GERHARDT GOTT
(français-anglais & néerlandais)
|
choix Gertrude Millaire
I
Surtout ne pas me réveiller
savoir où la route me mène
connaitre la fin
y-a-t-il quelque chose?
aller plus loin?
n’ai encore rien vu
**
Wil niet wakket worden
wil welen waar de weg naar toe gaat
wil hel einde Kenne
is daar iets
verder
Don’t want to know the end
want to know the road go yees
want to know the end
is there something?
go further
Haven’t seen everything
II
Le vide en moi
grandit et s’agrandit
me ronge petit à petit
ne peux l’arrêter.
de leegte in mezelf
wordt groter en groter
eet me beetjes op
Kan het niet tegenh
**
the emptiness inside myself
gets bigger and bigger
eats me bit by bit
can’t stop it
III
Qui est-il
l’homme dans le miroir ?
il me ressemble
ressemble à Gerhardt Gott
Gott avec deux T
parce qu’on l’omet toujours
Le trou grandit
**
wie is hij ? de man in de soiegel ?
hij lijkt op mij
op Gerhard Gott
met dubbele T
He gat groeit
**
Who is he
the man in the mirror ?
he looks like me
like Gerhardt Gott
with a double T
because that’s always forgotten
****
le rêve arrive
m’amène en un lieu
ou nul lieu n’existe
****
de droom komt
neemt me mee naar ergens
waar nergens niet bestaat
the dreams comes
takes me somewhere
where nothing exists
****
Tiré du recueil Canet du vide, Gerhardt Gott, Ed. Neige Galerie
|
|
choix Mireille Dias-Florian
Vie et poésie
La
lune projetait son profil azuré
Sur
les vieilles arabesques des fleurs calmes
La
petite véranda était comme un nid futur
Et les
branchages s’égouttaient de gouttes
qu’il n’y avait pas.
Dans
la rue ignorée les anges jouaient en rond…
-Personne
ne le savait, mais nus étions là.
Seuls
les parfums tissaient la dentelle de la tristesse
parce
que les corolles étaient gaies comme des fruits
Et une
peinture innocente bourgeonnait du dessin
des couleurs
Je me
mis à rêver le poème de l’heure.
Et,
peut-être à regarder mon visage exaspéré
Par
l’angoisse de te voir si vaguement amie
Peut-être
à pressentir dans la chair mystérieuse
La
germination étrange de mon indicible appel
J’ai
entendu brusquement la clarté de ton rire
Comme
un gazouillis de pierre sous l’eau
baignée de lune.
Et il
était tellement beau, tellement plus
beau que la nuit
Tellement
plus doux que le miel doré de tes yeux
Qu’à
le voir chanter sur tes dents comme une cymbale
Et
ruisseler sur tes lèvres comme un suc
Et
déferler entre tes seins comme une onde
J’ai
pleuré doucement dans la coquille de mes mains vides
De ce
que tu m’aies possédé avant l’amour.
***
Extrait
du recueil de Vinicius
de Moraes
(1913-1980)
RECETTE DE FEMME
CINQ ÉLÉGIES et autres poèmes Chandeigne.
Ce recueil est un choix de poèmes édités dans
différents
recueils de 1938 à 1959.
Les Cinq élégies datent de 1943
« Ami de Louis Amstrong, de Pablo Neruda et Orson
Welles, le poète-diplomate se promenait volontiers en tunique blanche, le cou
orné de colliers rapportés de Salvador de Bahia, explorant la négritudee
afro-brésilienne avec le guitariste Baden Powell et ses amis sambistas. » Il fut l’auteur d’Orfeu da Conceiçao, libre
adaptation de la tragédie grecque, créée en 1954 avec Jobim pour la musique
et l’architecte Oscar Niemeyer, bâtisseur de Brasilia, pour la mise en
scène. Marcel Camus en tira le film Orfeu
Negro (palme d’or à Cannes en 1959). Il est avec Antonio Carlos Jobim
et João Gilberto l’un des pères fondateurs de la bossa nova. Il reste une figure
incontournable de la culture brésilienne »
|
choix Dana Shishmanian
Je ne distingue plus
Je ne distingue plus le jour de la nuit
je ne vois plus la limite du ciel,
j’existe dans ce fou vent que nul ne retient.
Que de folies n’avons-nous pas faites
pour trouver le poème ?
Que de folies n’avons-nous pas connues
pour écouter le murmure de l’ombre ?
Chemin d’errance,
Quelle main habile relèvera le vol de l’oiseau ?
Quelle empreinte ouvrira en nous
les couleurs du ciel ?
L’éternel regard du soleil levant.
©Jamila Abitar, in Chemin d'errance – FB, 23 mai 2017
***
J’attends
l’appel
Et j'attends l'appel
qui réveillera tous mes sens,
ma raison de vivre.
Il suffit parfois d'un mot
pour réveiller un mort.
Et je suis morte,
maintes fois enterrée.
Je suis passé à travers le vin
pour me donner au Divin
comme un souffle au cœur.
J'ai sommeillé sur un tas de boue,
de craintes, de fugitifs
J'ai armé mon corps
De l'impuissance de ce monde.
©Jamila Abitar,
FB, 24 mai 2017
***
Le poème
Le poème n’est pas l’objet que l’on travaille,
nous sommes l’objet de son travail.
Il s’impose comme une vérité nue
et renverse parfois l’ordre établi.
Il est celui pour qui les tranchées
sont les plus comptées.
Après une relecture, il prend la forme la plus exquise
pour se livrer de bouche à oreilles.
