GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011

   Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture...etc.

Ce mois juin 2016

  Libre parole à… FRANCOIS  TEYSSANDIER

Quand et comment avez-vous rencontré la poésie ? Qui vous a inspiré… etc.
Éliette Vialle

 

François

J’ai commencé à écrire à l’âge de 10 ans, après avoir découvert par hasard le recueil de poèmes de Paul Eluard L’Amour la poésie dans la bibliothèque de mon père. Je suis tombé sur le vers devenu célèbre : « La terre est bleue comme une orange ». Pourquoi ce vers a-t-il déclenché en moi l’envie irrépressible d’écrire de la poésie ? A 10 ans, on ne sait pas encore le pourquoi de l’écriture. Encore moins le comment. Il n’empêche. Dès le lendemain, j’ai écrit mon premier poème dans un cahier d’écolier. Je n’ai pas arrêté depuis. Au départ, les mots étaient un peu comme ces lego que les enfants empilent pour s’amuser. Ils me permettaient brusquement de m’abstraire du quotidien scolaire, et d’échafauder en toute liberté, loin du regard de mes parents, des constructions verbales fantasques, ô combien balbutiantes et maladroites bien sûr, mais qui me donnaient l’impression, dans la solitude de ma chambre, de sortir du monde réel pour me réfugier dans un monde inconnu dans lequel mon imaginaire n’avait pas de limites. Je me suis alors littéralement plongé dans la poésie, à corps perdu, avec la naïveté et la fougue d’un enfant plutôt réservé.  J’écrivais plusieurs poèmes par jour, en proie à une frénésie d’écriture que j’étais bien incapable de contrôler. Je n’en avais d’ailleurs aucune envie. Au fil des années, le patient travail sur les mots, sur les rythmes, sur les images, sur la musique à la fois retorse et jubilatoire des vers libres, ont conforté cette envie d’écrire. Mon écriture est devenue - du moins je l’espère ! - plus précise, plus structurée, au fur et à mesure que je prenais conscience de ce que j’écrivais, et du long chemin de réflexion que je parcourais pas à pas, sans me presser, mais avec la volonté farouche de toujours aller de l’avant. Au sortir de l’adolescence, comme dans une sorte de prolongement qui m’apparaissait évident, j’ai commencé à pratiquer l’écriture théâtrale, dès mon entrée au Conservatoire d’art dramatique de Bordeaux, parallèlement à des études de langue et de civilisation italiennes à la Faculté des lettres de cette ville. Après mon service militaire, je suis « monté » à Paris, comme disent les provinciaux,  car je voulais à tout prix tenter l’aventure théâtrale, pour devenir comédien professionnel. Je l’ai été pendant une quinzaine d’années, en connaissant des hauts et des bas. Ensuite, après la quarantaine, je me suis orienté vers l’enseignement. A ce jour, j’ai écrit sept pièces, dont trois ont été publiées à L’Avant-scène théâtre. Deux ont été jouées en France et à l’étranger. J’ai moi-même mis en scène et interprété une de mes pièces Le Temps de solitude au Théâtre de Plaisance à Paris.

 

