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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

JUIN 2017

Gerhardt Gott, choix Gertrude Millaire

Vinicius de Moraes, choix Mireille Diaz-Florian,

Jamila Abitar, choix Dana Shishmanian

Albert Jourdan, choix François Minod
Yves Bonnefoy, choix Dominique Zinenberg

 

GERHARDT  GOTT
(français-anglais & néerlandais)

choix Gertrude Millaire

I

Surtout ne pas me réveiller
savoir où la route me mène
connaitre la fin
y-a-t-il quelque chose?
aller plus loin?

n’ai encore rien vu

**

Wil niet wakket worden
wil welen waar de weg naar toe gaat
wil hel einde Kenne
is daar iets
verder

Don’t want to know the end
want to know the road go yees
want to know the end
is there something?
go further

Haven’t seen everything


II

Le vide en moi
grandit et s’agrandit
me ronge petit à petit
ne peux l’arrêter.


de leegte in mezelf
wordt groter en groter
eet me beetjes op
Kan het niet tegenh

**
the emptiness inside myself
gets bigger and bigger
eats me bit by bit
can’t stop it

 

III

Qui est-il
l’homme dans le miroir ?
il me ressemble
ressemble à Gerhardt Gott
Gott avec deux T
parce qu’on l’omet toujours

Le trou grandit

**
wie is hij ? de man in de soiegel ?
hij lijkt op mij
op Gerhard Gott
met dubbele T

He gat groeit

            
     
**
Who is he
the man in the mirror ?
he looks like me
like Gerhardt Gott
with a double T
because that’s always forgotten

 

****
le rêve arrive
m’amène en un lieu
ou nul lieu n’existe

****

de droom komt
neemt me mee naar ergens
waar nergens niet bestaat

the dreams comes
takes me somewhere
where nothing exists

****

Tiré du recueil Canet du vide, Gerhardt Gott, Ed. Neige Galerie

 

 

 

VINICIUS DE MORAES

choix  Mireille Dias-Florian

Vie et poésie

La lune projetait son profil azuré

Sur les vieilles arabesques des fleurs calmes

La petite véranda était comme un nid futur

Et les branchages s’égouttaient de gouttes
qu’il n’y avait pas.

Dans la rue ignorée les anges jouaient en rond…

-Personne ne le savait, mais nus étions là.

Seuls les parfums tissaient la dentelle de la tristesse

parce que les corolles étaient gaies comme des fruits

Et une peinture innocente bourgeonnait du dessin

               des couleurs

Je me mis à rêver le poème de l’heure.

Et, peut-être à regarder mon visage exaspéré

Par l’angoisse de te voir si vaguement amie

Peut-être à pressentir dans la chair mystérieuse

La germination étrange de mon indicible appel

J’ai entendu brusquement la clarté de ton rire

Comme un gazouillis de pierre sous l’eau
baignée de lune.

Et il était tellement beau, tellement plus
beau que la nuit

Tellement plus doux que le miel doré de tes yeux

Qu’à le voir chanter sur tes dents comme une cymbale

Et ruisseler sur tes lèvres comme un suc

Et déferler entre tes seins comme une onde

J’ai pleuré doucement dans la coquille de mes mains vides

De ce que tu m’aies possédé avant l’amour.

 

***

 

Extrait du recueil de Vinicius de Moraes

 (1913-1980)

RECETTE DE FEMME

CINQ ÉLÉGIES et autres poèmes Chandeigne.

Ce recueil est un choix de poèmes édités dans différents

recueils de 1938 à 1959. 
Les Cinq élégies datent de 1943

« Ami de Louis Amstrong, de Pablo Neruda et Orson Welles, le poète-diplomate se promenait volontiers en tunique blanche, le cou orné de colliers rapportés de Salvador de Bahia, explorant la négritudee afro-brésilienne avec le guitariste Baden Powell et ses amis sambistas. » Il fut l’auteur d’Orfeu da Conceiçao, libre adaptation de la tragédie grecque, créée en 1954 avec Jobim pour la musique et l’architecte Oscar Niemeyer, bâtisseur de Brasilia, pour la mise en scène. Marcel Camus en tira le film Orfeu Negro (palme d’or à Cannes en 1959). Il est avec Antonio Carlos Jobim et João Gilberto l’un des pères fondateurs de la bossa nova. Il reste une figure incontournable de la culture brésilienne »

 

JAMILA ABITAR

choix Dana Shishmanian

 Je ne distingue plus

Je ne distingue plus le jour de la nuit
je ne vois plus la limite du ciel,
j’existe dans ce fou vent que nul ne retient.

Que de folies n’avons-nous pas faites
pour trouver le poème ?
Que de folies n’avons-nous pas connues
pour écouter le murmure de l’ombre ?

Chemin d’errance,
Quelle main habile relèvera le vol de l’oiseau ?
Quelle empreinte ouvrira en nous
les couleurs du ciel ?
L’éternel regard du soleil levant.

©Jamila Abitar, in Chemin d'errance – FB, 23 mai 2017

***

 

J’attends l’appel

Et j'attends l'appel
qui réveillera tous mes sens,
ma raison de vivre.
Il suffit parfois d'un mot
pour réveiller un mort.

Et je suis morte,
maintes fois enterrée.
Je suis passé à travers le vin
pour me donner au Divin
comme un souffle au cœur.

J'ai sommeillé sur un tas de boue,
de craintes, de fugitifs
J'ai armé mon corps
De l'impuissance de ce monde.

©Jamila Abitar, FB, 24 mai 2017

 

***

Le poème

Le poème n’est pas l’objet que l’on travaille,
nous sommes l’objet de son travail.

