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Coup de cœur : Archives

(2010-2016)

 

Une escale à la rubrique "Coup de cœur" :
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur.


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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

**

Poème Coup de Cœur du Comité

 

JANVIER 2017

Jean Diharsce, choix Éliette Vialle

Seyhmus Dagtekin, choix Dominique Zinenberg

Coral Bracho, choix François Minod

Alena Meas, choix Dana Shishmanian

Gaston Miron, choix Gertrude Millaire

 

JEAN DIHARSCE

Jean DIHARSCE, choix Éliette Vialle

le caquet incessant des étourneaux

braillards

en spirales incessantes jusqu'à la nuit

tombée

le ciel fut-il superbe

fait fermer les murmures

on s'assoit sur ses rêves

on pense à Richepin et l'on voudrait

plus haut

de grands oiseaux sauvages fracassant

les communs

d'un coup d'ailes paillard

je volerai demain

je m'en irai à mer

un peu juste avant l'aube

les étourneaux

dans l'arbre

ne seront pas levés

 

***

Il en est des gris comme de toutes choses

Certains se font lumières et d'autres

Enfermement

Dans le triste des jours têtes et maisons closes

Ou foulard de la mer quand le soleil se ment

Tout

Ici

Alourdit

Rien

Là-bas

Éblouit

Vous ne me savez pas madame qui passez

Vous me pensez falot je ne suis que caché

Vous me croyez manchot quand je sais caresser

Et si je vous lutine vous allez vous fâcher

Rien

Ici

Découvert

Tout

Là-bas

Entrouvert

Et tout le gris du ciel fait le vert de la mer

 

***

 

un enfant est sorti d’une ruine-caillou

dans sa main

une graine

et il me l’a tendue

il a fallu gratter ce coin de terre noir

creuser un peu plus loin et de l’eau a surgi

un soleil maternel a éteint l’incendie

quelques rires demain jailliront des mémoires

l’espérance des hommes fait force de tout feu

lorsque le sel des larmes ne fait plus qu’abraser

une ronde et des mains courront autour de

l’arbre

 

©jeandiharsce

 

 

   SEYHMUS DAGTEKIN

Seyhmus DAGTEKIN, choix Dominique Zinenberg

Lettre après lettre, nous serons extirpés de nos refuges

Nous serons un peu plus tombe à chaque pelletée de mots

Un peu plus gouffre à chacune de tes apparitions

Un peu plus caverne face à tes plaintes

Mais sauras-tu encore naviguer entre surface et profondeur pour ne

pas tomber loin des caves et cryptes qui sauront faire éclore les sons

pour qu’ils deviennent porteurs de rêves dans le sommeil des bêtes

/

Combien suis-je corps dans la pensée qui me décompose ?

 

 

Elle aimera infiniment les mots qui pèlent sur sa peau

tel un cauchemar lui montrant l’intérieur de sa chair

qui n’est ni doigt ni paume

comme ce vide qui nommera le temps

et alourdira un peu plus la besace de la langue

 

 

 

À regarder les autres, on ne se voit pas

À baiser l’autre, on ne se vit pas

Doux comme un chat qui se frotte à toutes les rougeurs

/

Quand on parle, c’est déjà la pluie

Et l’expérience de l’être qui s’égoutte

J’évoque constamment la mer

Ne serait-ce que pour garder son goût à la bouche

Ce goût, cette odeur des langues, des repas

Sans rien comprendre à ce qu’on raconte

Comme le sens même de notre réduction

À la parole

 

 

 

Une manière de m’installer entre peau et parole

Pour aimer le monde dans le mot

Et construire ta mémoire

À rebours

Pour fixer un œil

À la nuit

 

 

Seyhmus Dagtekin, À l’ouest des ombres, Le Castor Astral, 2016 (extrait est tiré de la partie du recueil intitulée « Mot surgi de ton absence »).

Seyhmus DAGTEKIN est né en 1964 à Harun, village kurde dans les montagnes du sud-est de la Turquie. Après des études en audiovisuel à Ankara, il arrive à Paris en 1987 où il vit depuis. Né au français à 22 ans, il est l’auteur d’un roman (À la source, la nuit, Robert Laffont) et de recueils de poésie publiés par Le Castor Astral dont Les Chemins du nocturne, Prix international de poésie francophone Yvan-Goll, Juste un pont sans feu, prix Théophile-Gautier et prix Stéphane- Mallarmé, et Élégies pour ma mère, prix Benjamin-Fondane.

 

 

 

 

 CORAL BRACHO

Coral BRACHO, choix François Minod

Ce vide nous pousse

 

Pour entrer dans l’hôtel les locataires montent

Par l’escalier extérieur

qui débouche sur notre chambre

et ils la traversent.

Pendant la journée

et jusque tard dans la nuit nous les voyons défiler

le geste absent entre deux portes :

celle qui donne sur la rue et celle qui ouvre sur le couloir.

Ils ne se retournent jamais pour nous regarder. J’ignore

si leur indifférence est affectée, mais je sais

que ce vide nous pousse à perdre consistance.

S’il n’était des enfants qui parfois

Se retournent et soutiennent notre regard, je douterais

que nous sommes ici.

 

*

 

Que tombe cette pluie fine

 

Dans cette obscure vérité

qui déploie ses manteaux et ses ivres marées pour nous protéger,

qui déploie ses ailes tristes pour nous chasser,

pour dire que oui,

que tombe cette fine pluie devant le seuil ;

qu’elle tombe comme battement d’ailes, comme très brève

irruption.

