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Archives : Vue de Francophonie

 


Mai-Juin 2019

 

L’Académie poétique et littéraire de Provence 

Prix au Grand concours littéraire du monde francophone 2019 :

Sonia Elvireanu, Le silence d’entre les neiges

 

Lecture du recueil par Isabelle Poncet-Rimaud (*)

 

 

« Où te retrouver sur la voie de la solitude ? »

 

Recueil de la douleur et de la quête, de la vie encore, de la recherche « enivrée par l’amour » de l’être aimé disparu dont on veut garder l’épaisseur, les mots de Sonia Elvireanu laissent le lecteur bouleversé, traversé d’amour et de détresse, baigné de la lumière soyeuse de cette écriture.

Une écriture à l’éclairage tamisé où le blanc, le bleu et le pourpre absenté créent un arc-en-ciel, lien entre ciel et terre, visible et invisible, vie et mort, présence et absence.

Brûlure du silence qui attise ou apaise, « signes glissés » de l’absent dans les « écorces » du monde, Sonia Elvireanu étourdie de douleur continue son chemin dans un temps « renversé ». L’âme, le corps, le ciel, l’éternité ont changé de sens.

Désormais, il faut donner nom aux souvenirs pour que le réel « prenne corps ». Il y a dans cette souffrance infinie, une certaine douceur que seul permet l’amour véritable, comme une berceuse secrète qui caresse l’âme au creux de l’être, se nourrit chaque jour d’une présence pressentie, ressentie. « Seul en moi tu vis à chaque instant » écrit la femme meurtrie.

« Le visage défiguré du monde dans le miroir de la mort » devient cette « croix allumée au creux de la main », flamme qui guide malgré tout dans la nuit de la solitude, de l’amour à tout jamais perdu.

Par son écriture d’une grande pureté, aux mots simples et forts, inscrite dans la pierre du cœur, celle qui « se tait, ne gémit pas, avale son cri désespéré », Sonia Elvireanu nous entraîne sur un chemin douloureux, certes, mais où se dessine par la puissance de sa poésie une certaine réconciliation avec la vie. Comme si « les ombres de l’arc10 en-ciel » pouvaient permettre de rendre corps et nom à l’être disparu, devenir psaume d’une éternité recrée, offrande de vie.

L’écriture sobre de Sonia Elvireanu sait admirablement rendre les méandres de l’âme, la sidération devant le malheur absolu, la détresse d’une solitude qui met le ciel en lambeaux, la plaie creusée par la bêche de l’absence dans les couleurs et les odeurs d’un monde jadis partagé devenu soudainement étranger.

Le temps ne se dit plus du présent ni de l’avenir. Il est ce passé recomposé par l’amour qui tisse trame et relie : « fais-moi découvrir que tu vis/ quelque part dans un autre temps,/ que le paradis ne sèche pas en moi,/ que je le ressente sur la terre. » Car Sonia Elvireanu reste vivante, « une ronce » que « le vent balance », mais « n’arrache pas » et qu’abreuve « l’eau vive » de l’amour vécu avec Mirel, son époux.

Recueil de la solitude habitée, ces chants d’amour et de douleur atteignent le lecteur au plus profond de son être.

Par la grâce des mots de la poétesse qui « germent » en lui comme « les cailloux » que Sonia Elvireanu a « replantés dans son jardin », le lecteur s’incline devant la pudeur de cette écriture toute frémissante de passion et que voile la soie d’une lumière intérieure.

 

Isabelle Poncet-Rimaud

 

(*) Nous reproduisons ici la préface du recueil. Rappelons qu’il a fait l’objet dans notre revue d’une note de lecture due au poète belge Michel Ducobu.

Nous signalons par ailleurs une analyse du recueil par le poète, écrivain et critique haïtien Guy Cetoute sur Facebook :

https://www.facebook.com/guy.cetoute1: introduction, chapitre 1 ;

https://www.facebook.com/search/top/?q=guy%20cetoute&epa=SEARCH_BOX: chapitres 2, 4, suite & fin.

