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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

JANVIER 2015

 
Stétié Salah
Rozema Claude Sterlin
Hébert Louis-Philippe
  Daine Véronique




SALAH  STÉTIÉ


Salah Stétié, poète français, choix Dominique  Zinenberg

I
Si respirer signifie, c'est d'être, dans l'étroitesse et par elle, rougeoiement d'espace, frontière à l'intérieur de soi, du sein de cet intérieur un peu exilée. Je parle d'étroitesse, je parle de frontière. Exilées l'une et l'autre, exilantes. Ce lieu qu'elles déterminent, en fil de couteau, est un lieu nul, mais actif, agissant. La frontière plus loin repoussée, selon le feu léger de la respiration, localise le lieu dans le feu même qui respire. L'invisible couteau, seul le prouve le sang visible – et la théorie non logique du feu, projection du sang illuminée et bougeante, jeux mystérieux jolis sur les parois de la caverne, la dure lampe fixe enracinée au centre conviant à elle, les absorbant cruellement, les jolis jeux du rien, pour toujours. Le feu abstrait le sang s'il est de toute façon garanti par le sang. Le feu – le sang coulant ailleurs – n'est du sang réel que l'image, image par qui le réel est réellement dévoré. Cette image dévorante approche du réel à pas de néant. Quelle réalité? Quelle négativité ? l'une et l'autre indissolublement liées, - l'une se nourrissant de la simple probabilité de l'autre...

VI
Ma lampe, mon amour.
Je te revois dans ce jardin de feuilles. La lune y est légère. Et toi, d'oiseaux tes mains. Amande immatérielle, où es-tu, ma très nue ? Et ce violon de rien, posé sur un très pur lit, fils de la pierre. Nous dormirons ensemble. Entre nous ce violon démesuré.
Et qui sera détruit.
Ta lumière enfin enlacée à la mienne comme sont, de cuivre et corde, les objets de la mer. Le temps va se lever. Je n'oublie rien de cela qui nous fut dit entre dentelle et fruit. Ni je n'oublie, quand eut cessé l'orage, le retrait de ta rose chaude, jusqu'aux larmes.


tiré de
Si respirer, (Fata Morgana 2003) 14 textes


 HÉBERT LOUIS-PHILIPPE

 Louis-Philippe Hébert, vous vient du Québec, choix Gertrude Millaire
Quelques extraits de son roman-poème, Marie Réparatrice
réflexion sur le bien, le mal, la vie, la mort.

Ce matin j'ai réparé un chat
ce n'était pas très difficile
le chat s'est laissé faire
il était tout mou

un accident ça arrive vite
la rue était déserte
l'auto ne s'est pas arrêtée
elle a continué tout droit
les autos ne s'arrêtent pas pour un chat
ni pour les chiens d'ailleurs
les autos n'ont pas de temps à perdre
avec un chat écrasé

......

............
.(scène père et mère).

il criait qu'on lui empoisonnait l'existence
qu'il n'arrivait plus à respirer
que même l'air était vicié dans la maison
que si ça continuait
il allait mourir asphyxié
ma mère a rit
elle a dit que c'était nerveux
son problème de respiration
mon père était furieux

alors quand j'ai entendu un gros boom
comme une porte qui claque
ou qui bat au vent
passe que1 je l'ai entendue deux trois fois de suite
et qu'une chaise est tombée
j'ai eu peur
peut-être que la télévision
était trop forte
et que ça criait dans l'émission
puis la porte qui mène au garage s'est refermée
il a eu le bruit de l'auto
dans le garage
j'entendais bien le moteur
et je me demandais ce qu'il y allait se passer
il ne se passait rien pourtant

j'ai décidé d'aller voir
la porte de ma chambre ne voulait pas s'ouvrir
je me suis concentré
encore un petit effort
elle a fini par céder
......

maman était couchée
sur le plancher de la cuisine
je me suis approchée
de ma mère
qui restait étendue
sans bouger

.....
.....................

puis je suis allée dans le garage
j'ai essayé d'ouvrir la porte d'auto
elle était verrouillée de l'intérieur
j'ai fait un gros effort
et elle s'est débarrée
.....
......
j'ai enlevé les clés
le moteur s'est arrêté
mon père dormait
je l'ai laissé dormir
.....

je suis revenue à la cuisine
ma mère s'est réveillée...

quelques extraits du roman-poème, Marie Réparatrice
de Louis-Philippe Hébet, Les Éditions de La Grenouillère.
............
1. (expression québécoise fréquente pour "parce que" )

Visiter son site WEB

Voir aussi article dans la rubrique - Vue d'ailleurs


ROZEMA  STERLIN Claude

Claude Sterlin Rozema, choix Éliette Vialle

[...]

