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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

MAI – JUIN 2018

 

Éric Chassefière, choix Dominique Zinenberg

Marie-Jeanne Heusbourg, choix Éliette Vialle

Patrice Angibaud, choix François Minod

Jacques Prévert et Isaac de Benserade, choix Michel Ostertag

Marilyne Bertoncini, choix Dana Shishmanian

 

 

 

 

 

Éric CHASSEFIÈRE

choix Dominique Zinenberg

 

 

Extraits du recueil S’achèvent murmurés

 

Vent de mer silence

soleil seul fruit de l’arbre

le chat ferme les yeux

humant l’écoute

sous l’arbre la lumière

tisse sa toile

ni hier ni lendemain

routes striées le soir

des caps des jardins

feuillages d’eau

dans les langues du lointain

l’air apaisé

adoube le sang

froid dans le nu du temps

déjà la nuit pèse

le coq insiste

la rose sur l’arche

de la tige veille

sur la nuit de la maison

les mots commencent dans le silence

s’achèvent murmurés

prolongent le corps

 

(premier poème de la première partie du recueil)

 

 

***

 

Je suis peau

Je suis le cri

De l’animal caché

Je suis souffrance

De perdre

La part de moi

En toi

Je suis l’ombre

L’impossible

Distance à l’autre

Je marche

Je respire

Je parle

Pour ne pas cesser

De respirer

Je suis danse

Je suis héron

Posé sur le champ

Initiale du silence

Je suis langue

Je

Parle le vent

 

(Deuxième colonne de la partie appelée « Cantique »)

 

 

***

 

La terre ensoleillée

ouverte comme un fruit

le ciel tirebouchonné

de petits cumulonimbus

aux formes de toupies

le vent qui souffle

au dessus des jardins

au dessus des oiseaux

au dessus du ciel

en tous lieux

à travers toutes choses

ce grand corps unifié

de la terre et du ciel

où circulent le vent la lumière

mêlés en un seul sang

ces horizons de feu blanc

ces remontées de mer

dans les couleurs des nuages

ces passages ces oublis cette clarté

ce grand effacement de tout

cette image d’un cheval blanc

dans une prairie pauvre

entre deux murs

dont au fond de la nuit

quand nul ne le regarde plus

se referme le miroir

 

(Avant dernier poème de la partie « Lumière d’août »)

Éric Chassefière, S’achèvent murmurés, illustration Emmanuelle Boblet, éd. Rafael de Surtis, 2017

 

 

 

 

Marie-Jeanne HEUSBOURG

choix Éliette Vialle

 

La tendresse

 

  La tendresse c’est

Ton regard qui se pose sur moi

Lorsque je m’embrume

D’une cigarette…

   La tendresse c’est

Ta main qui se pose sur la mienne

Pour qu’elle tremble un peu moins

Et se réchauffe un peu plus…

  La tendresse c’est

Quand tu te frôles au milieu

D’une foule bruyante

Et qui nous poussent l’un contre l’autre…

   La tendresse c’est

Quand ton doigt fragile

Vient frapper à ma porte

Et que tes yeux m’appellent « amour »…

   La tendresse c’est

Quand de corps fatigués

Tu t’alourdis sur mon épaule

Et souris à ton rêve intérieur…

   La tendresse c’est

Mais à quoi bon les mots

La tendresse c’est toi !



Couleur musicale…

 

Un son grave, puissant, résonnait sur la Terre, en écho dans tout l'Univers. C'était le Do. Le Do originel, vibration éternelle de la Vie. Tout semblait dormir, baigné dans les profondeurs d'une teinte sombre, proche du néant : le Violet. Le Violet primordial !

Des notes perlées de pluie vinrent ricocher joyeusement sur l'écorce de la terre, faisant timidement sortir les premières pousses de cette carapace noire et sèche qui se colora peu à peu. De jolies petites fleurs
Indigo dégagèrent un parfum aussi délicat que la rosée, bercées de bruissements d'insectes qui frémissaient au ras du sol. La note Ré se fit entendre, plus douce que la brise du matin.

