros :

http://www.francopolis.net/rubriques/rubriquesarchive.html

lire toutes les rubriques de cette édition :

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