Rappelons aussi que Sonia Elvireanu est une personnalité marquante de la francophonie dans l’espace est-européen, bien connue désormais à nos lecteurs, notamment par ses notes de lecture dans la rubrique Francosemailles et ses traductions dans D’une langue à l’autre. Elle vient d’être également lauréate du Prix Naji Naaman 2019 pour la créativité en poésie, décerné par Naji Naaman Foundation of Culture du Liban.

Tout en félicitant l’auteure pour la prestigieuse « attestation de haute valeur littéraire » qui lui a été attribuée par l’Académie de Provence, à la suite du Grand Concours littéraire du monde francophone 2019, pour son recueil Le silence d’entre les neiges, nous en profitons pour extraire ici quelques poèmes parmi nos préférés de ce livre exceptionnel, si percutant et si authentique tant dans son vécu que dans son ressenti poétique. D’une grâce sombre et envoutante, s’accumulant par touches fines successives à la manière des croquis ou des haïkus, sans ostentation mais avec un entêtement de fugue – l’art des variations chromatiques sur le mode d’un perpétuel ostinato –, l’écriture de l’absence se transforme en une présence aussi subtile qu’indélébile : celle de l’être de parole, le Poème.

D. S.

*** 

 

 

La solitude à l’aube

 

Les instants, le tourbillon de neiges parmi

les ténèbres en moi,

l’épouvante faisant s’écrouler

les cailloux sur ma montagne,

le brin d’herbe contre lequel je m’appuie

sur la racine de l’arbre,

le pont au-dessus de l’abîme entre les mondes

l’être s’ébat pour prendre corps et nom,

l’absence, le lierre dans les matins solitaires,

drapant la solitude à l’aube.

 

 

Le thé aux pavots

 

La montre s’est détachée du mur,

les aiguilles sont parties à la recherche

d’un monde où l’on ne ressent plus son emprise,

des fleurs de pavots ont envahi

le cercle blanc, satiné,

leurs pétales coulent dans la tasse de thé,

d’où tu avales la journée

pour la partager avec moi,

tu la fragmentes en miettes,

à l’infini, dans la tasse bleue

dans laquelle tu me caches

jusqu’à la tombée de la nuit.

 

 

Le Levant solitaire sous la neige

 

Le champ de pavots :

le Levant solitaire nous cherche,

les pavots brûlant au soleil,

leur appel fait frémir,

seule à la fenêtre,

un champ blanc,

des traces de pavots sur la neige,

et l’attente,

des flocons blancs, silencieux,

se posent sur le blanc de la plaine,

et l’attente :

le Levant solitaire sous la neige.

 

 

Entre le silence et la brûlure

 

Le silence de la feuille calme ma brûlure,

des grappes de pensées troubles s’accrochent au vent,

elles flairent les signes glissés dans les écorces,

les murs, au Couchant étrange,

les yeux plongent dans l’azur

embrumés par le regard,

je languis entre le silence et la brûlure,

l’âme égarée.

 

 

La trace pourpre

 

Les paroles s’enfoncent dans le blanc,

des flèches de mouettes au large

percent les vagues vert bleu,

au dos des poissons monte la douleur :

une trace pourpre dans le sable brûlant.

 

 

Brûlure

 

Je suis une ronce dans la plaine,

le vent me balance, mais ne m’arrache pas,

le soleil m’étouffe, mais ne me brûle pas,

seuls les souvenirs m’arrachent et me brûlent,

me dévorent dans la solitude.

 

 

Psaume

 

Les ombres ne prennent pas corps,

ne se laissent pas embrasser,

parfois il lui apparaît dans le rêve,

elle le recherche encore,

lui murmure des paroles oubliées,

il sourit en descendant

à travers les vignes vertes,

il attend l’instant

leurs paupières se touchent :

la lumière chante,

s’anéantit dans le psaume.

