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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Novembre - décembre 2019

 

Danièle Corre, choix Dominique Zinenberg

Christophe Bregaint, choix Éliette Viale

Guillevic, choix François Minod

Cathy Jaume-Costagutto, choix Mireille Diaz-Florian

Alena Meas, choix Dana Shishmanian

 

 

 

 

Danièle Corre

choix Dominique Zinenberg

 

 

 

Des pas froissent

ma destinée

 

Qu’avons-nous su

de ce tissu qui se défait

derrière nous

sans notre regard ?

 

Ombre de l’ombre

déroulée trop tard

 

Qui bégaie dans notre cou

le premier chant de trame ?  (p.31)

 

*** 

 

Il n’est nul abri de certitude

nul chemin repu

 

Le ventre des poissons

miroite dans le courant

 

Nous attendons près du ruisseau

que se posent les oiseaux

blessés aux vitres

que l’angoisse épuise sa course

 

Du sentier monte

dans la nébuleuse de vivre

un homme auréolé

d’abeilles (p. 35)

 

***

 

Tendresse glissée

dans le courrier du sang

qui cogne aux tempes

son message

 

A-t-on perçu

son passage de sève

sa lente remontée

des sources

 

vers le seuil d’ombre

où se posent

ses fusées mouillées ? (p.37)

 

 

 Extraits de Obstinément l’enfance,

éditions Aspect, 2005

 

Danièle Corre-Blanchet est née à Villeneuve-sur-Yonne. Elle a publié plusieurs recueils dont L’Arbre de mémoire (La Bartavelle, 1999, Prix Jean Follain), De Clairière en clairière (Poésie sur Seine, Grand prix de l’édition 2002), D’un pays sous l’écorce (cahiers de poésie verte, Prix Troubadours 2004) et Voix venues de la terre (Prix 2004 des jardins de Talcy).

De sa collaboration avec Sarah Wiame (Éditions Céphéides), sont nés plusieurs livres d’artiste : De terre et d’eau (2001), Éclats (2002), Sédiments (2002), Rives (2003), Bretagne (2003) et Les chants querelleurs (2004).

Professeur de lettres à Asnières-sur-Seine, elle dirige des ateliers d’écriture poétique et initie ses élèves à la poésie contemporaine.

Elle est aussi l’auteur d’un D.E.A. sur l’œuvre poétique de Georges Emmanuel Clancier.

 

 

 

Christophe Bregaint

choix Éliette Viale

 

 

Là-bas

....Os d’un rivage

Ici

....Cet oeil qui t’observe

Ailleurs

....Vers où te pousse la chair du ciel

 

Trip d’une trilogie

De ta trajectoire

Sans

Remord

Ni regret

Pour ce qui est resté

Dans un énième ressac

Aux crochets des parois

Hors de ta vue

 

Un avant qui a été dissout par l’acide du passé

Depuis le kilomètre zéro d’un vivre qui se love

Contre la crinière de ta route

Ce qui est

Autre chose

Que ce survivre

Qui menait jusqu’au dernier spasme du vocable d’un

désespoir

 

Tassé dans la paume d’une ombre

 

©Christophe BREGAINT

 

Né en 1970 à Paris. Ses poèmes sont parus dans plusieurs dizaines de revues papier et numérique.

Il a publié quatre recueils de poésie : en octobre 2015 Route de Nuit (Editions La Dragonne), en octobre 2016 Encore une nuit sans rêves (Editions Les Carnets du Dessert de Lune), en avril 2017 A l'avant-garde des ruines (Editions du Pont de l'Europe), en mai 2018 Dernier atome d’un horizon (Editions Tarmac).

Co-auteur de l’anthologie Dehors : 107 auteurs pour l’association Action Froid (Editions Janus, publié Mai 2016). Un de ses textes figure dans l’anthologie 101 poèmes (et quelques) contre le racisme (Le Temps des Cerises, 2017) et dans «De l’humain pour les migrants (Editions Jacques Flament).

Il a fait quelques lectures publiques de ses textes dont une à la maison d’arrêt d’Osny dans le cadre du Printemps des Poètes.

