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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


A Francopolis, la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité
décembre 2011


choix d'Eliette Vialle...         Patrick Delaplace-Trinquet   
choix de Gertrude Millaire
...   Lysette Brochu
choix de Michel Ostertag...  Fleur  
choix d'André Chenet...       Angèle Vanier
choix de Lilas...                 Michel Ostertag 





PATRICK
DELAPLACE-TRINQUET

Patrick Delaplace-Trinquet
(Éliette Vialle)



À mon habitude, après la Toussaint, je me rends seul au cimetière.

 Il pleut, une pluie fine, une humidité malsaine, le ciel s'écrase avec ses nuages d'un blanc vaporeux, le vent souffle, des effluves tièdes charrient l'odeur du marbre, du sable blond, seule la vraie Mort n'a pas d'odeur. Je foule lentement le sable qui colle à ma chaussure, les tombes sont ruisselantes d'eau, la pluie cingle les plaques, une rumeur raisonne dans l'air engourdi, c'est le silence torturé.

 Toutes ces tombes me sont familières, mon œil les perçoit une à une, dans chacune repose une fleur, dans ce jardin existe une multitude de fleurs différentes, cependant pas une n'est avantagée, au milieu des ravissantes violettes, d'autres fleurs à la tige mince et longue, des chardons, des épines, des roseaux, ici l’âme est comme soulevée par une force mystérieuse, par une volonté qui la possède toute entière.

La photographie me bouleverse, j'aime l'effigie qui parvient à ne pas étouffer, à éteindre la lumière, l'âme est comme enveloppée alors que tous sens sont morts. Je retrouve des amis, des connaissances, des visages apparaissent, j'écoute leur voix gravée en mon intérieur, mourir c'est la feuille qui se détache de la branche.

Un souci me hante, ma propre mort, me faire enterrer, me faire incinérer, une simple dalle ou alors reposer dans une ruche du jardin, la Mort me boit la mémoire comme une liqueur le long de mon esprit aride, j'ai soif de vie, de vivre, la Mort je lui mords dedans à coups de dents, à coups de prières, à coups d'absurdités.


Parmi les tombes se dressent d'autres tombes avivées d'un vert de gris par la pluie, d'autres comblées d'herbes sauvages, emmêlées par la ronce, les rejets s'agrippent à la pierre, d'autres émergent des profondeurs de la terre, révélant l'âme millénaire, la fosse encore bien trop étroite pour l'émotion qui gigote en moi, ce jardin qui n'en finit donc pas de se gorger d'âmes jusque dans ses profondeurs, jusque dans ses ruches, les abeilles finiront-elles un jour d'y butiner !


Il n'existe pas de plus grand sacrifice que celui de mourir, ce qui n'a pas été donné à l'ange fut permit pour l'homme et quand viendra l'heure, mon heure, j'aurais le même geste de gratitude que mes ancêtres, mon âme ne faiblira pas, je partirais dans un souffle chaud, pas même une haleine ne me retiendra, il fera bleu ce jour là.

LYSETTE BROCHU

Lysette Brochu, par son amour et son enracinement solide à la vie, est un arbre sous lequel j'aime me reposer. Ses écrits ont la couleur de son énergie, elle croque dans la vie à pleines dents. (Gertrude Millaire)

Comme un arbre...


photo Maurice Brochu - route vers Domecy-sur-Cure, Bourgogne

j'ai besoin de lumière...

si je suis fermement attachée à mon sol
toujours mariée à la terre
je grandis néanmoins vers le ciel
et je croîs... je mûris en noblesse et en beauté.
 
Par certains jours noirs et sombres de l'hiver
ou certaines heures d'automne noyées de pluie
je travaille à l'intérieur et j'attends…
Nulle protection ni secours
 incertitude maillée d’espérance
je ne commande pas à la nature
je collabore avec elle.

Comme un arbre
j'ai mes saisons
mes forces, mes failles.
 
Continuer...
comme un arbre
ce n'est peut-être pas
maudire les intempéries
mais les accueillir
dormir une courte nuit
pour recommencer le lendemain
apprendre à mourir
pour renaître
continuer...

comme un arbre
c'est peut-être me lever chaque jour
avant le jour
prête à affronter les coups du sort
prête à faire alliance avec ma vie.
 
Je connais misère et grandeur...
le passage de la nuit au jour
la fraîcheur des rivières à mes pieds
et le fruit du labeur de mes bras.
 
Que sais-je encore ?
J'ai appris à m'incliner
à me redresser
à écouter la beauté dans le murmure du vent...
 
parfois ma parure
cache mon écorce fragile
parfois encore je me dépouille
pour mieux me révéler.
 
J'ai le juste orgueil
de donner l'ombre au passant
comme j'ai la fierté
de mes racines profondes.
 
Les marques de mon passé
trahissent mon âge, mes peurs et mes pensées
voyez mes noeuds d'anxiété
mes blessures, branches cassées.
 
