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SALON DE LECTURE - MARS 2016

Marilyne Bertoncini

« …dans son petit ballot, celui qu’elle remonte des enfers,
elle avait ses mots… »





         INFERNET
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J'erre au labyrinthe sans fin

Pour pénétrer au pays de la mort
on ne voyage pas léger
Comme le mort emporte son obole
j'ai sous la langue le goût de ta pièce, nocher,
couvrant l'odeur de la charogne
aux abords de ces lieux
recouvrant ma douleur
et mes larmes
comblent les fleuves de la nuit.

*

J'erre au labyrinthe sans fin
d'un palais de glaces et du souvenir
Une Eurydice en verre s'y fêle d'un souffle
aux vents d'un carrefour
et se brise en mille minuscules échardes
plantées au cœur d'Orphée comme un trophée glacé.

Hécate hulule et l'eau se fige à la fontaine
Les sons givrent dans l'air en échos de cristal
et tremblants répercutent le silence sans fin
des morts
en images troublées sur le verre brisé.

*

O dire, dire
l'haleine du vent gris où la raison
vacille
le souffle qui soulève les mots
au cœur de ta poitrine
dire tous les démons qui la
déchirent
de leurs pensées d'infra-monde

Empêtré dans les plis de sa robe tu
pèses sur le bras du vent tu
plies comme le saule
et le docile osier

Souffle court dans les plis
de la robe du vent
tu marches comme sur l'eau
où s'imprime son pas
tu affrontes l'aube
qu'il pétrit de ses bras

Des poissonges se prennent
dans tes cheveux de vent
et s'agitent les branches
comme d'immenses cages

et dans le reflet de ses yeux
meurt une vaguelette
couleur de ta défaite

La voix du vent résonne
dans le ventre du monde
sa longue plainte grise

Eurydice
t'attend.

*

Le chemin s'éboule

                    " On peut avoir un coup de foudre pour un mot
                      un mot vient à votre rencontre
                      et vous tend
                      la clé de l'oeuvre

                      Addellatif Laabi, Sous le baîllon, le poème


Le chemin s'éboule
dans l'outre-monde des paroles
Chaque pas soulève une poussière
d'or éteint tremblant dans l'absence
de lumière

bourdonnantes mouches grises 
les mots sont un essaim en quête d'une reine

Ta tête est une ruche que grisent les mots d'or gris

des paillettes de mots dans le lit des grands fleuves
que traversent les morts lents et phosphorescents
tout un sable de mots que soulèvent tes pas
dans un chuchotement de vieilles feuilles mortes
au couchant

Orient espéré à l'issue du chemin
    Orion Ariane ma sœur La Très Sacrée
tes pas tracent les mots dans ta danse secrète
dans l'outre-monde des paroles
dans le silence des choses
somnolentes

Le chemin qui s'éboule monte vers la lumière.




Le voyage secret des forêts

Brume de fantômes
couleur de leurs racines
neige sur neige des souvenirs
- les arbres se libèrent

La dentelle des branches blêmes
s'éloigne dans la brume
nervures de mes nerfs
filaments de mémoire

Les arbres dansent vers
le rêveur horizon
voyageuse forêt de sable
du sommeil.

Est-ce que les arbres nous rêvent
au long cours de l'hiver ?
Notre âme frémit-elle
sous la résine des bourgeons ?





Noces

La forêt revêt son habit nuptial

Les chevaux de la nuit délassent leur crinière
un voile à plumetis recouvre tous les arbres
dans le matin blafard

C'est le Printemps d'Eurydice

 
Des grappes d'acacia couronnent la rivière
Le miel clair des troënes chante dans le matin
ganté de beurre frais

Des pyramides nivéales jouent à saute-mouton
parmi les manchons roses des cersis
sous les langues des nuages qui s'échevèlent
le long des pentes
 

Plumeaux et plumets blancs s'agitent sur
les lourdes têtes du sureau lièbre

les vaporeuses aigrettes de l'arbre à perruque

les candides étoiles du pyracantha

 

où nul ne lit
le sang des baies
déjà inscrit dans la nacre des fleurs

C'est le cortège d'Eurydice
et ses voiles dans le matin sont une écume de chagrin

 

 La fourmi tire son fil


(dessin de Pierre Rosin
(http://www.pierrerosin.fr/)


La fourmi tire son fil dans la mémoire-coquillage
et l'aube s'irise du reflet des souvenirs
dans la forêt remembrée

Comme les ailes d'un papillon se déplissent
les feuilles-mots
dans la pelote du cocon
où leur frisson de soie agite le passé
sur le dédale sans pensée

Il dolce dolore brode sa pluie de mai
sur les plaies qui s'effacent dans les lobes nacrés
de la mémoire-cicatrice.

***

D'où vient Minotaur/A ?

Il faut sans doute remonter à Orphée . Orphée, dans le fond, il avait tout : sa muse, sa lyre, le succès – tout s’émeut pour lui – mais lui ? Eurydice ? Oui, il l’aime – elle ajoute à son bonheur, son prestige… mais l’a-t-il jamais vraiment vue – vraiment – pas l’apparence d’Euridyce, la jolie forme dans le soleil, les cheveux blonds d’Eurydice, la silhouette en robe blanche, la voix qui chante d’Eurydice… non - l’autre -  l’Eurydice d’ombre, la taiseuse, celle qui tente de remonter la pente vers la lumière avec sa charge de mots qui la retiennent, la tirent, la lient aux enfers profonds de la langue.  Ce n’est pas le mythe d’Orphée qu’on devait raconter, mais celui d’Eurydice. Les Ménades ont bien fait de déchirer le poète – beau boulot, belle revanche – il accède à l’immortalité et tout le tintouin … Mais Eurydice, dans tout ça ? Déchirée intérieure sans mots propres pour dire sa souffrance, sa plainte silencieuse qui cherche sans Orphée des mots qui la délivrent.