L'herbe poussa sur la Terre, et bientôt toutes sortes d'animaux commencèrent à la brouter, emplissant le silence de leurs mugissements, pépiements et autres cris de joie ou de douleur. La peine, la colère, la peur ou le désir s'exhalaient de la Terre, et la note Mi, modulable à l'infini, inonda de
Bleu tendre la planète qui devint alors la plus belle dans l'immensité du Cosmos !

Enfin, l'Homme foula pour la première fois le sol de la Terre, et sa voix s'éleva, mélodieuse et conquérante. La Terre regorgeait de forêts, de plaines et de vallons d'un
Vert intense où l'Homme régnait en Maître. Mettant son intelligence au service du moindre de ses besoins, il devint le jardinier du monde, dont il puisait sa subsistance. Avec la note Fa, l'Homme affirma sa suprématie sur toutes les espèces. Devenant conscient de son individualité propre, il put alors dire : "Moi".

Des enfants naissaient des hommes, et avec eux la lumière de l'Amour. La note Sol, celle des berceuses et des comptines, illumina d'un
Jaune ensoleillé les cœurs et les âmes, reliant les humains au monde merveilleux de l'Imaginaire et des rêves. Ce fut un moment de prospérité et de bonheur dont les hommes se souvinrent longtemps, perpétuant de générations en générations le souvenir de ces mythes et légendes fantastiques.

La note La entama son chant triste et nostalgique quand les hommes commencèrent à être nombreux sur la terre et à s'entre-déchirer. Une lueur
Orange brillait derrière leurs paupières tandis que montaient vers le ciel leurs plaintes aux harmonies mineures, chantant le regret d'un paradis perdu. L'Humanité évoluait en bien et en mal. Elle le fit jusqu'au paroxysme. Tandis qu'une partie des hommes s'entre-dévorait, d'autres groupes et associations se formaient un peu partout, apportant l'espoir et la consolation aux âmes en détresse.

La Terre se sentait déchirée. Partagée entre le désir d'un idéal qui lui semblait encore inaccessible quoique tout proche, et la tentation irrésistible de retourner au chaos primordial, de rejoindre les Abymes et le Néant. Tendue à se rompre, une longue corde flottait entre le ciel et la terre, le feu d'un
Rouge Sang, brûlant chaque jour un peu plus sa résistance. Espoirs, peurs, jamais les sentiments n'avaient été à ce point exacerbés. Ils s'exprimaient dans des dissonances étranges, parfois très belles, qu'ils infligeaient à la note Si. Note si fragile pourtant, et si merveilleuse : la note dite "sensible"…

Une harmonie cosmique enveloppait peu à peu la terre, ébranlant tout l'Univers. Il suffisait maintenant de si peu de choses pour atteindre la Perfection ! Il ne restait à parcourir qu'un minuscule intervalle jusqu'à l'Octave. L'octave suprême, rédemptrice : la couleur
Blanche
Les hommes sauraient-ils la voir, et l'entendre ?

 

 

Théorème

 

Toi qui es

Ma terre et mon soleil

Mes gouttes de pluies

Et mes champs fertiles.

Toi qui es ma lune

Et la brillance de mes étoiles

Ma voie lactée et mes stigmates

Incandescent et douloureux

Comme champs de blés murs

"Je t'aime mon amour!"

 

Toi qui montant d'alcoolé

Et tapis de fleur royale.

Toi qui es ma nuit de veille

Et mes matins à regard fatigué.

Toi qui es mon horizon lointain.

Toi qui es ma clé de sol.

Toi qui es mon sol d'amour

Quand je me fais sac de charrue.

Toi qui es neige immaculée

Au roc noir de ma vie

"Je t'aime mon amour!"

 

Toi qui es mon bouquet de fleurs

Posé, serein, au cœur de mes mots.

Toi toutes lettres de ces mots que j'emploie

Pour t'écrire ces non phrases de mes poèmes.

Toi qui es jet d'eau

À la sécheresse de ma nuit.

Toi qui trop souvent reste

Seul songe aux heures grises de solitude.

Toi qui m'emprisonne

Et m'ouvre la cage de ma vie

"Je t'aime mon amour!"

 

***

 

Poète lorraine vivant à Metz, Marie-Jeanne Heusbourg a été publiée à Francopolis dans la sélection d’octobre 2014. Présence sur FB.