Pourtant je m'élève malgré tout
je parfume l'air à ma façon...
le temps me couronne de fleurs
à l'occasion.
 
En vieillissant
je me souviens avec émotion
de l'oisillon que j'ai bercé
et du refuge que j'ai offert
aux jeunes de mon quartier.
 
Mes prières deviennent contemplation
j’apprécie
l'horizon du lendemain… je chante l’oraison.
 
Si l'arbre est fort
il craint toujours le feu et le bûcheron
de même
je frémis devant le mal, la guerre
et plus que tout...
devant l'indifférence, l’insouciance.

 Je porte toujours en moi l’arbre de la croix !
 
Certains arbres
deviennent bois de chauffage
paniers de bois
feuilles de papier
bois d'ébénisterie
copeaux, gîtes, balai neuf ou lambris.
 
Je parie que la Vie fera de moi
une petite feuille de papier fleuri...
j'espère qu'on y écrira
un vers ou deux de poésie...
D’ailleurs, je connais un homme vous savez…
qui pour avoir vécu pleinement un temps de mort et d’agonie
est à jamais ressuscité !

 Lysette Brochu, Regard de foi, août 1988, dans Savoir accueillir, Montréal, Vol. 84, no 4

(Poème en image sur you tube)

Lysette Brochu est membre de l'AAAO, est née en Ontario (Canada), chroniqueuse culturelle pour la Revue de Gatineau et pour plusieurs cybersites (Planète Québec, Club culture, Ecrits...Vains etc.), elle a aussi collaboré à de nombreuses revues culturelles de langue française, notamment Entre-parenthèses, Virages, Traversées, Brèves littéraires, Ancrages, Pastorale Québec, Écrire magazine, Minimag… Elle a plusieurs publications a son actif, tant pour les adultes que pour les enfants. -*Résidence d’écrivain : La Maison Jules-Roy, en l'Yonne, Bourgogne, a accueilli Lysette Brochu pendant deux mois, en octobre et novembre 2010.

Visiter son site

FLEUR
 
Fleur, Slameuse Poétesse, née à Lausanne. Elle vit à Hong-Kong depuis 1995. Je la découvre et elle écrit superbement bien (Michel Ostertag)

Cinq serres de neige pour une paume de feu
 
Cinq serres de neige pour une paume de feu,
J’ai mis des auréoles au bout de mes griffes, gare! Des perles de douceur rouge sang, incarnats incandescents, qui roulent, roulent, sous mes ongles calcinés… D’excès enivrée, je glisse des caresses serties d’inconséquence sur mes ecchymoses. Commotions, comme si tout était traduit en couleurs violentes sous ma chair. Arborescence, les veines charrient le flot des vers… les maîtriser, simulacre de sagesse. Dissimuler le flou, simuler l’exactitude des gestes, précision sensuelle exacte comme une danse sans repentance.
Rythme, les corps palpitent, lignes de fuite qu’un rien ébruite. Dérisoire je suis.
 
Cinq serres de neige pour une paume de feu,
Poursuivre l’inconsistance des dieux. Plaisir des sens, sublimes incohérences. Tout ici fait sens :
Le plus petit soupir entre tes lèvres est un flot de ton être que je saisis au vol, serré entre mes ailes, immatérielles, plurielles paraboles.
L’infini froncement de tes cils si longs, silencieux, c’est toute ton histoire qui se révèle sans mot dire à ma chair livrée mais jamais délivrée.
L’imperceptible froissement du drap sous ta main comme le frôlement des souvenirs de papiers déchirés : je les recollerai sous mes caresses, te ferai UN sous ma tendresse, que l’exubérance de tes sens en ma présence te ramène à la toute première innocence.
La bribe de sourire quand tu sillonnes le sommeil, je la devine dans l’obscur drapé de vermeille, tes mots en écharpe, tes perles, tes voyages, tes envies de lointain… Nuage, nuage, je vole dans tes rêves en silence serein.
L’ombre de ton corps sur un drap nu, seule et mes souvenirs cèdent… Sédentaire impossible, vagabonde insatisfaite, que mes cris brouillés de jouissance scellent nos nuits saphirs !
Cinq serres de neige pour une paume de feu,
saoule de sensations des cieux, souple est ma courbe, serpente entre les cimes, sillonne les abîmes, sinueuse mais sans concession.
Sans parole et sans rémission, je vis toujours à la frange, le démon et l’ange, et si la résille de mes sens s’irise, c’est que l’essentiel est entre les lignes grises… Contes de mes mains, demains en esquisse, pour que l’avant ne bruisse.
 