Il s’impose comme une vérité nue
et renverse parfois l’ordre établi.

Il est celui pour qui les tranchées
sont les plus comptées.

Après une relecture, il prend la forme la plus exquise
pour se livrer de bouche à oreilles.

Il s’écoute et se répète comme une ombre
qui se dissipe dans l’instant perdu.

Attendons de voir ce qu’il adviendra de nous.
C’est parler du silence comme d’un doux mensonge.

N’oublions pas les morsures du destin.
Elles étaient bien là, les ombres mortes
et maintenant nous les touchons.
   

 

©Jamila Abitar, FB, 9 mai 2017

 

Rappel de sa présence à Francopolis au salon de mai 2014:

http://www.francopolis.net/salon/AbitarJamila-mai2014.html        

 

 


ALBERT JOURDAN

choix François Minod

Curieuse façon du silence que d'imposer ce chant d'un coq lointain, de renverser les saisons, de faire venir au goût cet été sommeillant, éternel. Cette solaire enfance.

Visitation du silence. Ici, entouré de présences plus fortes qu'un hiver. Ici où, presque, la parole s'est retirée, m'est donné ce glissement non pas fataliste mais comme une résignation plus haute. Que, par exemple, ce dialogue muet est plus important ; que la vérification du lieu se passe de paroles, passe uniquement par le corps comme une source qui l'irriguerait.

Trois points lumineux où se cache le soleil sous une masse grise, c'est un signe et il se change en ces fumées lointaines au pied du mont, en rouge-gorge sur une branche de micocoulier, en cette main qui trébuche sur le papier. Mobilité du signe mais aussi profonde mutation d'être. Les barrières sont si légères! Tu as vu cela avec quels yeux? Les yeux de celui qui brûlait.
Et il l'ignorait. Comme j'ignore cette bourrasque de neige sur la montagne et comme elle m'aspire maintenant, me rend à la présence en l'éblouissant.

   Ce moi pulvérisé est mon moi. Cela se dévide hors de moi, hors de mon ventre. Cela s'envole. Car le parcours est infini. Épuisant parce que tu peux tenir, retenir. Est épuisante l'infinité parce que mort est en toi. Une certaine image de la mort. Son autre versant est neige aussi, est la même infinité. Le peu que s'ouvrent les barrières: tu ne reviens pas entier. C'est le pas gagné.

Tu absorbes le froid. Il a démantelé les raisons de ta "personne". J'entends bien: personne, ici personne, c'est une multitude de liens, personne au sein d'une multitude de présences. Et il n'y a rien à rassembler. Tout est rassemblé. D'énormes distances sont franchies qui me font m'abandonner. Abandonner cet écran. Moi écran. Maints-oiseaux dans le froid et le passage et l'éclat. Et la percée du soleil, et l'envol des plumes neigeuses, le rebondissement d'arbres en arbres, écoutant l'autre voix, son éternel regain, sa façon d'essaimer le
rien.

De m'en éblouir. De me tuer ainsi.
Déchire ce bouclier dérisoire!

Alors, de neige en soleil, tu cueilleras l'unique fleur et les voyages s'ouvriront à son parfum de lumière. Le silence revient, il ouvre le ciel. Il porte ce bleu profond que tu es, de toute éternité, toi repriseur de bleu. Toi, cousu de bleu.


Cousu de bleu. - L'espace de la perte,
in Le Bonjour et l'Adieu.

 

 


YVES BONNEFOY

choix Dominique Zinenberg

Les trois premiers poèmes
de « La maison   natale

I

Je m’éveillai, c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague, L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait qu’elle entrât pourtant, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute était déjà l’eau dans la salle.
Je tournais la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ces rires des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais les autres, dans leur joie.

II

Je m’éveillai, c’était la maison natale.
Il pleuvait doucement dans toutes les salles,
J’allais d’une à une autre, regardant
L’eau qui étincelait sur les miroirs
Amoncelés partout, certains brisés ou même
Poussés entre des meubles et les murs.
C’était de ces reflets que, parfois, un visage
Se dégageait, riant, d’une douceur
De plus et autrement que ce qu’est le monde.
Et je touchais, hésitant, dans l’image,
Les mèches désordonnées de la déesse,
Je découvrais sous le voile de l’eau
Son front triste et distrait de petite fille.
Étonnement entre être et ne pas être,
Main qui hésite à toucher la buée,
Puis j’écoutais le rire s’éloigner
Dans les couloirs de la maison déserte.
Ici rien qu’à jamais le bien du rêve,
La main tendue qui ne traverse pas
L’eau rapide, où s’efface le souvenir

III

Je m’éveillai, c’était la maison natale,
Il faisait nuit, des arbres se pressaient
De toutes parts autour de notre porte,
J’étais seul sur le seuil dans le vent froid,
Mais non, nullement seul, car deux grands êtres
Se parlaient au-dessus de moi, à travers moi.
L’un, derrière, une vieille femme, courbe, mauvaise, L’autre debout dehors comme une lampe,
Belle, tenant la coupe qu’on lui offrait,
Buvant avidement de toute sa soif.
Ai-je voulu me moquer, certes non,
Plutôt ai-je poussé un cri d’amour
Mais avec la bizarrerie du désespoir,
Et le poison fut partout dans mes membres,
Cérès moquée brisa qui l’avait aimée.
Ainsi parle aujourd’hui la vie murée dans la vie.

 Yves Bonnefoy, Les Planches courbes,
Poésie/Gallimard 2001.


Coup de cœur

Gertrude Millaire
Mireille Diaz-Florian
Dana Shishmanian
François Minod 

Dominique Zinenberg

Francopolis juin 2017