Non, Orphée sans Eurydice ne mérite pas son mythe – mais le sien, celui d’Eurydice, n’a sans doute pas pu prendre son envol depuis la cage de ses mots.  Voilà – tout comme Minotaure, dont le mythe raconte, d’une autre façon, l’histoire d’Eurydice – l’être piégé, sans la parole, au tréfonds de son âme, en quête de l’autre dont la parole le délie, en quête d’Ariane qui déroule son fil... Oui, Eurydice et  Minotaure sont  sœurs (car qui peut me prouver que Minotaure n’est pas femme, double d’Ariane, injustement bestialisée par l’absence de parole, injustement parkée au fond du labyrinthe d’où elle mugit sa plainte ?)

Minotaur/A – quand la voix intérieure se décide à rompre le silence.

Elle aurait sans doute pu utiliser ses propres mots, Eurydice – dans son petit ballot, celui qu’elle remonte des enfers, elle avait ses mots, tous les mots de sa langue, son idiome à elle – mais il aurait fallu qu’on l’écoute quand elle les utilisait... Qui écoute les filles ? Sois belle et tais-toi ! Il fallait être rebelle, avoir le caractère de Sapho – mais elle ne savait pas, Eurydice, qu’on peut se révolter, qu’on doit exister, dire, pour soi – au lieu de ça, elle utilise les mots des autres, les mots d’Orphée, le fameux chant – elle les détourne, elle les traduit – c’est le destin des filles dans les mythes – Echo, c’est pas la même chose ?



Infernet : textes inédits


DAEMON FAILURE DELIVERY
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destinataire inconnu à cette adresse


       Remember, remember...
...Never more.


Où vont les souvenirs des morts
      ricordi dei morti, dove svanite
la cendre de leurs pensées
cendre de cendres
      Sepolti vivi vani pensieri
      dove vanno i ricordi di quelle vite?


*

Sous l'humus qui délite les corps
l'aigre-lisse des cerises fond encore
dans les bouches sans chair.

*

La flamme rousse d’un bouvreuil
frotte son bec aux barbelés
et se balance.

*

Au sortir de la gare Saint-Roch
dans le silence se dressait un cheval bleu
comme un glacier

Agitant sa crinière
Il te suivait sur les arches du pont
et ses paroles avaient l'éclat des eaux où s'abreuve la lune.

*

Au loin entre sifflets et voix d'enfants l’éclat
de la fête foraine tourne
avec l’astre nocturne de la grand-roue

tandis qu'oscille comme son ombre
sur le croissant de lune du cyprès
un noir pierrot au regard d'or.
   
*

Et les rêves des morts dans le petit matin
- fêlure dans le cristal du jour - s'en vont
par deux par trois à travers champs

un souffle se prend au piège irisé de la toile.
                   
*

Un papillon s'était posé sur son épaule
une fumée légère montait des chaumes
et les champs incurvaient l'horizon embué

Le petit bossu niait avoir été le facteur
des perdrix et le papillon saignait à son épaule
comme une écharde.

*

A travers champs noirs et luisants la route monte et l'herbe
entre les pavés frémit sous la pluie
le chien bavait à tes côtés


et votre haleine dans l'air froid dessine
l'ellipse de ce souffle.

*

Seul un songe nous attache ici
disait l'homme-cheval et le rêveur aussi qu'il nous faut découvrir
au fond du corridor où son rêve nous tient.

*

Devant l'huis grand-ouvert deux oies criardes te regardent tandis qu'indiffèrent
l'aiguiseur de ciseaux faisait chanter sa meule aux étincelles nues
couleur de nuit.

*

Le vol lucide du goéland s'est posé sur la grève
un tourbillon de plumes cache l'or de son bec
dépeçant l'oiseau mort que tu n'avais pas vu

et avec lui l'écho des gestes du passé dans des clameurs désaccordées.

*

Et les souvenirs entament une ronde
où le corbeau déchire un fantôme de cœur
sur les gravats d'un mur des yeux entre les écaillures

Et couronnée d'étoiles crépitantes
moqueuse la mort t’entraine sur la courbe du monde.


            ... RECAPITO ...
                        IMPOSSIBILE



Extrait de Labyrinthe des Nuits, Recours au Poème éditeurs

Photographies par l’auteure


PORTRAIT

Marilyne Bertoncini, née à Lille en 1952, et vivant à Nice. Docteur ès lettres, enseignante, a publié essais et critiques dans différentes revues et magazines (American Book Review, Littératures, Pratiques, Revue des Sciences Humaines, Cahiers Pédagogiques...). Ses poèmes et ses traductions paraissent dans La Tra-ductière, Recours au Poème (dont elle est rédactrice en chef depuis septembre 2015), Capital des Mots, Il Giornale di Parma, Cordite, The Wolf….
Son premier recueil, Labyrinthe des nuits, est paru en édition numérique au Re-cours au poème. Voir aussi : extraits, entretien, et bibliographie sur Terre à ciel; la page « découverte » que lui réserve Pierre Perrin dans Possibles ; son blog : http://minotaura.unblog.fr/.
Salon de lecture 
Marilyne Bertoncini 
recherche Dana Shishmanian
mars 2016



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Créé le 1 mars 2002

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