Comme un messager qui, trempé et brûlant de fièvre,

vient de loin.

Il apporte les plis, il apporte les mots.

Mais le dessin de la pluie s’étend

et ne laisse pas écouter. Il ne laisse pas voir

ce qui advient. Et c’est que

ce qui s’approche

ce qui nous parle

et nous saisit par les épaules avec force ;

ce qui nous gronde et nous ébranle c’est la pluie,

ce sont les confins qui s’estompent.

Nous grelotons, brûlants, face à cette porte,

face à ce pont levis que personne n’abaisse.

Personne ne s’apprête à écouter.

Cette obscure vérité, cette légèreté oscillante

Comme le murmure d’infinies chauves-souris,

toutes jaillissant d’un seul coup

dans les vives galeries du sang, toutes cherchant à

sortir des tours.

Pour dire que oui,

que tombe cette fine pluie contre le seuil,

qu’elle tombe sur les murs ;

qu’elle les efface peu à peu.

 

   

Coral Bracho, in Chambre d’hôtel, Ultramarines, Al Manar, 2015. Traduit de l’espagnol par Modesta Suarez, Álvaro Ruiz Rodilla, Nathalie Galland.

Coral Bracho (Mexico, 1951) est poète et traductrice. Elle a publié plusieurs recueils  parmi lesquels Huellas de luz, Si rie el emperador. Elle est lauréate de plusieurs prix nationaux et internationaux. Elle appartient à cette génération d’écrivains, de poètes nés dans les années 50 au Mexique, c’est-à-dire au moment d’une rénovation de la poésie mexicaine contemporaine, dans l’héritage des Modernes et des Avant-gardes, dans une sensibilité extrême à la langue, de la poésie pure aux mots ordinaires. Elle en est une des grandes voix.

 

 

 ALENA MEAS

Alena MEAS, choix Dana Shishmanian

Si le temps était lumière

C’est rarement que nous nous rendons compte que nous vivons dans le temps. La plupart de temps nous pensons vivre dans une sorte d’immortalité, et le temps reste extérieur. Il est ce qui nous oppresse, ce qui rythme notre existence, ce qui remplit notre cœur de l’espoir, agite notre esprit par l’angoisse ou la joie de l’attente. La plupart de temps, le temps est une mesure pour nous, un cadre, un moyen d’organisation, il reste utilitaire. Plus nous nous limitons à le penser ainsi, plus nous-mêmes devenons utilitaires, manipulables, contrôlables, dépossédés de notre vrai épaisseur.

Et si le temps était lumière, s’il nous entourait comme elle, s’il était l’environnement auquel nous nous confions et dans lequel nous évoluons, un fluide dans lequel nous baignons sans crainte, un océan. Et si nous faisions confiance à sa capacité de porter, et nous nous abandonnions entièrement à son courant, nous nous laissions emporter par son mouvement continu, sans heurt, nous quittions ce qui nous soumet et ce qui nous maîtrise pour le grand large.

Et quand nous serons loin en lui, flottant dans sa nature purifiée, plongé en lui sans avoir pied, sans retenir la respiration, mais respirant tranquillement sa solidité, peut-être alors qu’au fond du poumon nous découvrirons l’immensité de notre liberté.

Reproduit d’après son site LIEU IMPROBABLE : https://lieuimprobable.wordpress.com/2016/10/06/si-le-temps-etait-lumiere-alena-meas/

 

 

 

 GASTON MIRON

Gaston MIRON (1928-1996),

choix Gertrude Millaire

 

JE T’ÉCRIS

 

Je t’écris pour te dire que je t’aime

que mon cœur qui voyage tous les jours

— le cœur parti dans la dernière neige

le cœur parti dans les yeux qui passent

le cœur parti dans les ciels d’hypnose —

revient le soir comme une bête atteinte

 

Qu’es-tu devenue toi comme hier

moi j’ai noir éclaté dans la tête

j’ai froid dans la main

j’ai l’ennui comme un disque rengaine

j’ai peur d’aller seul de disparaître demain

sans ta vague à mon corps

sans ta voix de mousse humide

c’est ma vie que j’ai mal et ton absence

 

Le temps saigne

quand donc aurai-je de tes nouvelles

je t’écris pour te dire que je t’aime

que tout finira dans tes bras amarré

que je t’attends dans la saison de nous deux

qu’un jour mon cœur s’est perdu dans sa peine

que sans toi il ne reviendra plus

 

***

Poème tiré de son recueil, L’homme rapaillé sur le site Les voix de la poésie

Auteur québécois, décédé 14 décembre 1996, une soirée était organisée pour souligner ce 20ème anniversaire de sa mort au Patriote de Ste-Agathe, sa ville natale.

Lecture de ses poèmes par Hélène Dorion, Raöul Duguay, Jean-Paul Daoust, Jean-Guy Paquin, Benoit Davidson, Patrick Dubé et Noémi Thébalt.

(Information du Nord St-Agathe)

Voir site Radio-Canada
Vie-Poète, Francopolis
Poèmes-photos-gmillaire
Ses poèmes mis en musique-Symphonie 12 hommes rapaillés (écouter des extraits)

 

Coup de cœur 

Éliette Vialle, Dominique Zinenberg,
François Minod, Dana Shishmanian,

Gertrude Millaire, Mireille Diaz-Florian,

Michel Ostertag

Francopolis janvier 2017