 

 

 

Patrice ANGIBAUD

choix François Minod

 

Des ombres passent

Dans l’épaisseur du brouillard…

 

Je me demande

Si nous ne sommes pas devenus

Des ombres d’hommes

 

Loin

Si loin

De la meilleur part en nous.

                                                                                          *

 

On ne peut pas

Se quitter soi-même

 

Mais on peut

S’habiter différemment

 

Habiter le monde

Différemment

 

Aller au-delà

Du désert intérieur

 

Apprendre

À traverser la pierre

À fendre peu à peu

Le roc

 

Chercher

La nappe souveraine

 

Un jour enfin

Trouver l’onde

Profonde

 

Un jour enfin

Trouver l’onde

De choc.

                                                                                          *

 

Immobilité du ciel et de la terre

 

Regard qui se délie

Et pensée qui se perd

 

En l’absence de frontières

De ligne d’horizon

 

Joie silencieuse à l’unisson :

Tu habites tout l’univers

 

Joie silencieuse

Inaltérable

 

N’étaient

Ces tessons de bouteilles de bière

Sur la tendresse fragile du sable.

 

                                                                                         

 

Extrait dru recueil Les tessons du temps (Gros textes, 2016)

 

Patrice Angibaud réside dans la région nantaise. Il a publié des poèmes ainsi que des notes de lecture dans une vingtaine de revues.

Collaborateur de la revue en ligne Texture, il est l’auteur de plusieurs recueils de poésie dont Un aller simple en ce pas (la corde raide), Tant perdu (Gros textes), Les tessons du temps (Gros textes).

Publié à Francopolis dans la sélection de décembre 2016.

 

 

 

 

Jacques PRÉVERT &

Isaac de BENSERADE

choix Michel Ostertag

 

Deux poètes écrivant sur Paris :

 

Jacques Prévert, Chanson de la Seine 

La Seine a de la chance

Elle n’a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et elle sort de sa source

Tout doucement, sans bruit…

Sans sortir de son lit

Et sans se faire de mousse,

Elle s’en va vers la mer

En passant par Paris.

La Seine a de la chance

Elle n’a pas de souci

Et quand elle se promène

Tout au long de ses quais

Avec sa belle robe verte

Et ses lumières dorées

Notre-Dame jalouse,

Immobile et sévère

Du haut de toutes ses pierres

La regarde de travers

Mais la Seine s’en balance

Elle n’a pas de souci

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et s’en va vers le Havre

Et s’en va vers la mer

En passant comme un rêve

Au milieu des mystères

Des misères de Paris

 

***

 

Isaac de Benserade, Sur la ville de Paris

 

Rien n’égale Paris ; on le blâme, on le louë ;

L’un y suit son plaisir, l’autre son interest ;

Mal ou bien, tout s’y fait, vaste grand comme il est

On y vole, on y tuë, on y pend, on y rouë.

 

On s’y montre, on s’y cache, on y plaide, on y jouë ;

On y rit, on y pleure, on y meurt, on y naist :

Dans sa diversité tout amuse, tout plaist,

Jusques à son tumulte et jusques à sa bouë.

 

Mais il a ses défauts, comme il a ses appas,

Fatal au courtisan, le roy n’y venant pas ;

Avecque sûreté nul ne s’y peut conduire :

 

Trop loin de son salut pour être au rang des saints,

Par les occasions de pécher et de nuire,

Et pour vivre longtemps trop prés des médecins.

 

Poète, dramaturge, courtisan et bel esprit, Isaac de Benserade (né en 1612 et mort en 1691) fut le protégé du cardinal de Richelieu, du duc de Brézé, de Mazarin et de Louis XIV et fut adulé par les milieux mondains de son époque. Pensionné à la hauteur de six cents livres par an par Richelieu, on lui doit une épitaphe humoristique à la mort de ce dernier :

Cy-gist, oui, gist, par la mort-bleu !

Le cardinal de Richelieu ;

Et ce qui cause mon ennui,

Ma pension avecque lui.

Isaac fut  l’un des écrivains précieux de son époque, fort en vogue et l’incarnation  la plus typique de la préciosité.

