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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.



Poèmes - Coup de Cœur du Comité

OCTOBRE 2016

FRANÇOIS  TEYSSANDIER
NICOLE VOLTZ
ANTOINE CHOPLIN
LÉON PAMPHILE-LE MAY

ARCADIE SUCEVEANU

HENRY BAUCHAU

 

 

FRANÇOIS  TEYSSANDIER

 

François Teyssandier, choix Éliette

Plus aucune voix
De par ce monde clos
Le silence partout immobile
A ne plus battre dans un coeur
Blessé par le sang noir
D'une infinie tristesse

*


Soleil qui se repose de ses voyages
Sur les rochers abrupts
Et y cherche un peu de fraîcheur
Mais le ciel écorché par la lumière
Ne peut se mettre à l'abri des vagues
Il est comme le sable sous tes pieds nus
Bleu à l'infini et brûlant même
A l'ombre des arbres qui s'inclinent
Jusqu'à toucher ton front

**

Tu voudrais que les épis de blé
Soient aussi bleus que le ciel
Et que les arbres aient le même pelage
Fauve ou noir que ces chats errants
Abandonnés par le soleil
Dans des rues désertes

      
François Teyssandier, auteur de plusieurs recueils -
Voir Libre parole... juin 2016

 

NICOLE VOLTZ


 Nicole Voltz, choix François Minod

          Monochrome

Bleu je suis pétrie de bleu gris marbré des orages en mer
bleu azurite froid et retiré au fond des grottes du passé
    
Il court sous ma peau le bleu dur et criard des sécheresses
Anciennes  le bleu dur de la fin des étés africains

Je serais bien le drap bleu de plomb étendu pesant sur la plaine
et sur elle couché je l’épouserai sans témoin pénétrant en son
centre et bleu j’y resterai

Bleu je serais bien l’enfant bleu dont tout le sang se fige et
reflue dans les yeux durs saphirs de l’enfant qui ne naîtra jamais
resté au pays des ombres

Bleu je serais bien le fils né de la mer dans l’absence et le
manque celui qu’on attendait qui n’est jamais venu.

           Un autre silence
        
       
Partout la plaine comme un vieux drap jeté.
        Tout près la ligne des cyprès, elle protège.
        Derrière on sait les marais, les pacages à troupeaux
        La plaine.
        La plaine marécageuse.
        La terre instable.
        Ce monde flou où ciel et eau se touchent.

        C’est un soir d’été. Les hirondelles en tournoyant
        Jettent leurs cris croisés.

        Sur la route trois camions militaires sont passés.
        Elle, cachée dans le canal, les voit.
        Elle entend les cris.
        Elle ne bouge plus.
        Elle entend les rafales.
        Elle ne bouge plus.
        Elle écoute un autre silence.

  
                                                             Nicole Voltz in Entailles,

Editions du Tansit, 2012

 

Nicole Votz, auteur de plusieurs recueils de poésie et de nouvelles. Elle a créée avec Anne Roche le diplôme universitaire de formateur en Atelier d’Écriture à l’Université d’Aix - Marseille. Elle a également écrit en collaboration avec Anne Roche, L’Atelier d’Ecriture aux Editions Bordas, réédité à trois reprises.

 

 

ANTOINE CHOPLIN


  Antoine Choplin, choix Dominique Zinenberg



          
La pierre
         porte le verbe des années

         et c’est à peine si se polit la phrase
         sous le couteau
         salé
         des érosions

         la cohue continue de bruire
         et les marchés aux chevaux

         aigus encore
         le martyre insolite des saints
         et la danse des grandes heures
         et les manoirs où l’on naquit

         la pierre
         porte le verbe des années

         à quoi j’appose un instant la joue

         pour une virgule de maintenant

Antoine Choplin, né en 1962, est poète et romancier. Il est l’organisateur du festival de L’Arpenteur, en Isère (spectacle vivant et littérature). Il vit près de Grenoble. Il est l’auteur d’une dizaine de romans dont La Nuit tombée (2012), Apnées (2009), L’Impasse (2006), Léger fracas du monde (2005) et Radeau (2003, prix des librairies Initiales), aux éditions La Fosse aux ours et Le Héron de Guernica (2011) ainsi que Cour Nord (2010), aux éditions du Rouergue.
Il a également travaillé avec le photographe Francis Helgorsky pour Cairns (La Dragonne, 2007)
Les cargos glissent à l’horizon des rues a été écrit lors d’une résidence d’écriture au Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.




 

 LÉON-PAMPHILE  LE MAY

         
     
Léon-Pamphile Le May, poète québécois (1837-1918) choix Gertie


A un vieil arbre

Tu réveilles en moi des souvenirs confus.
Je t’ai vu, n’est-ce pas ? moins triste et moins modeste.
Ta tête sous l’orage avait un noble geste,
Et l’amour se cachait dans tes rameaux touffus.

D’autres, autour de toi, comme de riches fûts,
Poussaient leurs troncs noueux vers la voûte céleste.
Ils sont tombés, et rien de leur beauté ne reste ;
Et toi-même, aujourd’hui, sait-on ce que tu fus ?

O vieil arbre tremblant dans ton écorce grise !
Sens-tu couler encore une sève qui grise ?
Les oiseaux chantent-ils sur tes rameaux gercés ?