Mon premier recueil de poèmes, La Musique du temps a paru alors que j’avais 29 ans. J’ai ensuite, après dix ans de silence, publié le second recueil, Livres du songe aux éditions Belfond, dans une collection dirigée conjointement par Alain Bosquet, Jean-Claude Renard et Robert Sabatier. Ce recueil a obtenu en 1984 le prix Louise Labé. Mais ce prix n’a rien déclenché de particulier. Aucune critique dans la Presse nationale ! Pas la moindre invitation à participer à des lectures ou à des festivals de poésie !  J’ai compris que les récompenses ne servaient pas à grand-chose, si ce n’est à satisfaire temporairement l’ego du lauréat. A la suite de ce demi échec, sans trop me l’expliquer, je n’ai plus rien publié pendant trente ans, tout en continuant  à écrire malgré tout. Ce n’est qu’en 2004 que j’ai recommencé à publier. Dans des revues. Par choix. Nous savons que les revues, financées ou non,  ont toujours joué un rôle primordial dans la diffusion de la poésie. Sans elles, beaucoup d’auteurs, plus ou moins jeunes, n’auraient sans doute pas vu le jour. Et le milieu des revues me plaisait assez, et continue à me plaire. J’ai fait des rencontres intéressantes, que ce soit au Salon du livre, au Salon de la revue ou au Marché de la poésie. Certaines sont devenues amicales. Bien sûr, comme tout auteur, j’ai « essuyé » ( !) quelques refus, mais assez peu somme toute. Beaucoup de revues sont « ouvertes » à des formes d’écritures différentes. Il faut les en féliciter. Quelques-unes, par contre, sont plus « fermées », c’est un doux euphémisme, et c’est bien regrettable pour les poètes…

 

Après des publications dans une quarantaine de revues en France et en Belgique, j’ai publié en 2014 un troisième recueil de poèmes en prose, Paysages nomades, aux éditions Voix d’encre dirigées par Alain Blanc. Sur la lancée, un quatrième recueil Equilibre instable de la lumière a vu le jour début 2016 aux éditions du Cygne. J’ai trois autres recueils inédits dans mes tiroirs. Peut-être y resteront-ils à jamais ? L’édition n’est pas simple. Cela prend du temps. Il faut chercher – et trouver - des éditeurs sérieux, enthousiastes, et prêts à financer, le plus souvent à fonds perdus, des œuvres qu’ils aiment et veulent défendre malgré tout. Car la poésie n’est pas rentable pour un sou, tout le monde le sait ! Et très peu de gens achètent des recueils. .Mais, en ce qui me concerne, on ne peut pas dire que ma production poétique encombre beaucoup les étagères des librairies (du moins celles, assez rares hélas, qui acceptent de diffuser des recueils de poésie).

 

Par ailleurs, j’ai écrit une cinquantaine de Nouvelles qui ont été publiées dans des revues en France et au Canada, ainsi que dans plusieurs recueils collectifs. J’aime écrire des nouvelles car ce genre littéraire, pas très en vogue en France, exige à la fois de l’originalité et de la concision. Par contre, je me sens incapable d’écrire des romans. Trop paresseux, sans doute ! Mais, plus sûrement, par manque de talent.

 

Pour moi, la finalité de l’écriture n’a jamais été dans la publication à tout prix. Je pense même que l’on écrit et publie toujours trop. Chaque poète devrait être très exigeant quant au choix de ses textes proposés. Si l’on écrit beaucoup de poèmes, il faut aussi beaucoup en supprimer. Mais il s’avère, je crois, nécessaire d’oser se confronter un jour ou l’autre à la lecture de personnes extérieures qui accepteront ou refuseront d’entrer dans l’univers que proposent vos poèmes. Certes, on peut écrire pour soi seul, dans l’espace calfeutré de son bureau, à l’abri du monde extérieur, sans se soucier des autres, mais il arrive toujours un moment où l’on éprouve l’envie (pour satisfaire son ego ?) de proposer ses textes et d’en faire circuler un certain nombre, ne serait-ce que pour avoir un (hypothétique) retour de lecture, même si les « grands médias » ignorent ou dédaignent la plupart du temps la poésie, surtout si elle est éditée par de « petits » éditeurs (à leurs yeux, du moins !)

 

J’ai lu, et continue à lire, beaucoup de poètes anciens et modernes. Certains m’ont très certainement influencé, ce processus est normal et inévitable, mais il ne sert à rien de citer des noms (les exclus de la liste feraient grise mine, les vivants du moins, et pourraient user de représailles à mon égard !!!) car ce ne sont pas obligatoirement les poètes les plus célèbres ou les plus connus qui m’ont touché. Même dans des poèmes qu’il m’arrive de considérer comme médiocres, il peut y avoir soudain deux ou trois vers qui déclenchent en moi l’envie d’écrire. La poésie se nourrit d’étincelles, et elles peuvent jaillir à tout moment, même dans des œuvres qui nous paraissent mineures.