une ville couturée d'absences
où le visage de chacun
assoiffé d'un ailleurs ...
erre sur ses trottoirs
chacun parle des problèmes du monde
des matelas de têtes
des corps en suaires de dentelles
des fosses communes en marelles
une ville résumée à quelques barbelés
servant encore d'antennes à la peur
d'oreilles aux malfrats inconnus

[...]

et des amas de têtes
scandaleusement
font houle
grosse houle vraiment absurde
et quelques chiens enragés
réunis au loin
avancent en colonie
se soulèvent
et respirent
les poitrines béantes
dans la nuit
une ville avec des regards de rats musqués
des mines de chauve-souris
donnant la fièvre
pendant des heures
tantôt avec égarement
tantôt avec des larmes de condors
une ville où chacun raconte la Mort
en douceur
et en cruauté dans un nid de fourmis rousses
sur les bords de ses routes
une ville sujette aux questions d'épingles
avec des morceaux humains
tentant d'avancer
en même temps
pendant des années
et des siècles
pour fasciner le serpent
qui siffle misère à leur misère
une ville aux sons du tambour
et de trompettes
pour gagner son saoul
à chaque pleine lune
une ville où chacun est né pour être dupe
toujours à la merci d'un tournant

[...]

ville-voyage-sans-valises

(Claude Sterlin Rozema, 12 décembre 2014, 22h)

  
  DAINE VÉRONIQUE

 Véronique Daine,  choix Dana Shishmanian
Les textes ci-dessous composent dans ma réception un ensemble musical que j’intitulerais « suite pour feu et lumières ».


illustration Carine Carlier

rose là
qui se donne
et qui donne l’amour la douceur
la très ancienne douce douceur de l’amour
et feu
et faims et fatigues
dans l'oeil du feu

***

la lumière allume ses feux

sur le mur
et les feux que la lumière allume sont des feux très
doux et très silencieux
des feux qui nous regardent
puis la lumière les reprend et les porte plus loin
et mème loin, le regard des feux est encore très doux
et très silencieux
c'est le regard de qui sait sa disparition prochaine.
Et y consent.
Et l'aime aussi.
L’aime pour ce qu’elle est, pour la disparition qu’elle est.
Et se laisse lentement dévorer par elle.
Et se répand en elle.
Répand sa propre substance dans la substance de sa disparition.
Et ce n’est peut-étre que cela. Ce regard des feux,
ce n’est peut-ètre rien d’autre
que le regard de ce qui se répand en sa propre
disparition.

***
un matin dans cette immobilité
qui regarde venir
la lumière,
qui regarde cela de la lumière qui est venant,
et qui vient, sans cesse, qui jamais ne se retire
qui continue à venir bien au-delà de nous,
bien au-delà de nos corps
qui n’existent qu'à ètre traversés,
on pense à ce lieu de nous qu’on ne sait pas rejoindre,
on pense à ce lieu
de nous où habiter a lieu, où habiter a lieu comme
hors de nous
et jour hors de nous,
commencement de jour hors de nous avec moutons
posés sur l’herbe et éclairage public
la nuit n’existe pas, c’est la peur qui existe
la peur la perforation, et la lumière
qui ne cesse de vieillir

***

et puis la nuit
un matin
le passage d’un peu de nuit dans le commencement
du jour comme un orage ou une migration
ou comme une douceur d’eau
sur la paupière toujours un peu malade
de l’enfance
et comme un savoir aussi
qu’on garderait de cette nuit des choses
comme un comprendre
« un comprendre non comprenant »

et puis les choses affairées au recommencement
de vivre
les choses affairées à lécher leur nuit
à refermer leur rose

et puis on
habité par plus rien
plus mème un peu de lumière les matins

on
dans le désceuvrement du jour loin
très loin de la vie amoureuse

on vide
plus vide que le vide
et plus vide encore avec ses yeux
qui reniflent la lumière
ses yeux qui reniflent l’orifice de la lumière
pour y trouver un peu de rose à vivre encore

on
mange
lentement
la matière de la peur
fichée en sa propre matière

on
mange
l’ébranlement de la nuit dans le coeur
comme un couteau carnivore

on
mange
les lamelles de lumière qui passent
entre les rideaux déchirés
et atteignent la pupille antérieure

on
mange

cela qui était d’un interminable venir
et venait et incendiait et on mange aussi
l’incendie et la dévoration
oui c'est cela : on
mange
l'incendie et la dévoration

***

Je suis heureuse d’avoir découvert cette poésie,
merci au Mercredi du poète !


(extraits du recueil R. B, éditions L’herbe qui tremble, 2010, pp. 17-22)

 * Fiche de l'auteur et Présentation de ses écrits  




 
  
Coup de coeur
 
Dana Shishmanian,  Éliette Vialle,
Dominique Zinenberg,
Gertrude Millaire,  
Francopolis janvier 2015

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