Moi, je suis un vieil arbre oublié dans la plaine,
Et, pour tromper l’ennui dont ma pauvre âme est pleine,
J’aime à me souvenir des nids que j’ai bercés.

Léon-Pamphile LE MAY   (1837-1918)

tiré du site Canada Archives-Poésie du monde

 

 

Arcadie SUCEVEANU


      Arcadie Suceveanu, poète moldave – choix Dana

Extrait du remarquable groupage  « Dossier roumain. République de Moldavie », qui réunit dix poètes représentatifs de cette ex-république soviétique et ancienne terre roumaine, dans la présentation et la traduction de la poète Linda Maria Baros, rédactrice en chef de la revue La Traductière (n° 34, juin 2016 ; le poème reproduit ici figure à la page 99).

 

Le monde dont on ne peut s’échapper

Parfois Ta main invisible

me connecte à l’ordre des choses d’avant les mots

avec une petite clé vaporeuse

elle dévisse mon âme usée, ma pensée figurative,

mon cerveau perverti

 

Et, tout à coup, l’homme que j’habite

se voit remplacer, dans son propre corps,

par l’homme d’avant les mots

 

La réalité à l’entour cède peu à peu, devient

pure, comme une feuille blanche de papier

Sur les ruines du monde, mon œil

construit des palais superbes

 

Ayant échappé au temps, ma vie avance

et Toi Tu la remplis,

mon cœur rouillé se charge de sentiments

comme une branche de bourgeons

objective, ma bouche dit une sorte de mots,

une sorte d’énoncés primordiaux, intraduisibles,

dans lesquels pourrait se coaguler

un autre monde…

 

Mais, au même moment, d’entre les nuages,

Tu glisses hâtivement Ta main délicate

et me mélanges à nouveau

à celui que je suis

et me reloges, de manière confuse, précipitée,

dans ce monde mien

dont on ne peut

s’échapper



HENRI BAUCHAU


      Henri Bauchau – choix Mireille

Extrait de  L’Ecriture à l’écoute, Actes Sud

 

Ce n’est pas moi qui vais vers le poème, c’est lui qui vient vers moi. Cela commence par un son, un rythme, une image et j’ai soudain le désir, l’espérance d’écrire un poème. Je ne sais d’où surviennent ce sensations inattendues, je vois seulement qu’elles sont en mouvement et que pour les retenir, je dois me faire mouvant comme elles. Je m’avance dans la pesanteur et la liquidité des mots, j’entre dans leur jeu. J’entrevois que si je parviens à quitter mes chemins battus je pourrai, par attirances et dissociations, assonances et dissonances découvrir entre eux des convenances et des ruptures qui me sont encore étrangères.

Je me sens guidé par un rythme d’abord confus mais auquel je dois me conformer, par un son de voix que je reconnais peu à peu pour le mien lorsque j’ai la fermeté suffisante pour l’attendre et pour l’écouter.

C’est un moment de bonheur où je communique avec une profondeur, avec un immense passé, tout en me dirigeant, de façon imprécise mais certaine, en avant. Ce bonheur, ce leurre offert à mon espoir par un amour véritable, mais qui doit demeurer ignoré, est nécessaire pour que je continue à poursuivre mon entreprise ou mon voyage. Car entre-temps j’ai plus ou moins perdu de vue mes perceptions initiales. L’esprit n’est plus orienté vers un but mais par le désir de s’enfoncer- et peut-être de se perdre- dans une matière. Matière verbale, matière d’images, de sons et de sens. Matière de l’écriture elle-même qui est toujours pour moi matière féminine. Cette matière attire l’esprit, le capte, le lie à l’œuvre, à la table de travail et à la nécessité d’un intense loisir qui le force à mettre douloureusement entre parenthèses ses autres préoccupations. La poésie dévaste la vie courante, la dénude et déborde le poète. Le poème souvent perd le souvenir de la source et la direction de l’estuaire. Il m’amène parfois à vivre, à comprendre, à dire tout autre chose que ce que je voulais exprimer en commençant. A perdre la vision première, initiante ou initiatique qui devait m’aider à me découvrir, à retrouver l’objet perdu et à inventer, au-delà de sa banalité, la vérité de l’existence.

C’est le moment de la patience, de la ténacité, d’un travail qui semble devenu vain. Il faut sonder, remettre en question, attendre, laisser se faire les gouffres, les ponts, les pertes et les liaisons nécessaires. J’écris le poème de jour mais il se fait de nuit. C’est hors du travail de la conscience que se font les véritables rencontres, découvertes et incendies de mots. La difficulté, insoluble le soir, se dénoue le matin parce que, sans que je le sache, « quelque chose » y a travaillé toute la nuit. (…)

Le poème va vers la beauté, l’amour, l’esprit de célébration mais il se heurte, il doit se heurter aux puissantes pulsions du monde comme il va et à l’imprévisible dérision de l’événement. Le poème doit donc surmonter ou s’engloutir, affronter l’opacité du réel avec les outils infirmes et les instants d’allégresse de l’écriture.

 

 

 

Coup de cœur  des membres
  Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
   Dominique Zinenberg, Dana Shishmanian
François Minod, Mireille Diaz
Francopolis octobre 2016