La solitude à l’aube
Les instants, le tourbillon de neiges
parmi
les ténèbres en moi,
l’épouvante faisant s’écrouler
les cailloux sur ma montagne,
le brin d’herbe contre lequel je m’appuie
sur la racine de l’arbre,
le pont au-dessus de l’abîme entre les
mondes
où l’être s’ébat pour prendre corps et nom,
l’absence, le lierre dans les matins solitaires,
drapant la solitude à l’aube.
Le thé aux pavots
La montre s’est détachée du mur,
les aiguilles sont parties à la recherche
d’un monde où l’on ne ressent plus son
emprise,
des fleurs de pavots ont envahi
le cercle blanc, satiné,
leurs pétales coulent dans la tasse de thé,
d’où tu avales la journée
pour la partager avec moi,
tu la fragmentes en miettes,
à l’infini, dans la tasse bleue
dans laquelle tu me caches
jusqu’à la tombée de la nuit.
Le Levant solitaire sous la neige
Le champ de pavots :
le Levant solitaire nous cherche,
les pavots brûlant au soleil,
leur appel fait frémir,
seule à la fenêtre,
un champ blanc,
des traces de pavots sur la neige,
et l’attente,
des flocons blancs, silencieux,
se posent sur le blanc de la plaine,
et l’attente :
le Levant solitaire sous la neige.
Entre le silence et la brûlure
Le silence de la feuille calme ma brûlure,
des grappes de pensées troubles s’accrochent
au vent,
elles flairent les signes glissés dans les
écorces,
les murs, au Couchant étrange,
les yeux plongent dans l’azur
embrumés par le regard,
je languis entre le silence et la brûlure,
l’âme égarée.
La trace pourpre
Les paroles s’enfoncent dans le blanc,
des flèches de mouettes au large
percent les vagues vert bleu,
au dos des poissons monte la douleur :
une trace pourpre dans le sable brûlant.
Brûlure
Je suis une ronce
dans la plaine,
le vent me balance, mais ne m’arrache pas,
le soleil m’étouffe, mais ne me brûle pas,
seuls les souvenirs m’arrachent et me brûlent,
me dévorent dans la solitude.
Psaume
Les ombres ne
prennent pas corps,
ne se laissent pas embrasser,
parfois il lui apparaît dans le rêve,
elle le recherche encore,
lui murmure des paroles oubliées,
il sourit en descendant
à travers les vignes vertes,
il attend l’instant
où leurs paupières se touchent :
la lumière chante,
s’anéantit dans le psaume.
Les
arcs-en-ciel du soir
Les pluies
ruissellent
telle la pensée éclaircie,
en haut, sur la muraille de la citadelle,
le monde silencieux d’en bas
s’élève en arc-en-ciel,
la ceinture de Dieu,
le lien saint entre le ciel et la terre
se multiplie pour bénir le soir
dans les couleurs du temps inhabité.
Le sentier
aux papillons
Comme un nuage dans
l’herbe en flammes
elle attire le soleil sur le sentier,
le corps mince, courbé dans l’air,
la rosée de la plaine perlant ses pieds,
les cheveux empourprés, de saule pleureur,
des ombres par-dessus le soleil traînant sous
ses pas,
elle glisse dans les herbes, flaire des traces
fragiles,
de ses cheveux, des papillons jaunes
s’éparpillent sur ses
épaules.
derrière, le regard d’herbes et de papillons.
La parole
Parmi des paperasses
de toutes sortes,
quelques lignes, un parfum frais,
de quelle époque, Dieu,
si peu est resté d’une vie, la parole,
des visages irréels dans
des photographies étrangères
ne veulent pas s’entasser dans l’album,
elles ont des griffes et déchirent,
les choses n’ont plus de nom,
seuls les souvenirs
se hâtent d’en prendre un
pour que tu prennes corps dans le réel.
Bleu d’ange
J’ai erré à travers
toutes les mers du monde avec toi,
plongée dans leur bleu, enivrée par l’amour,
aucune mer n’est aussi lisse que la mer Égée,
sur son voile bleu, endormi, deux cils bleus
dans l’infini et l’ange sur la voie
mystérieuse
entre le ciel et la mer,
le silence des oliviers, la bénédiction
bleue,
éparpillée sur les eaux,
les reliques du saint au bout du chemin,
bénissant notre soirée d’un bleu d’ange.
Le cercle
blanc
Pour faire effeuiller
les arbres sur les blessures
on n’a pas besoin de temps, mais d’amour,
une goutte de vert ou de bleu peut-être,
un apaisement pour chaque anéantissement
lent,
pour chaque printemps écrasé
et chaque parole-brûlure
des oiseaux morts frémissent sous les
paupières,
le monde se renferme en cercle blanc.
Traces
étrangères
Je me heurte aux
choses,
m’accroche aux objets oubliés,
je les attire sans le vouloir,
l’impact trop dur
laisse des traces douloureuses,
telle l’empreinte qui brûle
la peau pour ne pas oublier,
un jour la douleur
monte au cerveau,
tant de signes-cachets
se sont plantés dans mon corps,
dans le corps-souvenir,
que j’ai perdu ma propre trace
entre tant d’autres étrangères à moi,
qui veulent vivre en moi.
Rupture
Les chemins se
brisent,
d’autres commencent ou continuent, peut-être,
la rupture brûle, son feu dévore,
l’éphémérité s’enterre jusqu’à la résurrection.
Les souvenirs rencontreront-ils leur corps
?
Au-dessus des
tombeaux
Hier, je ne fouillais
pas
dans les couchers du soleil
pour flairer ta trace,
je flottais
dans les couleurs du soir,
là-haut, sur la colline,
au-dessus des tombeaux,
le soleil se couche au-delà des cimes
et un rayon solitaire
se dresse dans l’air immobile
entre nous et le Crépuscule,
nous passons près des morts
comme le soleil décline par
dessus la colline
pour se lever à l’aube,
nous sommes le jour qui ne meurt pas
au-dessus des tombeaux,
là-haut,
sur la colline,
sans toi,
le soleil en flammes,
dans le rayon solitaire
le jour se meurt
seul sur la colline,
le coucher du soleil
tombe à tes pieds
au-delà de la colline.
Poèmes
extraits du recueil Le
silence d’entre les neiges de Sonia Elvireanu,
préface d’Isabelle Poncet-Rimaud, postface de Denis
Emorine,
L’Harmattan,
2018 (collection Accent tonique)
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