 

 

 

Guillevic

choix François Minod

 

 

Si tu n'étais pas
Ce que tu es pour moi,

Tout autres seraient
Mes rapports avec la rose.


                        *
Que signifieraient les mots
Comme arbre, pierre, palombe
Si tu n'étais pas toi ?

                      *
Ne me demande pas
D'où me vient le pouvoir
Que j'ai de te connaître,

Après tout,
Nous n'avons peut-être
Jamais vécu séparés.

                      *
Sans toi je n'irais plus, je crois,
Sans frayeur dans les bois

Peuplés de tant de choses
Et surtout de silence,

Un silence royal
Qui parfois vous exclut

                      *
Près de toi je sais être
Comme une source
Ignorant son destin,

Elle qui chante la béatitude.

                      *
Parfois
Je me sens devant toi
Comme doit se sentir une pierre :

Muet, conforté, heureux.

                        *
Je ne m'aime pas,
Mais à me voir t'aimer

Je deviens presque
Amant de moi-même.

                        *

Si je devenais nuage
Je trouverais un nuage
Qui serait toi.

                        *

J'ai rêvé
Que nous étions tous les deux
La branche et son rameau.

Lequel de nous deux
Était le rameau ?

 

                      *

Le tournesol s'est trompé :
Il s'est tourné vers moi.

Je vais lui demander
De se tourner vers toi.

 

Extrait de Lyriques (Écrits des Forges Poésie)

 

 

 

Cathy Jaume-Costagutto

choix Mireille Diaz-Florian

 

      

Kératine chérie

 

Il a cinq ans. Il joue beaucoup avec elle, la mamie adorée de quatre-vingts et quelques. Il observe la peau fripée du bras et puis il dit : quand tu seras morte, tu pourras me le laisser ça ? (il touche le dessous du bras) j’en ferai de la pâte à modeler. C’est Dou qui raconte et ça la fait rire ; la mère de celui qui a écrit : « le masque de la mort est rose et je danse dessus ».

Nous sommes dans la Drôme, à l’ombre d’un grand arbre, un verre de rosé à la main. On pourrait se croire en Provence.

 

 

La dernière séance

 

Entre l’objet et le sujet, elle ne sait pas situer. Si tu es face à toi-même en permanence, comme l’objet obsédant de ton narcissisme un tantinet pervers, tu ne sauras pas voir les autres autrement qu’avec cet œil froid d’entomologiste dont tu uses pour toi-même, tu ne sauras pas lire dans leur regard le sujet que tu es pour eux. Tu auras bien du mal à aimer. Ta personne comme la leur. C’est ce qu’elle se dit, entre autres pensées à l’horizontale censées prendre sens auprès des siennes, ses mystérieuses pensées assises.

Elle lui dit aussi (fatiguée de sa stérile complexion cérébrale, de son framboisage perpétuel…) qu’elle aurait dû se marier avec un psy, seule personne apte à la comprendre, pense-t-elle. Après vingt ans de thérapie, c’est un aveu à peine déguisé. Comprenez-moi, aimez-moi, mariez-moi.

N’ai-je pas assumé mon audace ?

Ce fut la dernière séance.

 

 

L’ombrelle chinoise

 

Cet objet faisait partie des intouchables, dans la catégorie étrange de ceux qui ne servent à rien, que l’on n’expose pas, mais que l’on ne jette pas non plus. Provenance ? Inconnue. Cet objet ramasse-poussière avait été relégué au fond d’un placard. Toute mon enfance je l’ai regardé avec l’espérance feinte que ma mère veuille bien que l’on ouvre enfin la belle ombrelle chinoise.

