Kératine
chérie
Il a cinq ans. Il joue beaucoup avec elle,
la mamie adorée de quatre-vingts et quelques. Il observe la peau fripée du
bras et puis il dit : quand tu seras morte, tu pourras me le laisser
ça ? (il touche le dessous du bras) j’en ferai de la pâte à modeler.
C’est Dou qui raconte et ça la fait rire ; la mère de celui qui a
écrit : « le masque de la mort est rose et je danse
dessus ».
Nous sommes dans la Drôme, à l’ombre
d’un grand arbre, un verre de rosé à la main. On pourrait se croire en
Provence.
La
dernière séance
Entre l’objet et le sujet, elle ne sait
pas situer. Si tu es face à toi-même en permanence, comme l’objet obsédant
de ton narcissisme un tantinet pervers, tu ne sauras pas voir les autres
autrement qu’avec cet œil froid d’entomologiste dont tu uses pour toi-même,
tu ne sauras pas lire dans leur regard le sujet que tu es pour eux. Tu
auras bien du mal à aimer. Ta personne comme la leur. C’est ce qu’elle se
dit, entre autres pensées à l’horizontale censées prendre sens auprès des
siennes, ses mystérieuses pensées assises.
Elle lui dit aussi (fatiguée de sa
stérile complexion cérébrale, de son framboisage
perpétuel…) qu’elle aurait dû se marier avec un psy, seule personne apte à
la comprendre, pense-t-elle. Après vingt ans de thérapie, c’est un aveu à
peine déguisé. Comprenez-moi, aimez-moi, mariez-moi.
N’ai-je pas assumé mon audace ?
Ce fut la dernière séance.
L’ombrelle
chinoise
Cet objet faisait partie des intouchables,
dans la catégorie étrange de ceux qui ne servent à rien, que l’on n’expose
pas, mais que l’on ne jette pas non plus. Provenance ? Inconnue. Cet
objet ramasse-poussière avait été relégué au fond d’un placard. Toute mon
enfance je l’ai regardé avec l’espérance feinte que ma mère veuille bien
que l’on ouvre enfin la belle ombrelle chinoise.
Quand j’ai ouvert mes propres ailes,
j’ai emmené avec moi cette ombrelle en papier rouge sombre qui décora un
moment un coin de ma maison nouvelle. Elle figure en noir et blanc sur de
chastes photos de nus de mes jeunes vingt ans. Puis usée, pâlie, déchirée,
je la jetai un jour. Elle avait fait son temps et son histoire, autant dire
un bout de la mienne. Il y a une juste réplique entre les mains de
Charlotte Rampling dans le film de « Boxes » de Jane Birkin.
Toujours une ombrelle entre mère et fille, une ombre(elles) au tableau.
Jane, Claire, Eliane… des mamans si dissemblables…
A présent que ma période ombrelle
ouverte est passée, je garde inexplicablement au fond d’un cagibi obscur
une triste ombrelle repliée sur sa poussière. Nulle enfant (fut-ce en
moi-même) ne s’y penche en rêvant de l’ouvrir. D’où vient-elle cette
ombrelle couleur canard laqué ? Aucune idée, plus aucun souvenir. Si
je ne la jette, c’est peut-être pour ne pas jeter mon rêve ancien pourtant
assouvi. Rêve de rêve, désir donc.
Aussi sans doute, cette idée : pour
certaines d’entre nous, vient un temps où l’on devient sa mère.
Avoir
un grain
La constellation des grains de beauté
sur notre peau appartient à l’autre, l’intime, celui qui nous caresse des
doigts et des yeux. Braille amoureux visible pour tous, mais dont seuls
quelques-uns s’émeuvent. Cette carte du tendre, c’est par l’autre qu’on la
voit sur soi-même. Voir ce que sans lui l’on ne voyait pas. Par la caresse
des baisers plus légers que les rêves, la peau comme un ciel s’ouvre, à
l’infini des nuits d’été.
Cathy Jaume-Costagutto
Extraits de OBJETS SENSIBLES
Editions Amateurs Maladroits 2019
J’ai
découvert des textes de Cathy Jaume-Costagutto
dans la revue animée par Gilbert Renouf : La lettre sous le Bruit.
Lorsque
je l’ai sollicitée pour m’envoyer des textes pour la revue Francopolis, elle m’a envoyé le recueil Objets sensibles dont sont extraits les
textes ci-dessus.
Elle
présente ainsi ses « quelques lignes de vie : musicienne
photographe, écrivaine... Divers ouvrages ont paru aux éditions Les Amateurs Maladroits : Le rectangle du monde. Un jardin sur
l'Adriatique, Analecta, Autoportrait In &off. Je vous écris de la
montagne.
M.
D.-F.
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