Cinq serres de neige pour une paume de feu
Qui disent que toute la douceur du monde est dans l’instant offert. J’ai pris mes larmes sur la stupeur des phalanges, j’ai glissé tout le vrai dans le faux de la fange, et j’ai tu pour laisser deviner… Des auréoles au bout de mes griffes, offrandes aux escogriffes, je suis la fumée de ta cigarette, consumée, constamment, le bonheur d’une respiration dans le gris des multitudes.
Je me veux le souffle, l’anti-habitude. La rosée de l’après-hébétude.
Je donne, je donne,
Ne me rends rien,
Que l’infiniment petit du soupir,
L’infiniment grand du désir,
Tellement et si peu,
 
Cinq serres de neige pour une paume de feu.


 
***
Fleur :Publication : Fusion (Éditions du Panthéon,2000)
Un peu plus sur Myspace, (éducatrice, responsable d'association humanitaire: J’ai grandi entre plusieurs pays, le cœur entre la France et la Chine, un pied a Paname, un pied a Hong Kong, et la tête dans les nuages pékinois… des p’tits bouts de moi un peu partout, de Bangkok a Budapest… L’écriture : plus qu’une histoire d’amour, une nécessité, hier, aujourd’hui et toujours...)
Visiter son blog
et la rencontrer sur planeteSlam
Présentée sur Capital des mots
 


        ANGÈLE VANNIER           

Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l'ombre. Merveilleusement" (Paul Éluard) - choix d'andré Chenet.


Présence d'un château
 
Ce château m'appartient ce soir jusqu'à la gorge
Mon cri nourrit la nuit tournante des couloirs
Et les grands escaliers que mes pas interrogent
Et l'ombre d'un passé qui voûte le miroir
 
J'ai refermé sans bruit les ailes des horloges
Et décousu tout un réseau de portes vierges
De mémoire
Mon souffle aiguise une épée morte
et mon regard
Ouvre un bal sous la peau d'un crime par hasard
 
Tous les tableaux que je rencontre me ressemblent
Toutes les rondes que j'allume tournent court
Pourtant je puis ici filer le feu
et tout ensemble
Comme on garde le lit je puis garder la tour
 
Des eaux remuent sous les paupières de la cendre
C'est un étang
Que j'aimerais ne pas trahir avant le jour
Il portera le même nom que moi les nuits d'orage
Puisqu'il surgit du même sang
Du même amour
 

Je convoite l'étang mais je garde la tour
Il ne réglera plus les jeux de ton visage
Sur le vol des canards sauvages
Voyez il a changé de cygne entre deux pages
Pour troubler la face du jour.

(Le sang des nuits. - Seghers, 1966.)

Angèle Vannier, 1917 - 1980. Devient aveugle à 22 ans. Écrit pour Édith Piaf (Le chevalier de Paris), réalise des émissions et des pièces de théâtre radiophoniques. Parmi ses autres recueils : Avec la permission de Dieu (Seghers, 1953) ; Théâtre blanc (Rougerie, 1970) ; Parcours de la nuit (Librairie bleue, 1978) ; Otage de la nuit (essai, Librairie bleue, 1978) ; Poèmes choisis : 1947-1978 (Rougerie, 1990).

Sa biographie sur Wikipedia


              MICHEL OSTERTAG

Michel Ostertag, mon coup de coeur donc... en cette période qui ne devrait être que bonheur... pour ceux qui ont bien vécu les *Noël* de leur enfance du moins ! espérons que cela concerne la majorité des hommes !  J'aime beaucoup ce texte. - choix de Lilas

Noël, Noël

Noël, Noël, je veux des Noëls toute l’année,
des cadeaux, des guirlandes, des boules multicolores,
un sapin, des sapins et puis et puis un bonhomme Noël
et puis aussi une dame-Noël jolie comme un cœur,
qui me ferait des câlins tous les soirs à minuit !
et sans aller à la messe pour cela, comme ça, pour moi seul…
Je veux une hotte pleine d’une quantité de jouets de toutes sortes,
des télés en relief,
des Dvd en haute définition et des caméras en cinémascope,
et un Gps accroché à mon cou pour ne plus jamais me perdre
dans les rues de Paris et une voiture qui roule avec seulement un verre
d’essence aux 100 kilomètres… Je veux tout cela et encore bien des choses
comme un robot qui me ferait le ménage à la maison et aussi la cuisine,
simplement en lui demandant gentiment…. Je veux, je veux, au fond
je ne veux que du bonheur, être en paix avec moi et les autres, tous les autres,
ceux d’ici et d’ailleurs et que m’importe tous ces produits électroniques
si je suis bien avec toi, mon amour, cela suffira pleinement à colorer ma vie,
à me rendre heureux et à rendre heureux tous les gens que j’aime.


Michel Ostertag est membre du comité de la Revue Francopolis, dirige la rubrique Aphorismes et responsable de Libre parole à... La poésie a toujours accompagné sa vie, depuis ses premiers poème d’adolescent jusqu’à ceux d’aujourd’hui..

coup de coeur de
 Éliette Vialle,Gertrude Millaire,
  Michel Ostertag, André Chenet, Lilas

  décembre
2011

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