 

Je me garderai bien de dire quel est, ou doit être, le rôle de la poésie aujourd’hui. Quelques-uns l’ont fait, le font encore, avec plus ou moins de réussite. Difficile d’éviter les banalités ou les redondances. Seul Yves Bonnefoy, aujourd’hui, m’enchante vraiment par l’acuité de sa pensée, dans des livres d’une haute tenue intellectuelle Mais comme je suis très loin d’avoir son intelligence, sa culture, et sa subtilité d’analyse,  je me refuse à énoncer des lieux communs qui ne feraient certainement pas progresser le débat. Pourquoi écrit-on ? Et à quoi sert la poésie ? Finalement, je n’en sais trop rien. Je suppose que j’écris parce que je ressens en moi un manque (mais lequel, de façon plus précise ?) qui me pousse à ajouter quelque chose qui n’existe pas encore dans le monde qui m’entoure, non pas pour le changer en profondeur, mais peut-être seulement pour l’enrichir un peu et lui accorder quelques éclats de lumière et de beauté. Mais ces ajouts successifs ont-ils une utilité, en fin de compte ? Embellissent-ils notre être, notre âme ? On peut l’espérer, sinon à quoi bon écrire ? Mais je pense, de façon très prosaïque, qu’il ne faut rien attendre de la poésie. On sait qu’elle est là, tout autour de nous, qu’elle rôde comme une ombre sans jamais chercher à s’imposer. Elle se lit, se dit, se déclame, se profère, se chante…Chacun peut l’accueillir à bras ouverts, la repousser avec dédain, ou l’ignorer royalement. Qu’importe ! Contrairement à ce que pensent certains, je ne crois pas que la poésie sauvera le monde, (elle l’aurait déjà fait, non ?) car elle n’est pas faite, me semble-t-il, pour ça. Elle n’a pas de mission à remplir. La poésie n’est pas une religion. Sa seule finalité, pour moi, c’est d’exister, en dehors des modes, des courants littéraires, dans sa diversité, sa richesse, et sa liberté totale, sans obéir à des dictats imposés par on ne sait trop quels cercles autoproclamés. Mais je peux, bien sûr, me tromper et j’admets des opinions différentes. Et je suis bien conscient qu’en me défaussant de la sorte, je risque de décevoir beaucoup de personnes par mes doutes et mes incertitudes. Il n’empêche. La seule chose que je puisse dire, c’est que j’écris simplement par nécessité profonde, pour tenter de donner un peu plus de lumières à mes propres ténèbres, et aussi parce que j’aime viscéralement les mots (une addiction ou un vice peut-être ?), les constructions mentales qu’ils permettent de bâtir à l’infini, patiemment, jour après jour, pour tenter de me retrouver sans doute au plus près de moi-même, (mais y parviendrai-je vraiment avant le bond final ?) et pour avancer pas à pas, d’une démarche hésitante, en équilibre instable sur le fil énigmatique de la vie, vers cet inconnu qui nous attend tous, c’est-à-dire vers la mort inéluctable.

François Teyssandier est né en Gironde et vit à Paris
A publié 3 Pièces à L'Avant-scène théâtre
et des Nouvelles dans une quarantaine de Revue en France, Belgique et Canada
et trois Recueil de poésies dont entre autres,
- Livres du songe (éd. Belfond, prix Louise Labbé)
- Equilibre instable de la lumière, éd. du Cygne


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- François Teyssandrier est l'invité au Salon de lecture (juin 2016)
http://www.francopolis.net/salon/TeyssandierFrancois-Salonjuin2016.html



 



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