Quand j’ai ouvert mes propres ailes, j’ai emmené avec moi cette ombrelle en papier rouge sombre qui décora un moment un coin de ma maison nouvelle. Elle figure en noir et blanc sur de chastes photos de nus de mes jeunes vingt ans. Puis usée, pâlie, déchirée, je la jetai un jour. Elle avait fait son temps et son histoire, autant dire un bout de la mienne. Il y a une juste réplique entre les mains de Charlotte Rampling dans le film de « Boxes » de Jane Birkin. Toujours une ombrelle entre mère et fille, une ombre(elles) au tableau. Jane, Claire, Eliane… des mamans si dissemblables…

A présent que ma période ombrelle ouverte est passée, je garde inexplicablement au fond d’un cagibi obscur une triste ombrelle repliée sur sa poussière. Nulle enfant (fut-ce en moi-même) ne s’y penche en rêvant de l’ouvrir. D’où vient-elle cette ombrelle couleur canard laqué ? Aucune idée, plus aucun souvenir. Si je ne la jette, c’est peut-être pour ne pas jeter mon rêve ancien pourtant assouvi. Rêve de rêve, désir donc.

Aussi sans doute, cette idée : pour certaines d’entre nous, vient un temps où l’on devient sa mère.

 

 

Avoir un grain

 

La constellation des grains de beauté sur notre peau appartient à l’autre, l’intime, celui qui nous caresse des doigts et des yeux. Braille amoureux visible pour tous, mais dont seuls quelques-uns s’émeuvent. Cette carte du tendre, c’est par l’autre qu’on la voit sur soi-même. Voir ce que sans lui l’on ne voyait pas. Par la caresse des baisers plus légers que les rêves, la peau comme un ciel s’ouvre, à l’infini des nuits d’été.

 

 

Cathy Jaume-Costagutto

Extraits de OBJETS SENSIBLES

Editions Amateurs Maladroits 2019

 

 

J’ai découvert des textes de Cathy Jaume-Costagutto dans la revue animée par Gilbert Renouf : La lettre sous le Bruit. 

Lorsque je l’ai sollicitée pour m’envoyer des textes pour la revue Francopolis, elle m’a envoyé le recueil Objets sensibles dont sont extraits les textes ci-dessus.

Elle présente ainsi ses « quelques lignes de vie : musicienne photographe, écrivaine... Divers ouvrages ont paru aux éditions Les Amateurs Maladroits : Le rectangle du monde. Un jardin sur l'Adriatique, Analecta, Autoportrait In &off. Je vous écris de la montagne.

M. D.-F.

 

 

 

Alena Meas

choix Dana Shishmanian

 

 

Nous sommes, comme les cloches le disent,

Proches

           D’un mot isolé

           Sonnant notre convoitise

D’écrire

            Comme on se déshabille.

Nous sommes

Proches de sept heures

            Presque nus

                         Dans ce poème.

 

***

Composer un poème

Comme les rayons se diffractent dans un verre –

Aussi lumineux

Abstrait

Instable

Architectural

Emouvant

Et habité

La transparence de l’eau

Multiplie la sensation de limpidité

Falsifier la lumière

Est impossible

De même que ne pas se soucier

De la beauté.

 

***

 

Traces de ce que nous avons été :

Un pas fébrile résonne encore dans le couloir.

Nous passons

        [Mais sommes-nous seulement là ?]

Le long du mur

        Se tiennent les jours

        Comme réconciliés

                 Avec la lisière de la ville

                 Avec ces ronces sans épines

                 Avec ce chemin qui ne répond pas.

 

*** 

 

Ecouter l’eau c’est aussi

Ne pas la voir,

Encercler sa base et tournoyer

Avec le courant,

Couler au-delà du corps,

Continuer jusqu’u réservoir,

S’unir et donner à boire.

 

*** 

 

Une grande disponibilité de la page

A un moment où le temps s’assouplit.

Au milieu des autres

Une existence qui s’apparente à la tienne –

Tu la croise dans les regards des inconnus,

Et sur la table les reflets des mots

Qui voudraient te rendre vivant.

 

 

Poèmes extraits du volume Protège tes sens,

suivi de Bannissement d’une ville et de Transfiguration d’Octave, éditions Unicité, 2019 (signalé dans nos annonces de mars-avril)

 


Coup de cœur

Danièle Corre, choix Dominique Zinenberg

Christophe Bregaint, choix Éliette Viale

Guillevic, choix François Minod

Cathy Jaume-Costagutto, choix Mireille Diaz-Florian

Alena Meas, choix Dana Shishmanian

 

Francopolis novembre-décembre 2019