Il s’écoute et se répète comme une ombre
qui se dissipe dans l’instant perdu.
Attendons de voir ce qu’il adviendra de nous.
C’est parler du silence comme d’un doux mensonge.
N’oublions pas les morsures du destin.
Elles étaient bien là, les ombres mortes
et maintenant nous les touchons.
©Jamila Abitar,
FB, 9 mai 2017
Rappel de sa présence à Francopolis au salon de mai
2014:
http://www.francopolis.net/salon/AbitarJamila-mai2014.html
|
choix François Minod
Curieuse façon du silence que d'imposer ce chant
d'un coq lointain, de renverser les saisons, de faire venir au goût cet été
sommeillant, éternel. Cette solaire enfance.
Visitation du silence. Ici, entouré de présences plus fortes qu'un hiver.
Ici où, presque, la parole s'est retirée, m'est donné ce glissement non pas
fataliste mais comme une résignation plus haute. Que, par exemple, ce
dialogue muet est plus important ; que la vérification du lieu se passe de
paroles, passe uniquement par le corps comme une source qui l'irriguerait.
Trois points lumineux où se cache le soleil sous une masse grise, c'est un
signe et il se change en ces fumées lointaines au pied du mont, en
rouge-gorge sur une branche de micocoulier, en cette main qui trébuche sur
le papier. Mobilité du signe mais aussi profonde mutation d'être. Les
barrières sont si légères! Tu as vu cela avec quels yeux? Les yeux de celui
qui brûlait.
Et il l'ignorait. Comme j'ignore cette bourrasque de neige sur la montagne
et comme elle m'aspire maintenant, me rend à la présence en l'éblouissant.
Ce moi pulvérisé est mon moi.
Cela se dévide hors de moi, hors de mon ventre. Cela s'envole. Car le
parcours est infini. Épuisant parce que tu peux tenir, retenir. Est
épuisante l'infinité parce que mort est en toi. Une certaine image de la
mort. Son autre versant est neige aussi, est la même infinité. Le peu que
s'ouvrent les barrières: tu ne reviens pas entier. C'est le pas gagné.
Tu absorbes le froid. Il a démantelé les raisons de ta
"personne". J'entends bien: personne, ici personne, c'est une multitude
de liens, personne au sein d'une multitude de présences. Et il n'y a rien à
rassembler. Tout est rassemblé. D'énormes distances sont franchies qui me
font m'abandonner. Abandonner cet écran. Moi écran. Maints-oiseaux dans le
froid et le passage et l'éclat. Et la percée du soleil, et l'envol des
plumes neigeuses, le rebondissement d'arbres en arbres, écoutant l'autre
voix, son éternel regain, sa façon d'essaimer le
rien.
De m'en éblouir. De me tuer ainsi.
Déchire ce bouclier dérisoire!
Alors, de neige en soleil, tu cueilleras l'unique fleur et les voyages
s'ouvriront à son parfum de lumière. Le silence revient, il ouvre le ciel.
Il porte ce bleu profond que tu es, de toute éternité, toi repriseur de
bleu. Toi, cousu de bleu.
Cousu de bleu. - L'espace de la perte,
in Le Bonjour et l'Adieu.
|
choix
Dominique Zinenberg
Les trois premiers poèmes
de « La maison natale
I
Je m’éveillai, c’était
la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague, L’odeur de
l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait qu’elle entrât pourtant, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute était déjà l’eau dans la salle.
Je tournais la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ces rires des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais les autres, dans leur joie.
II
Je m’éveillai, c’était
la maison natale.
Il pleuvait doucement dans toutes les salles,
J’allais d’une à une autre, regardant
L’eau qui étincelait sur les miroirs
Amoncelés partout, certains brisés ou même
Poussés entre des meubles et les murs.
C’était de ces reflets que, parfois, un visage
Se dégageait, riant, d’une douceur
De plus et autrement que ce qu’est le monde.
Et je touchais, hésitant, dans l’image,
Les mèches désordonnées de la déesse,
Je découvrais sous le voile de l’eau
Son front triste et distrait de petite fille.
Étonnement entre être et ne pas être,
Main qui hésite à toucher la buée,
Puis j’écoutais le rire s’éloigner
Dans les couloirs de la maison déserte.
Ici rien qu’à jamais le bien du rêve,
La main tendue qui ne traverse pas
L’eau rapide, où s’efface le souvenir
III
Je m’éveillai, c’était
la maison natale,
Il faisait nuit, des arbres se pressaient
De toutes parts autour de notre porte,
J’étais seul sur le seuil dans le vent froid,
Mais non, nullement seul, car deux grands êtres
Se parlaient au-dessus de moi, à travers moi.
L’un, derrière, une vieille femme, courbe, mauvaise, L’autre debout dehors
comme une lampe,
Belle, tenant la coupe qu’on lui offrait,
Buvant avidement de toute sa soif.
Ai-je voulu me moquer, certes non,
Plutôt ai-je poussé un cri d’amour
Mais avec la bizarrerie du désespoir,
Et le poison fut partout dans mes membres,
Cérès moquée brisa qui l’avait aimée.
Ainsi parle aujourd’hui la vie murée dans la vie.
Yves
Bonnefoy, Les Planches
courbes,
Poésie/Gallimard 2001.
|
Coup de cœur
Gertrude Millaire
Mireille Diaz-Florian
Dana Shishmanian
François Minod
Dominique
Zinenberg
Francopolis juin 2017
|