 

 

Marilyne BERRONCINI

choix Dana Shishmanian

 

Invention de l’absence

 

Hiératique et obscure détentrice du Nom Secret

Iris lancéolé

Iridescente Isis

grave

fleur

de poésie

 

enclose au coeur de la parole

réfrangible cristal

du souvenir

 

 

*

 

Azur ou safran

métalescente soie

mince et flexible flamme

palpitante et fugace

 

aigue-vive

tu

t'élances

sur le fléau

du

vide

 

et dans l'instant

Tout

disparaît

 

miroitant et spectral souvenir de la page

 

*

 

 

Iris

Messagère à l'écharpe

 

         dont

         réfracté

         le nom

         au tremblant prisme de la pluie

 

                                               écrit encore

 

Isis

Déesse au Lien et Soeur-Epouse

coeur éponyme

du

roi

mort

 

soleil

nocturne

 

 

*

 

Dans les limbes du temps

suivant

le vain et fluvial ondoiement

du Nil

elle cherchait

sparsiles graines étoilées dans le chaos des mondes

ses membres

dispersés

 

 

*

 

 

Au limon où vacantes

les formes                                s'annihilent

elle inventa alors

ce qui manquait au nom

d'O

siris

 

la ronde outre d'où croît

filial et coalescent

le grêle iris

 

ou

 

Rien

 

signe à l'état pur

 

         Abîme

         sans principe ni fin

         miroir au fond duquel

 

oiseau-pélerin

 

                            tu comprends que ce nom

était déjà

 

le Tien

 

 

*

 

 

Inchoative et fugitive

toujours

il faut

ultime instance

comme l'étoile des bergers du fond des déserts appelés

saisir

 

La Lettre

dont l'instable clin

est l'état d'écriture

au coeur infiniment de l'iris

le vide

l'O

-rigine

 

 

Nourri de sa double nature

sois

le temps du livre

l'un

et

l'autre

avant

 

l'entaille de l'iris,

le blanc-seing donné au vide

 

 

*

 

 

De l'absence sans lieu

d'au-delà des déserts

de par-delà les mers où le temps ne s'écoule

suivant les obscures blessures de la page vierge

cherche, incis, l'élément secret

que sinueusement trace

la lettre

avec lenteur

à travers ses détours

dans le flot de l'imaginaire

et ses remous

comme une houle

 

 

*

 

De l'autre rive du souvenir

écoute

en l'oblitération

oblique réson affaibli

la pensée effacée

l'altération même de

l'imaginaire

qui s'y soumet

 

L'Oubli

pur

en dehors du temps

en-deça du souvenir

 

Oblat sacré qu'expose l'ostensoir

Vérité absente

soleil

sans

iris

 

 

*

 

 

 

Deviens alors

ce cadre et ce reflet

fragment lumineux et doré

gouffre où se perdre et se trouver

ravissement

solitaire

et méditatif

 

Jeu

 

enfantin et savant

qui capture

dans la lumière diaphane

le paysage de l'écran de porcelaine

révélant à peine son contour

sous le doigt qui l'y trace

sur l'inégale table

 

 

Litophanie

souvenir                pétrifié

englouti

pétri

dans l'opacité

de la pierre

 

 

Ainsi

ton visage

Lilith

le dessinent à même la blancheur de la page

les caractères de chaque livre.

        

 

Extrait de la dernière partie du recueil Le dernière œuvre de Phidias, suivi de L’invention de l’absence, Jacques André éditeur, 2017 (coll. Poésie, XXI),

 

Co-directrice de la revue Recours au Poème, docteur en Littérature, spécialiste de Jean Giono, Marilyne Bertoncini est poète et traductrice. Pour sa bibliographie complète à ce jour, voir son blog : http://minotaura.unblog.fr/.

Présence à Francopolis : salon de lecture de mars 2016

Voir, dans ce même numéro, la chronique à son recueil La dernière œuvre de Phidias par Carole Mesrobian et l’annonce de la parution de son dernier recueil L’anneau de Chillida.

 




Coup de cœur

choix Dominique Zinenberg

choix Éliette Vialle

choix François Minod

choix Michel Ostertag

choix Dana Shishmanian

 

Francopolis mai-juin 2018