 

 

Les arcs-en-ciel du soir

 

Les pluies ruissellent

telle la pensée éclaircie,

en haut, sur la muraille de la citadelle,

le monde silencieux d’en bas

s’élève en arc-en-ciel,

la ceinture de Dieu,

le lien saint entre le ciel et la terre

se multiplie pour bénir le soir

dans les couleurs du temps inhabité.

 

 

Le sentier aux papillons

 

Comme un nuage dans l’herbe en flammes

elle attire le soleil sur le sentier,

le corps mince, courbé dans l’air,

la rosée de la plaine perlant ses pieds,

les cheveux empourprés, de saule pleureur,

des ombres par-dessus le soleil traînant sous ses pas,

elle glisse dans les herbes, flaire des traces fragiles,

de ses cheveux, des papillons jaunes s’éparpillent sur ses

épaules.

derrière, le regard d’herbes et de papillons.

 

 

La parole

 

Parmi des paperasses de toutes sortes,

quelques lignes, un parfum frais,

de quelle époque, Dieu,

si peu est resté d’une vie, la parole,

des visages irréels dans

des photographies étrangères

ne veulent pas s’entasser dans l’album,

elles ont des griffes et déchirent,

les choses n’ont plus de nom,

seuls les souvenirs

se hâtent d’en prendre un

pour que tu prennes corps dans le réel.

 

 

Bleu d’ange

 

J’ai erré à travers toutes les mers du monde avec toi,

plongée dans leur bleu, enivrée par l’amour,

aucune mer n’est aussi lisse que la mer Égée,

sur son voile bleu, endormi, deux cils bleus

dans l’infini et l’ange sur la voie mystérieuse

entre le ciel et la mer,

le silence des oliviers, la bénédiction bleue,

éparpillée sur les eaux,

les reliques du saint au bout du chemin,

bénissant notre soirée d’un bleu d’ange.

 

 

Le cercle blanc

 

Pour faire effeuiller les arbres sur les blessures

on n’a pas besoin de temps, mais d’amour,

une goutte de vert ou de bleu peut-être,

un apaisement pour chaque anéantissement lent,

pour chaque printemps écrasé

et chaque parole-brûlure

des oiseaux morts frémissent sous les paupières,

le monde se renferme en cercle blanc.

 

 

Traces étrangères

 

Je me heurte aux choses,

m’accroche aux objets oubliés,

je les attire sans le vouloir,

l’impact trop dur

laisse des traces douloureuses,

telle l’empreinte qui brûle

la peau pour ne pas oublier,

un jour la douleur

monte au cerveau,

tant de signes-cachets

se sont plantés dans mon corps,

dans le corps-souvenir,

que j’ai perdu ma propre trace

entre tant d’autres étrangères à moi,

qui veulent vivre en moi.

 

 

Rupture

 

Les chemins se brisent,

d’autres commencent ou continuent, peut-être,

la rupture brûle, son feu dévore,

l’éphémérité s’enterre jusqu’à la résurrection.

Les souvenirs rencontreront-ils leur corps ?

 

 

Au-dessus des tombeaux

 

Hier, je ne fouillais pas

dans les couchers du soleil

pour flairer ta trace,

je flottais

dans les couleurs du soir,

-haut, sur la colline,

au-dessus des tombeaux,

le soleil se couche au-delà des cimes

et un rayon solitaire

se dresse dans l’air immobile

entre nous et le Crépuscule,

nous passons près des morts

comme le soleil décline par dessus la colline

pour se lever à l’aube,

nous sommes le jour qui ne meurt pas

au-dessus des tombeaux,

-haut,

sur la colline,

sans toi,

le soleil en flammes,

dans le rayon solitaire

le jour se meurt

seul sur la colline,

le coucher du soleil

tombe à tes pieds

au-delà de la colline.

 

 

 

 Poèmes extraits du recueil Le silence d’entre les neiges de Sonia Elvireanu,

préface d’Isabelle Poncet-Rimaud, postface de Denis Emorine,

  L’Harmattan, 2018 (collection Accent tonique)

 

 

 

 

 

 

Vue de francophonie: Sonia Elvireanu

recherche Dana Shishmanian

pour Francopolis mai-juin 2019

 

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